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La solution zâhirite du problème des Noms divins

Le plan des Noms divins

6. La solution zâhirite du problème des Noms divins

§1. L’École zâhirite

Pour achever cette présentation générale de la manière dont la théologie islamique a pu aborder la question des Noms divins, nous abordons le courant de pensée zâhirite. Ici encore, notre démarche ne prétend à aucune exhaustivité. Ce n’est pas par pure curiosité que nous nous intéressons à une école de pensée dont le rayonnement fut très limité, et dont l’intention ne fut jamais de construire une théologie scolastique, dans l’horizon ouvert par le mu’tazilisme. Si le zâhirisme retient notre attention, c’est qu’il fut représenté par un éminent penseur de l’Andalousie musulmane, qui fut reconnu par Ibn ’Arabî comme un de ses maîtres, Ibn Hazm de Cordoue1. Par ailleurs, dans sa pratique du droit, en matière de

jurisprudence (fiqh), Ibn ’Arabî s’est toujours présenté comme un zâhirite convaincu2. Ce que nous appelons le zâhirisme est la transcription littérale de la formule arabe al-

zâhiriyya. Ce mot désigne à l’origine une école juridique fondée à Bagdad par le

traditionniste d’ascendance iranienne Dâwûd b. Khalaf (m. 884). Aucune de ses oeuvres ne nous est parvenue. Sa renommée est effacée par celle de son fils, Ibn Dâwûd Ispahânî (m. 287 h. / 909)3, théoricien de l’amour courtois et auteur du célèbre Livre de la Fleur (Kitâb

al-zahra’). Il est parfois injustement négligé au profit d’Ibn Hazm de Cordoue (m. 1064)

qui, plus tard, dans les contrées occidentales de l’islam, illustrera « presque à lui seul4 » l’école zâhirite.

Le zâhirisme n’est pas seulement préoccupé de questions de fiqh. Très vite, il forme un courant de pensée puissant et cohérent qui pénètre l’ensemble des sciences traditionnelles

1 Après sa mort, Ibn Hazm fut attaqué de toutes parts. Ibn ’Arabî fut l’un des rares à le défendre. Il rédigea

même un résumé d’une œuvre d’Ibn Hazm, le Muhallâ, pour soutenir la pensée du zâhirite andalou. Voir Roger Arnaldez, « Ibn Hazm », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., tome III, 1990, pp. 814-822. Voir

notamment p. 821.

2 Cf. Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, op. cit., p. 319.

3 Sur la vie et la doctrine d’Ibn Dâwûd, cf. Louis Massignon, La Passion d’al-Hallâj, 2e édition, op. cit., t. 1,

pp. 405-416.

4 Abdel-Magid Turki, « Al-zâhiriyya », Encyclopédie d l’islam, 2e édition, op. cit., tome XI, 2005, pp. 427-

430. Pour la citation, voir p. 427. Voir aussi Ignaz Goldziher, Die Zahiriten, ihr Lehrsystem und ihre

de l’islam. Quels que soient les domaines auxquels il s’applique, il est d’une remarquable cohérence, qui tient au respect scrupuleux d’un principe unique : en toute circonstance s’en tenir au zâhir. Le zâhirisme est tout entier dans l’attention au zâhir, dans la promotion du

zâhir. Cela s’entend de la manière suivante : ainsi que l’indique l’usage originel du mot

dans les traités de fondements du droit, il s’agit de se rapporter toujours au sens externe, celui d’un mot, d’une expression linguistique, d’un événement. Ce sens externe, apparent, exotérique, est celui qui s’impose immédiatement à l’esprit quand celui-ci est confronté à une situation porteuse de plusieurs significations. C’est le sens qui l’emporte sur tous les autres, du fait de son usage coutumier ou technique, celui qui est évident, sans qu’il y ait besoin de complexes procédures argumentatives ou d’un effort herméneutique quelconque (ta’wîl).

Dans leur rapport à la révélation, les zâhirites s’appuient sur un ensemble de bases textuelles, le Coran, la Sunna et le consensus communautaire. Ils réduisent l’ijmâ’ aux seules formules consenties par les Compagnons du Prophète. Pour chacune de ces trois sources « révélées », le principe est le même. Il s’agit de cerner le sens évident des énoncés pour en faire le fondement unique de la foi, la seule règle de conduite. Cela revient à « s’en tenir à la lettre », et à refuser, « par respect de la transcendance divine, tout moyen d’interprétation emprunté à l’intelligence humaine1 ». Les zâhirites stigmatisent les tenants du « sens caché ». Ils se moquent surtout de leur méthode, quand elle veut atteindre cet hypothétique sens caché par les voies de la raison.

Le zâhirisme est une pensée qui dissout les ambitions de la raison et souligne ses égarements. C’est une philosophie critique qui ne dit pas son nom. Ibn Hazm congédie avec ironie et violence les prétentions de « l’orgueilleuse raison humaine2 ». Il dénonce l’illusion métaphysique quand elle veut comprendre toute chose et juger du vrai et du faux de manière universelle. Il déchiffre dans tout discours rationnel un nœud de symptômes : le « caprice », la « lâcheté excessive », le « désir exagéré de connaître3 » sont les motivations réelles des tenants de la raison. Ces défauts culminent dans les travaux des théologiens. Dans les productions du Kalâm, ils sont à découvert pour qui sait démasquer les leurres.

1 Jean-Claude Vadet, L’esprit courtois en Orient dans les cinq premiers siècles de l’Hégire, Paris,

Maisonneuve & Larose, 1968, pp. 268-269.

2 Roger Arnaldez, « Ibn Hazm », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., p. 815.

Ibn Hazm est un adversaire farouche des mutakallimûn. Les critiques qu’il leur adresse sont de deux sortes. Il prononce, tout d’abord, une condamnation sans appel du Kalâm sous toutes ses formes. Ce rejet en bloc confond tous les courants et traite avec le même mépris les deux écoles dominantes. Mu’tazilisme et ash’arisme sont coupables de la même confiance aveugle dans les pouvoirs de l’homme et de sa raison. On y trouve les mêmes « excès du jugement analogique » (qiyâs) et de la déduction, la même tentation de « dire son mot sur tout » (râ’y), la même prétention à outrepasser les limites que fixent les faits et la réalité, une commune tendance aux généralisations abstraites, là où il n’y a que « cas d’espèce », « noms » ou « créatures1 ». Quels que soient les noms qu’elle prenne, la théologie scolastique reste identique à elle-même, en proie aux méandres de la dialectique. Les ambitions qu’elle affiche et les méthodes qu’elle utilise l’apparentent toujours à une forme d’hérésie.

À cette condamnation générale, Ibn Hazm ajoute des critiques ciblées qui atteignent telle ou telle doctrine. Il reproche aux mu’tazilites leur rationalisme exacerbé et naïf, qui laisse croire que le donné révélé de la foi puisse être réduit et assimilé aux normes de la raison humaine. Les tenants de cette école mesurent le contenu de la révélation à l’aune d’exigences étrangères, voire adverses, celles que fomente la philosophie grecque. Quant aux ash’arites, Ibn Hazm voit dans leur pratique du Kalâm un goût inavoué et suspect pour la spéculation et les sophistications de l’esprit. Cette tendance à l’abstraction philosophique, camouflée sous les voiles d’un hanbalisme de pure façade, a conduit al- Ash’arî et ses disciples à construire la théorie absurde des attributs divins. C’est à cette théorie qu’Ibn Hazm adresse ses plus vives attaques.

Ibn Hazm ne conçoit pas la critique comme une pratique dissolvante, qui déconstruit et réduit à néant les discours auxquels elle s’applique. Critiquer, c’est aussi élaborer un discours positif qui fasse pièce aux discours mis à mal. Ibn Hazm propose une théologie qui veut en tous points échapper aux erreurs, aux abus des mu’tazilites et des ash’arites. Cette théologie ne nous est pas « livrée dans un exposé suivi et dogmatique ». Elle se déchiffre dans l’«inextricable réseau2 » des réfutations et des condamnations que l’on peut lire dans le Fisal3. La théologie d’Ibn Hazm se veut strictement fondée sur la parole de Dieu, c’est-à-

1 Jean-Claude Vadet, L’esprit courtois en Orient dans les cinq premiers siècles de l’Hégire, op. cit., p. 269. 2 Roger Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, op. cit., p. 251.

dire sur le contenu littéral de la révélation. Elle prétend en connaître l’enseignement par son seul zâhir.

§ 2. La signification du retour à la Lettre

Dans sa remarquable étude sur Ibn Hazm, l’orientaliste et philosophe Roger Arnaldez nous aide à cerner le sens de cette notion énigmatique de zâhir. Ses analyses la présentent comme une sorte de critère d’évidence, permettant d’évaluer tous les discours.

Le zâhir n’est pas le sens apparent, si l’on entend par là ce qui est immédiatement perçu par l’individu, ce qui se donne sans préalable à la conscience. C’est un sens construit qu’atteint l’esprit à la condition de faire preuve d’attention et de reconnaître ses pouvoirs et ses limites. Le zâhir dessine une « vérité qui s’impose par une évidence invincible avec des garanties incontestables1 ». Cette vérité satisfait la sensibilité, la foi, la raison. Pour Ibn

Hazm, la révélation ne tient qu’à une seule chose, le Texte. Distinguer le zâhir, c’est étudier ce Texte2 en sa langue propre. C’est pénétrer ce seuil par lequel on s’approche du mystère divin.

Le zâhirisme, en prônant ainsi un retour à la Lettre, configure un littéralisme intégral. Mais encore faut-il préciser de quelle sorte de littéralisme il s’agit. Chez Ibn Hazm, nous sommes fort éloignés du littéralisme hanbalite. Le penseur andalou ne préconise pas l’obéissance aveugle au « contenu » de la révélation. Il n’est pas le tenant d’une piété aveugle, qui refuse de chercher le pourquoi et le comment. Il n’est pas le doctrinaire d’un fidéisme irrationnel qui s’accommode des anthropomorphismes et ne voit pas les contradictions flagrantes où il s’enferme. Pour Ibn Hazm, la seule Lettre qui soit, c’est le texte révélé. Le seul réel, c’est la langue où se dépose la parole de Dieu.

La théologie zâhirite repose tout entière sur une théorie du langage. Celle-ci est la pierre de touche de l’édifice construit par Ibn Hazm. La conception de la langue diffère ici de celle qu’ont construit les grammairiens de Basra. Elle évite les distinctions subtiles et les

nihal wa’l-ahwâ. Il s’agit d’une imposante encyclopédie qui recense les connaissances religieuses relatives

aux différentes religions qui ont, ou ont eu, un rapport quelconque avec l’islam.

1 Roger Arnaldez, « Ibn Hazm », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., tome III, p. 815.

2 Le texte que constitue le Livre révélé « est le seuil même par lequel le fidèle s’approche du mystère divin ».

faux problèmes pour revenir à l’essentiel : la langue arabe tire sa valeur, sans équivalent, de ce qu’elle est la langue du Coran, la langue de la révélation. Elle doit faire l’objet de toutes les attentions, parce qu’en elle se disent le réel et le vrai. Le zâhirisme s’enracine dans le « respect religieux de la langue1 ». La langue révélée aux hommes dans le Coran arabe est le zâhir qu’il s’agit de relever et de promouvoir. Elle est le foyer de cette vérité qu’il faut mettre au jour. Cela exige la connaissance des règles qui président à la constitution et au fonctionnement du langage révélé.

Le littéralisme d’Ibn Hazm est, par conséquent, un nominalisme. On peut y déceler, à première vue, quelques proximités avec la doctrine mu’tazilite. La ressemblance est, à vrai dire, très incertaine. Elle ne tient qu’à un effet d’homonymie. Nous avons affaire à deux nominalismes bien différents, fondés sur des prémisses inconciliables. Le nominalisme mu’tazilite est formaliste, sceptique et de portée philosophique. Ibn Hazm construit un nominalisme de conviction, fondé sur le primat logique et surtout ontologique de la langue, un « nominalisme sémantique2 ». On peut certes estimer qu’il s’agit d’un « nominalisme

rigide3 ». Mais il faut considérer l’intuition, résolument anti-philosophique, qui le soutient : le vrai n’est pas le produit de la raison humaine, il est déposé dans la langue. La raison peut recueillir ce vrai, mais à la condition de reconnaître l’autorité de la langue.

Pour Ibn Hazm, l’homme n’est pas propriétaire ou maître de sa langue. Il doit s’y soumettre comme à ce réel qui le précède et dont l’évidence s’impose à lui. Cette soumission ne procède pas d’un renoncement fidéiste qui refuse à l’homme tout pouvoir de juger. Elle est un effet nécessaire de la langue elle-même. Ibn Hazm stigmatise ceux qui « torturent la langue pour la soumettre à leur caprice et lui faire dire ce qu’elle ne dit pas naturellement4 ». Il voit dans cette attitude la vaine prétention de se substituer au pouvoir de la langue. Or, la langue suffit à la langue. Les mots n’ont nul besoin de notre intervention pour indiquer le sens. Tous sont porteurs d’une intention, qu’elle soit significative ou désignative. La langue dans son ensemble porte le vrai, sans faire appel à notre secours. Elle est une structure complexe où le vrai émerge des relations

1 Roger Arnaldez, « Ibn Hazm », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., tome III, p. 815. 2 Louis Gardet, Dieu et la destinée de l’homme, op. cit., p. 19.

3 Roger Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, op. cit., p. 293.

qu’entretiennent les différents éléments composant la totalité. La langue est un édifice où le sens résulte des rapports que tissent ses multiples pièces.

La théorie de la langue permet la constitution d’une logique. L’ambition d’Ibn Hazm est, en effet, de créer un savoir qui nous fasse comprendre la révélation et nous permette d’atteindre la vérité, le zâhir qu’elle contient. La logique est ce savoir, cette discipline de l’esprit qui offre un accès clair et juste à la parole divine. La règle fondamentale qu’elle prescrit est de toujours chercher la généralité, non pas au sens d’une abstraction conceptuelle, mais comme la somme des significations. Ibn Hazm ne conçoit jamais la logique comme un préalable à la pratique de la philosophie, comme ce discours qui fixe les concepts nécessaires à une ontologie. La logique, à ses yeux, n’est pas un exercice de la pensée. Son objet, son élément, sa norme, c’est la langue, et la langue seulement. Pour notre penseur zâhirite, elle doit être considérée pour ce qu’elle est, un outil efficace, le meilleur qui soit pour déterminer un usage adéquat de la raison, c’est-à-dire un usage limité et subordonné à la parole divine. La logique met au jour la structure du discours. Elle est un « instrument d’analyse de l’expression linguistique1 », un moyen essentiel pour dégager le sens précis des textes révélés et assurer une concordance là où ces textes semblent diverger ou se contredire.

La grammaire nourrit la logique. Celle-ci, à son tour, soutient la théologie. Grammaire et logique sont donc les deux piliers du système de pensée zâhirite. Elles justifient un certain traitement de la question des Noms divins. Ibn Hazm commence par récuser le procédé sans cesse reproduit par les tenants du Kalâm, qui conduit à confondre les Noms et les attributs. Il disjoint fermement les deux termes, parce qu’il s’agit de deux notions radicalement différentes. Il ne retient que les Noms, et dénigre tout intérêt aux attributs. C’est que la révélation, en ses trois sources, évoque seulement les Noms de Dieu. Le terme d’attribut « ne se trouve en aucun verset coranique et en aucune Tradition2 ». L’utiliser ainsi que le font les mutakallimûn – al-Ash’arî au premier chef – c’est franchir les limites fixées par la Parole divine et sombrer dans l’hérésie.

En théologie comme ailleurs, le principe absolu est de s’en tenir à la Lettre de la révélation. Cela exclut la méthode analogique, qui conduit à parler de Dieu à travers des

1 Roger Arnaldez, « Ibn Hazm », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., tome III, p. 817. 2 Roger Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, op. cit., p. 285.

attributs des choses créées. Cela exclut aussi la déduction, quand elle conduit à désigner Dieu par des Noms nouveaux, qui ne se trouvent en aucun texte révélé. Ibn Hazm refuse l’interprétation et l’extrapolation. Ses convictions théologiques se forment à partir de ce qui est littéralement et explicitement révélé dans la révélation. Elles obéissent à une règle qui ne supporte aucune exception : ne « recevoir un vocable comme applicable à Dieu, que s’il se l’est appliqué lui-même1 ». Ibn Hazm rejette toutes les qualifications de Dieu qui ne se trouvent pas clairement formulées dans le Coran, le hadîth, ou la parole des plus proches Compagnons du Prophète. S’il veut bien d’une théologie des Noms, il récuse sans ménagement toute théorie des attributs divins.

Ibn Hazm dirige ses attaques les plus vives contre les ash’arites. Il sollicite, pour un temps, la méthode des mu’tazilites – son souci de la langue et de ses règles – dans le but de congédier la doctrine des attributs. Rien n’autorise le passage d’un Nom à un attribut. Le Nom est un signe qui indique Dieu, tandis que l’attribut renvoie à une signification et prétend dire quelque chose de la nature de Dieu. Ibn Hazm relève les libertés prises par les théologiens, au mépris du contenu précis de la révélation. Il soutient que les Noms ne dérivent pas des attributs. Il montre, réciproquement, que nul n’est autorisé à tirer des attributs à partir des Noms. Le tort d’al-Ash’arî « a été de passer de la désignation à la signification2 ». Il s’est compromis dans ce jeu futile et dangereux qui consiste à passer incessamment du Nom à l’attribut et de l’attribut au Nom.

§ 3. L’agnosticisme zâhirite

Soutenir que les Noms ne sont en aucune façon des attributs, c’est réduire considérablement leur portée. Ibn Hazm considère les Noms comme de simples dénominations. Il ne les conçoit jamais comme des concepts ou des qualificatifs dont on pourrait revêtir une réalité pour s’en faire une représentation. Les Noms de Dieu ne sont ni son essence, ni ses attributs, ni ses modes. Ce ne sont que des désignations choisies par Dieu pour se révéler aux hommes, des signes qui nous « font connaître Dieu tel qu’Il veut

1 Roger Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, op. cit., p. 285. 2 Roger Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, op. cit., p. 285.

être connu de nous1 ». Les Noms divins portent des indications sur ce qu’est Dieu pour

nous. Ils ne nous donnent aucun accès à ce qu’est Dieu en soi.

Ce nominalisme sert un agnosticisme radical, bien différent de celui des doctrines mu’tazilites. Là où les premiers théologiens tergiversent et finissent par construire un discours métaphysique, Ibn Hazm s’en tient à la règle du zâhir, qui limite la recherche humaine à ce qui est évident et connaissable. Or, cette règle ne peut être comprise qu’à la condition de mettre en valeur la position philosophique qui la soutient : toutes les réalités qui dépassent l’ordre du sensible, qui ne relèvent pas du zâhir, sont inaccessibles à la connaissance et au discours humains. Ibn Hazm affirme sans détours que nous ne pouvons rien connaître du réel divin. L’homme ne peut sonder le « mystère de l’essence de Dieu et de la rationalité de Ses façons2 ».

Ibn Hazm crée un « agnosticisme à lui3 » qui distingue soigneusement, à propos de Dieu, ce qui est connaissable et ce qui est inconnaissable. Les Noms que Dieu se donne