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La solution ash’arite du problème des Noms divins

Le plan des Noms divins

5. La solution ash’arite du problème des Noms divins

§ 1. L’École ash’arite

La doctrine mu’tazilite ne s’est pas imposée en terre d’islam. Très vite, elle a suscité des frustrations bien compréhensibles. Quel crédit accorder à un Kalâm, à un discours théologique qui méprise l’autorité de la révélation et du discours spécial dans lequel elle se formule et se transmet ? Quelle portée reconnaître à des raisonnements qui semblent davantage préoccupés de singer la méthode des philosophes grecs que d’éclairer le riche contenu d’une foi vivante ? Ces questions furent posées de toutes parts au sein de la communauté islamique. Elles émergèrent aussi de l’intérieur du mu’tazilisme, en une critique radicale qui finit par affaiblir pour longtemps la position de l’École.

Abû l-Hasan al-Ash’arî fut celui qui lui adressa la critique la plus profonde. Né à Basra vers l’an 873, al-Ash’arî se forme au Kalâm dans l’élément du mu’tazilisme. Il se distingue parmi les auditeurs pour devenir l’un des meilleurs élèves d’al-Jubbâ’î1, alors chef de file de l’École de Basra. Les écrits doxographiques qu’il rédigera portent témoignage de cette longue période de son existence où il adhère au mu’tazilisme. On y trouve les meilleurs résumés des thèses mu’tazilites qui nous soient parvenues.

Progressivement, al-Ash’arî s’éloigne du mu’tazilisme pour se faire l’écho des critiques des Ahl al-sunna, les traditionnistes. Sensible aux arguments d’Ibn Hanbal, il reconnaît le bien-fondé de ceux que ce dernier formule à l’encontre des ratiocinations stériles des mutakallimûn. Vers l’an 913, alors âgé de 40 ans, al-Ash’arî rompt définitivement avec les convictions mu’tazilites, en une « conversion » qui décide de sa courbe de vie. Il commence un nouvel enseignement qui, après sa mort survenue en 935, donnera naissance à une école de théologie – l’ash’arisme – dont la longévité et le rayonnement surpasseront de loin tous les autres courants du Kalâm.

1 Voir W. Montgomery Watt, article « Al-Ash‘arî », Encyclopédie de l’islam, 2e édition, op. cit., tome I, pp.

La « conversion » d’al-Ash’arî est souvent présentée en des termes caricaturaux. Elle l’aurait conduit, dit-on, à rejeter totalement le mu’tazilisme et plus généralement le Kalâm, au nom d’une adhésion pleine et entière au hanbalisme. La réalité est tout autre. La position ash’arite ouvre une voie médiane qui renvoie dos à dos les deux courants de la pensée islamique, pour soutenir une doctrine originale qui n’est ni mu’tazilite ni hanbalite. Cette solution conciliatrice sera la cause du succès de l’ash’arisme, là où le mu’tazilisme, par son intellectualisme abstrait, fit lui-même le lit de son insuccès.

Al-Ash’arî ne saurait se satisfaire du littéralisme infécond des hanbalites. Il n’adhère pas au principe qui guide les disciples d’Ibn Hanbal : « Nous croyons ce qui est dit dans le Livre et la sunna sans nous risquer à l’interpréter1 ». Il conteste l’attitude qui consiste à croire – au Coran et aux hadîths – sans chercher à comprendre, sans produire un quelconque effort de la raison pour rendre intelligible le contenu de la foi. À ses yeux, le hanbalisme conduit à l’aveuglement irrationnel et supprime l’intérêt de tout travail de pensée. Il rend caduques les prétentions de tout discours qui ne serait pas la simple récitation des versets et des traditions prophétiques recueillies par les Compagnons du Prophète.

Al-Ash’arî restera toute sa vie un tenant de la théologie. Il reconnaît, certes, la valeur des autres discours traditionnels de l’islam – la science des traditions (hadîth), la jurisprudence (fiqh), le commentaire explicatif (tafsîr), mais il demeure attaché au Kalâm. C’est au titre de mutakallim qu’il prendra en charge les questions qui échappent aux docteurs hanbalites et qu’il envisagera toute l’importance du problème des attributs divins. La troisième partie de ses Maqâlât al-Islâmiyîn est composée d’un Kitâb al-asmâ wa l-

sifât, livre sur les Noms et les attributs de Dieu. C’est là qu’il livre sa conception des Noms

divins.

Pour comprendre cette conception, sans doute faut-il revenir sur les causes de la conversion d’al-Ash’arî, sur les points de friction qui l’ont amené à renoncer au mu’tazilisme. C’est le refus d’al-Jubbâ’î d’accorder à l’homme toute possibilité de voir Dieu qui détermina al-Ash’arî à quitter définitivement l’école mu’tazilite2. La question peut paraître secondaire. Elle est, en réalité, centrale. Elle signe clairement l’enfermement du

1 Shahrastânî, Livre des religions et des sectes, t. 1, op. cit., p. 339.

théologien mu’tazilite dans une attitude sans appel qui refuse toute accessibilité au divin, même dans l’au-delà. Elle suggère toutes les bonnes raisons de se tourner vers les docteurs hanbalites, lesquels soutiennent avec force, dans une fidélité absolue à la lettre du Coran, que Dieu sera visible dans l’autre monde. C’est tout le sens du Jugement, de la rétribution et de la Résurrection finale qui est en jeu.

De ce conflit, al-Ash’arî retiendra une leçon : « souligner trop fortement la transcendance divine1 », ainsi que le font les mu’tazilites, représente un danger pour l’islam. Défendre les représentations unilatérales d’un Dieu abstrait dont l’être échappe absolument au langage humain, c’est faire le lit de l’agnosticisme, dépouiller le réel divin de toute consistance et soutenir une posture inconciliable avec les données de la foi. Faut-il pour autant épouser les vues grossières de ceux qui se complaisent à mettre en avant les versets décrivant Dieu sous des traits sensibles et humains ? L’urgence, pour al-Ash’arî, est d’inventer une voie nouvelle pour le Kalâm, qui surmonte le double péril de l’agnosticisme (ta’tîl) et de l’associationnisme (tashbîh). Il s’agit de congédier définitivement les solutions ruineuses que représentent l’abstractionnisme et l’anthropomorphisme.

§ 2. Le réalisme ash’arite

Al-Ash’arî affirme le principe irrécusable de la transcendance divine. Mais sans laisser place à la moindre contradiction, il affirme aussi une « certaine analogie entre Dieu et le monde2 ». La théologie ash’arite admet la pratique du qiyâs, du raisonnement analogique, à la condition qu’elle ne serve pas des causes abstraites et permette d’asseoir le contenu de la révélation. De nombreux versets indiquent, en effet, que certaines qualités humaines sont semblables aux qualités que possède Dieu. La similitude qu’ils énoncent respecte la nature inaccessible et sans pareille du réel divin, et ne relève nullement de l’assimilation, du

tashbîh. L’ash’arisme affirme qu’à partir de réflexions bien conduites sur les attributs des

hommes, on peut « remonter » à Dieu, et déduire l’existence des attributs qui sont les siens. La méditation de la nature transcendante de Dieu ne conduit pas nécessairement à la

1 Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’Al-Ash’arî et de ses premiers grands

disciples, op. cit., p. 180.

formation d’une théologie négative. Elle est compatible, sans s’exposer à la moindre suspicion, avec l’avènement d’un discours positif qui dévoile quelques aspects de l’essence divine.

Al-Ash’arî ne fonde pas l’utilisation du raisonnement par analogie sur l’autorité des philosophes grecs. Il ne fait pas des grammairiens et autres spécialistes du langage les juges suprêmes de ses spéculations. Fidèle aux injonctions des hanbalites, il ne reconnaît qu’une seule autorité, la révélation littérale et intégrale. Celle-ci ne se réduit pas aux seuls énoncés condensés dans le Coran. Contre les mu’tazilites, al-Ash’arî soutient un concept élargi de la révélation1, qui contient le Coran, la Sunna telle qu’elle se forme par les recueils de

hadîths, mais aussi le consensus auquel sont parvenus ceux qui, dans la communauté

islamique, font un bon usage de la raison2. Au rationalisme étriqué des premiers théologiens, al-Ash’arî substitue un littéralisme modéré qui ne met jamais le contenu de la révélation en contradiction avec les exigences élémentaires de la raison.

Al-Ash’arî renverse la méthode mu’tazilite d’examen du problème des attributs divins. Plutôt que de se donner un faux point de départ – les difficultés grammaticales liées aux procédures linguistiques de l’attribution – il faut partir du contenu littéral de la révélation. Le Coran nous dit clairement que Dieu possède « les plus beaux Noms » et nous en offre quelques exemples. Le hadîth dresse une liste couramment admise de quatre-vingt dix neuf Noms3. Quant au consensus communautaire (al-ijmâ’) auquel parviennent les hommes éclairés, il soutient qu’il est raisonnable d’appliquer à Dieu des qualificatifs, en droit infinis. Al-Ash’arî veut dépasser la réticence et les sophistications oiseuses des mu’tazilites. La révélation exige un traitement résolu et positif de la question des Noms divins.

Un tel changement de méthode fait preuve d’un certain réalisme philosophique. Il fait fond sur ce réel qu’est la révélation, et ne saurait donc se satisfaire d’un quelconque nominalisme. Les mu’tazilites concevaient les Noms divins comme de simples qualifications où s’expriment les facultés opératoires de l’esprit humain. Pour al-Ash’arî, il convient d’abandonner au plus vite cette manière formaliste et subjectiviste d’aborder le

1 Cf. Daniel Gimaret, La doctrine d’al-Ash‘arî, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 360.

2 Cf. Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’Al-Ash’arî et de ses premiers grands

disciples, op. cit., p. 203.

3 Les qualificatifs appliqués à Dieu par le Coran, puis par la Tradition, ont été compilés en diverses listes

durant le IIe siècle de l’Hégire. Dans l’école ash’arite, il sera courant de mentionner et d’utiliser comme base

de travail la liste des 99 noms dressée par al-Walîd b. Muslim. Cette liste accompagne le célèbre hadith qui dit que Dieu a 99 noms. Cf. Daniel Gimaret, Les noms divins en Islam, op. cit., p. 44.

problème. Il faut envisager sérieusement le statut ontologique des Noms et des attributs de Dieu, reconnaître à ces réalités une consistance objective qui les préserve de l’anéantissement et leur permet de résister à la réduction linguistique. Il faut en passer par un examen renouvelé de l’origine et de la prétention du langage, tant celui qu’utilisent les hommes dans leurs manières de parler de Dieu que celui que met en l’œuvre Dieu dans sa révélation.

Sur la question de l’origine du langage, al-Ash’arî s’oppose radicalement aux mu’tazilites. Il affirme que le langage, tel qu’il se manifeste en de multiples langues, n’est pas une invention humaine. Il soutient la thèse du tawqîf, qui veut que toutes les langues pratiquées par les hommes procèdent de l’instruction divine. Sans faire siennes les vues simplistes du littéralisme hanbalite, al-Ash’arî préconise un attachement ferme et continu à la lettre de la révélation. Or ne lit-on pas, dans un verset dont l’autorité est certaine, que « Dieu a enseigné à Adam tous les Noms1 » ? « Les mots, dans les différentes langues,

procèdent de l’enseignement (tawqîf) du Créateur des cieux, ils n’existent pas par convention, usage établi, choix [humain]2 ».

Si tout langage trouve son origine dans le Créateur des cieux, cela vaut a fortiori pour ce langage particulier qui rapporte la Parole divine (kalâm Allâh). Cette Parole se présente comme un attribut éternel, quelles que soient ses manifestations. Ainsi, quand elle prend la forme d’un Livre saint, elle conserve son éternité. Le Coran, parole de Dieu révélée aux hommes, est donc incréé. Contre les mu’tazilites, al-Ash’arî adopte, sur ce point, les positions hanbalites modérées. Il soutient la nature transcendante du langage de la révélation déposé dans le Coran.

En tant qu’attribut éternel et incréé de Dieu, le langage de la révélation est chargé d’une réalité, d’une consistance et d’une valeur qui le rendent sans équivalent, distinct du langage humain. Dans la parole ordinaire, les hommes font l’expérience d’une distance entre les mots qu’ils utilisent et les choses qu’ils visent. Tel n’est pas le langage divin qui ignore une telle distance. Pour al-Ash’arî, le langage de la révélation témoigne d’une « cohésion très étroite du nom avec la réalité qu’il désigne3 ». Bien plus, il soutient que la

1 Coran 2 : 31.

2 Cité par Daniel Gimaret. Cf. La doctrine d’al-Ash‘arî, op. cit., p. 357.

3 Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’Al-Ash’arî et de ses premiers grands

« parole de Dieu est un mode d’existence et non une suite de concepts abstraits de la réalité1 ». Le langage divin ne désigne pas la réalité. Il adhère à ce qu’il nomme et dit ce qui est tel qu’il est.

Al-Ash’arî adopte un réalisme linguistique intégral. Cela a un effet considérable sur le traitement de la question des Noms divins. La somme des qualités que le Coran attribue à Dieu « ne constitue pas un ensemble de formules qui désigneraient les divers aspects de l’être et de l’agir divins ». Il s’agit plutôt d’un langage qui « est directement la réalité qu’il évoque2 ». La parole divine n’est pas, comme le pensent les mu’tazilites, un attribut de l’action lié au temps. Elle est la réalité divine, en son essence éternelle. Les Noms et attributs de Dieu que formule le Coran ne relèvent donc jamais du langage figuré. Ce sont des entités réelles et éternelles qui, bien que difficiles à définir, doivent être prises au sens propre3. Al-Ash’arî défend l’objectivité et la réalité des Noms et des attributs divins. Il récuse la réduction mu’tazilite du nom (ism) à l’attribut (sifa) et à la description (wasf). Il soutient que Dieu est tel qu’Il se dit.

§ 3. La doctrine des Noms divins dans l’ash’arisme

L’autorité appartient au contenu littéral de la révélation. Cela impose un traitement des versets anthropomorphiques fort éloigné de celui qu’ont proposé les théologiens mu’tazilites. Al-Ash’arî renvoie dos à dos les tenants de l’interprétation allégorique et les littéralistes extrémistes qui « corporalisent » Dieu. Il récuse les termes même d’une alternative réductrice, qui impose de choisir entre deux positions insoutenables. La règle, en la matière, est de revenir au Coran et au hadîth, pour adopter une lecture qui respecte le mystère de Dieu. Les versets coraniques qui évoquent la main de Dieu, le visage de Dieu, la session sur le trône n’ont certes pas de signification corporelle. Mais ils indiquent des qualités objectives dont la nature exacte nous est inconnue. Ce sont des attributs réels, mais « sans comment » (bi lâ kayfa).

1 Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’Al-Ash’arî et de ses premiers grands

disciples, op. cit., p. 283

2 Michel Allard, Ibid., p. 416. 3 Cf. Michel Allard, Ibid., p. 198.

La mention des anthropomorphismes de la révélation souligne la diversité des Noms et attributs de Dieu. Al-Ash’arî envisage tous les Noms que Dieu se donne et les ordonne selon une hiérarchie, avec précellence du nom Allâh. Il les classe en trois groupes distincts. Il y a les Noms qui indiquent Son existence (par exemple, « l’existant », « l’éternel »), ceux qui désignent une action (par exemple, « le juste », « le bienfaisant »), enfin les Noms qui renvoient à un attribut éternel (par exemple, « le savant », « le puissant »)1. Ces trois catégories correspondent exactement, sans qu’il y ait besoin de faire de subtiles distinctions entre les notions d’ism et de sifa, à trois classes d’attributs : ceux qui sont identiques à Dieu et constituent des attributs de l’essence, ceux qui sont autres que Lui et forment les attributs de l’action, ceux qui ne sont ni identiques à Lui ni autres que Lui et se présentent comme des entités éternelles conjointes à l’essence.

Al-Ash’arî manifeste un grand souci de classer adéquatement les qualificatifs appliqués à Dieu. Il n’adhère pas à la pratique générale des mu’tazilites qui consiste à réduire le nombre des attributs de l’essence et à augmenter celui des attributs d’action. Ainsi, par exemple, il refuse de considérer la parole et la volonté divines comme des qualités exprimant une action de Dieu inscrite dans le temps. La parole et la volonté sont, à ses yeux, des attributs éternels liés à l’essence divine. Al-Ash’arî complique considérablement la distinction rigide instituée par les premiers théologiens. Aux attributs de l’essence et aux attributs de l’action, il ajoute une nouvelle catégorie, décisive pour comprendre le statut des Noms divins, celle des attributs éternels conjoints à l’essence, sans se confondre avec elle.

Le plus important, pour al-Ash’arî, est d’imposer l’existence de cette catégorie d’attributs éternels et essentiels. Contre les premiers théologiens, il veut surtout montrer que ces attributs (la vie, la science, la puissance, la volonté, l’ouïe, la vue, la parole) sont des entités réellement existantes, et non des abstractions. Les mu’tazilites affirmaient bien que Dieu est savant, vivant. Mais ils refusaient de reconnaître l’existence, en Dieu, d’un savoir, d’une vie. Cela compromettrait, à leurs yeux, l’unité de l’essence divine. Al-Ash’arî rejette cette manière de penser où il ne voit qu’abstraction et agnosticisme. Tout qualificatif renvoie à la possession de l’attribut qui lui correspond. Tout nom donné à un être implique l’existence, dans cet être, d’une réalité qui lui vaut ce nom. Si Dieu est savant, il est

nécessairement tel du fait d’une science qui est en lui1. C’est pourquoi il faut substantiver les attributs, parler de la science, de la volonté, de la vie de Dieu, et non se contenter, ainsi que le font les mu’tazilites, d’y voir de simples noms verbaux d’action ou de passion. Il faut admettre, « à côté de chaque participe actif attesté dans le Coran, un substantif-attribut qui lui correspond, même si aucun verset ou aucun hadith n’en fait mention2 ».

Al-Ash’arî préconise l’extension du concept des attributs divins. Il renouvelle le discours théologique sur les attributs divins en soutenant l’existence d’attributs entitatifs éternels. Quel rapport y a-t-il entre ces attributs entitatifs éternels et l’essence divine ? Bien que distincts de l’essence divine, les attributs subsistent en Dieu au titre d’existants réels. Al-Ash’arî leur concède un mode d’existence effectif mais contradictoire : les attributs ne sont ni identiques à l’essence, ni distincts de l’essence. Il reprend la formule consacrée par les hanbalites – les attributs ne sont « ni Dieu ni autres que Dieu » (lâ ’aynu-hu wa lâ

ghayru-hu) – mais il lui donne un sens différent. Al-Ash’arî transforme un énoncé fruste

dont le caractère aporétique témoigne des limites foncières de la raison humaine, en une contradiction réfléchie et assumée, quoique indépassable.

Al-Ash’arî « s’efforce de maintenir à la fois, et la réalité de Dieu en son essence, et la réalité des attributs3 ». La ligne de front qu’il construit est difficile à tenir. Les solutions qu’il propose semblent insuffisantes, peu différentes, au final, de celles que dispensent les hanbalites. Al-Ash’arî affronte un problème qu’il ne peut résoudre, fautes d’armes philosophiques. Comment des attributs peuvent-ils être tout à la fois distincts de l’essence divine et inhérents à cette essence ? Comment des attributs multiples inhérents à l’essence peuvent-ils ne pas introduire de pluralité au sein de cette essence4? Al-Ash’arî ne répond pas à ces questions. Il a le mérite de les poser et de reconnaître les difficultés que présente