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Chapitre 1 : Un état de la recherche

D. La signification des courbes intonatives :

De nombreux auteurs se sont posés la question du sens des contours intonatifs en français. En témoignent par exemple les travaux de Delattre (1966) qui met en évidence les dix intonations de base du français, en observant la totalité des contours intonatifs.

D.1. Les travaux de Martin :

Il ne nous est pas possible de présenter ici l’intégralité des axes de recherche vers lesquels s’oriente Ph. Martin ni la totalité des résultats obtenus. Nous proposerons simplement ici un survol de ses différentes recherches avec une attention particulière à la théorie relative aux contrastes de pente.

Martin (1982) propose une description phonologique des contours prosodiques en français et montre à cette occasion quel est le rôle joué par les différents paramètres prosodiques dans le processus interprétatif. Il a étudié également la structure rythmique et la structure prosodique du français (1987).

L’auteur travaille sur la prosodie de différentes langues telles que le français standard et le français canadien, le grec, l’anglais, le roumain, l’italien, l’espagnol ou encore le portugais en s’interrogeant notamment sur les différentes fonctions de l’intonation (2004). Il s’intéresse aux relations entretenues entre la prosodie, le phénomène d’accentuation et la syntaxe et propose par ailleurs une théorie phonosyntaxique de l’intonation du français en prenant à la fois en considération la parole lue et la parole spontanée :

« Cette théorie, élaborée à partir de données de phrases lues, est ensuite étendue à la description de l'intonation de la parole spontanée décrite selon une approche macrosyntaxique. L'énoncé apparaît alors comme une séquence de macrosegments (préfixes, noyau, incises, postfixes et suffixes) syntaxiquement bien formés mais liés entre eux par la structure prosodique dont les marques fonctionnent selon les mêmes règles que pour les énoncés lus. » (Martin, 2006)

Ses recherches l’ont amené également à s’intéresser à l’identification des langues ou à l’analyse plus précise de la diversité des unités prosodiques et plus particulièrement de l’intonème conclusif (Avanzi & Martin, 2007), étude au cours de laquelle sont repris notamment les macrosegments cités plus haut.

Nous allons tenter de résumer ici la théorie des contrastes de pente en faisant référence à

http://www2.unine.ch/webdav/site/conscilaprosodie/shared/documents/Martin_conscila09.pdf

. Cette théorie prône une certaine indépendance de la structure prosodique par rapport à la structure syntaxique. Les unités prosodiques minimales sont définies comme des groupes accentuels et les prémisses de la théorie sont ainsi présentées par son auteur :

« L’hypothèse portant sur l’existence d’une structure prosodique implique que des marqueurs de nature prosodique en indiquent l’organisation. Ces marqueurs sont instanciés par les syllabes finales effectivement accentuées des unités accentuables, et se réalisent par divers paramètres acoustiques tels que la pente mélodique, la durée syllabique, etc. Le mécanisme caractéristique du français dans l’indication de la structure prosodique est l’inversion de pente mélodique à droite, qui assure l’indication de l’appartenance d’une unité prosodique à une unité plus grande par un contour mélodique de pente inverse de celui qui, à sa droite, termine l’unité en question. L’accent secondaire ou emphatique ne participe pas à ce processus. » Il ajoute la contrainte suivante :

« Le rapport de la structure prosodique avec d’autres structures de l’énoncé, et en particulier la structure syntaxique, est gouverné par un principe de « souveraineté-association » ».

Les deux types d’association remarquables étant la congruence ou l’eurythmie, l’une pouvant se réaliser au détriment de l’autre. L’auteur précise que peut se produire un phénomène de

neutralisation ayant pour effet que le contraste de pente ne se réalise pas forcément pour des structures simples n’assemblant que deux unités prosodiques. Cherchant à appliquer ces principes à la parole spontanée, il prend pour ce faire en considération les macrosegments évoqués précédemment. L’auteur conclue sur le fait que cette théorie permet de « déterminer les différents contours prosodiques du français dans leur fonctionnement et leurs variantes de réalisation. »

Martin a également œuvré dans le développement du traitement automatique du langage, notamment dans le domaine de la reconnaissance automatique et de la synthèse vocale, en mettant à profit les différents résultats théoriques obtenus au cours de ses recherches. Il a en outre développé WinPitch18(http://www.winpitch.com/), un logiciel d'analyse de la fréquence fondamentale présenté en 1996.

Dernièrement, Martin (2008) a réalisé un ouvrage, Phonétique acoustique, destiné aux étudiants de facultés de lettres devant assimiler les principes de physiques nécessaires à toute analyse prosodique.

D.2. Les travaux de Beyssade & al. :

Beyssade & al. (2004) s’intéressent également au sens des contours intonatifs mais en apportant un éclairage différent à cette recherche. Remettant en question le fait qu’une courbe montante signifierait une question et une courbe descendante une assertion, les auteurs pensent en revanche que les contours intonatifs signalent ce que pense le locuteur de ses propres croyances et de celles de son interlocuteur. Ainsi, une courbe descendante exprimerait le fait que le locuteur estime que ses croyances et celles de son interlocuteur sont si ce n’est consensuelles au moins compatibles, et une courbe montante le fait que le locuteur estime que les croyances de son interlocuteur seront en conflit avec les siennes mais qu’ils aboutiront à un consensus, l’interlocuteur adoptant le point de vue du locuteur. Enfin, une courbe montante-descendante signifierait que les croyances des interlocuteurs sont également conflictuelles mais que le locuteur finira par adopter celles de son interlocuteur.

D.3. Les travaux de Mertens :

18Qu’il a ensuite diversifié (WinPitch LTL) en lui ajoutant en 1998 une fonctionnalité ayant pour but de faciliter l’apprentissage de l’oral des langues secondes.

Mertens (1987) consacre une partie de sa thèse à l’explication du fonctionnement sémantique de l’intonation. Il stipule que la fonction énonciative de l’intonation renseigne les auditeurs sur l’attitude du locuteur envers son message et envers ses interlocuteurs. Il expose ainsi sa théorie :

« Les signifiés intonatifs ne se présentent jamais seuls, c’est-à-dire indépendamment des signifiés segmentaux, étant donné que le morphème intonatif se réalise toujours sur un support segmental précis. Ce support segmental possède déjà une signification particulière, qui résulte du signifié propre aux morphèmes lexicaux présents, de la construction syntaxique réalisée, du dispositif syntaxique choisi, et ainsi de suite. L’effet de sens global s’explique donc toujours à partir d’un ensemble de signifiés de nature différente ainsi qu’à partir de leur combinaison : qu’il s’agisse de signifiés intonatifs, lexicaux, syntaxiques, ou autres. » (p. 105).

Les effets sémantiques évoqués par l’auteur peuvent être :

# la fin d’un énoncé

# l’importance accordée au message

# le rôle dans la conversation (opinion personnelle)

# par rapport à celui qui écoute (demande de confirmation)

# l’appel à l’interlocuteur

# souligner l’évidence, l’assertion

# une opinion générale

D.4. Les travaux de Vaissière :

Dans une optique encore plus globale, Vaissière (2003) s’intéresse aux universaux de substance prosodique :

« La substance prosodique est l’ensemble des variations dans l’actualisation des phonèmes qui transmettent des informations autres que des indices permettant l’identification des segments. Ces informations prosodiques peuvent entretenir diverses relations avec le message linguistique : elles peuvent le redoubler, ou le modifier. ».

Elle émet l’hypothèse selon laquelle le lien entre le signifiant prosodique et son signifié est en grande partie motivé. De cette manière, une même configuration prosodique exprimerait la même signification dans un grand nombre de langues différentes, voire de manière universelle. Selon elle, les universaux les plus motivés seraient l’expression des émotions primaires telles que la peur ou la joie. Viendraient ensuite les universaux liés à l’expression des attitudes. Se situant dans la lignée des travaux de Fonagy, elle évoque à son instar la nécessité de prendre en compte, en plus de l’analyse des paramètres prosodiques, celle des phénomènes physiologiques, notamment glottiques, sous-glottiques et supraglottiques, ces derniers exerçant une influence sur la réalisation sonore du discours et sur sa perception.