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3. Cadrage théorique

3.1. La classe de langue et son cadre interactionnel

3.1.2. La relation interpersonnelle : définitions et fonctionnement

De manière générale on décrira la relation interpersonnelle sous la forme de deux axes complémentaires. Ces deux axes – l’un horizontal et l’autre vertical – décrivent différents degrés et formes de distance ou de proximité entre des interactants. Il est important de définir à quoi renvoient ces deux axes avant de se plonger dans leur fonctionnement en interaction.

En 1996, Kerbrat-Orecchioni définit la relation horizontale comme une relation proxémique allant de la distance à la familiarité entre les interactants. Celle-ci se caractérise par des données externes constituées d’un « certain cadre » et de « personnes données […] entretenant un

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Celles-ci s’observent par le biais d’« indicateurs [et de] constructeurs de la relation interpersonnelle » (Kerbrat-Orecchioni, 1995 : 72) également appelés « relationèmes ». Ces marqueurs peuvent être de trois types :

 Verbaux : pronoms d’adresse (tu/vous, professeur, etc.) et thèmes abordés,

 Paraverbaux : enchaînements rapides et chevauchements s’il existe une familiarité,  Non verbaux : contacts tactiles et oculaires, postures et mimiques (sourire, par exemple). Cette relation est souvent symétrique et peut faire l’objet d’une négociation entre les interactants en vue d’un rapprochement.

La relation verticale concerne quant à elle les rapports de hiérarchie pouvant exister entre les interactants. En fonction des données externes et internes à la conversation, ils pourront se retrouver en position haute ou en position basse. Si les marqueurs de la relation horizontale sont appelés « relationèmes », on parlera ici de « taxèmes » pouvant là aussi être de trois types différents :

 Verbaux : fonctionnement dissymétrique des pronoms d’adresse, actes de langage (ordre, excuse, etc.) et organisation des tours de parole (qui donne la parole ? qui la coupe ? etc.),  Paraverbaux : ton employé par les interactants,

 Non verbaux : organisation visuelle de l’espace communicatif, postures, etc.

Contrairement à la précédente, cette relation est souvent inégalitaire. Or dans une classe, on voit facilement qui de l’enseignant ou de l’étudiant se trouve habituellement en position haute. Cicurel décrit parfaitement cela lorsqu’elle explique en quoi la position de l’enseignant l’oppose aux étudiants : il est « topographiquement identifiable […] se trouve spatialement "détaché" [et] fait l’objet du "foyer d’attention visuelle" (Goffman, 198712) de la part de participants »

(2011 : 28). Même si cette relation est très souvent inégalitaire, les interactants pourront tenter de l’équilibrer par la modification de certaines données internes.

En effet, la relation pourra être négociée par le biais de comportements ou d’agissements de la part des interactants. Dans sa thèse, Bigot explique qu’en fonction des termes d’adresse employés et des formules de politesse utilisées, les interactants « se font savoir comment ils définissent leur rapport de place, comment ils perçoivent la distance sociale qui les sépare » (2002 : 106). Elle va même plus loin en précisant que c’est sur ces comportements que les interactants vont s’appuyer pour « redéfinir, tout au long de l’interaction, cette relation en

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constante recherche d’équilibre » (2002 : 106). Divers auteurs ont tenté de caractériser cette renégociation. Watts, pour sa part, estime que les interactants « ont la liberté de redéfinir les paramètres comme il leur convient » (in Bigot, 2002 : 106). Fraser (1990), quant à lui, décrit un « contrat interactionnel » (conversationnal-contract) dans lequel les participants ont la « possibilité » de renégocier ce contrat :

Nous pouvons commencer par reconnaître qu’en entrant dans une conversation donnée, chaque interactant apporte une interprétation d’un ensemble initial de droits et d’obligations. Celui-ci déterminera, au moins pour les étapes préliminaires, ce que les participants peuvent attendre l’un de l’autre, ou les uns des autres. Au fil du temps, ou en raison d’un changement de contexte, il y a toujours la possibilité de renégocier le contrat conversationnel : les interactants pourront réajuster les droits et les devoirs qu’ils ont vis-à-vis d’autrui. (Fraser, 1990 : 232)13

Bigot, enfin, va plus loin que l’idée de liberté et de possibilité décrite par ses prédécesseurs en faisant de la négociation de la relation une nécessité :

non seulement il y a toujours possibilité de renégocier le contrat mais il y a quasiment toujours nécessité de le (re)négocier ou du moins d’en renégocier certains termes soit pour combler un "vide juridique" […] soit pour modifier les termes d’un contrat qui peut nous être imposé de manière plus ou moins codée et rigide. (2002 : 107)

Avec cette dernière citation apparaît l’idée que la situation de l’interaction laissera plus ou moins de liberté aux participants de laisser place à une négociation. Fraser définit trois termes du contrat pouvant ou non être négociés (1990 : 232-233) :

 Les termes imposés par des conventions, applicables à toute conversation (parler de manière claire et intelligible, respecter les tours de parole, etc.) qui seront peu négociables,

 Les termes et conditions imposés par les institutions sociales et qui s’appliquent à l’interaction (chuchoter lors d’un service religieux, ne parler que si l’on y a été invité dans un tribunal, etc.) qui sont assez peu, voire jamais, renégociés,

 Les termes déterminés par des rencontres antérieures et qui évolueront à chaque interaction en fonction de la perception qu’auront les participants de leur rôle, de leur statut et des circonstances.

Concernant cette dernière catégorie, les participants auront la possibilité ou non d’activer certaines caractéristiques de leur statut et de leur rôle. Cela aura pour effet une réaffirmation de

13 Ma traduction : « We can begin with the recognition that upon entering into a given conversation, each party

brings an understanding of some initial set of rights and obligations that will determine, at least for the preliminary stages, what the participants can expect from the other(s). During the course of time, or because of a change in the context, there is always the possibility for a renegotiation of the conversational contract: the two parties may readjust just what rights and what obligations they hold towards each other. »

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ceux-ci bien que cela puisse les décrédibiliser. Bigot s’appuie sur une citation de Vion14 allant

dans ce sens : « Un sujet n’est d’ailleurs crédible dans un rôle que s’il donne l’impression de ne pas être écrasé par ce rôle et donc s’il montre qu’il sait le mettre partiellement à distance » (2002 : 111). Cette mise à distance pourra d’ailleurs aller en faveur d’un rapprochement entre les interactants, permettant ainsi l’émergence d’une relation moins inégalitaire. Certains aspects devront cependant être respectés, quelle que soit la négociation opérée.

Enfin, si l’on parle de la relation interpersonnelle, on ne peut pas ne pas évoquer la question de la face et du territoire. Ces deux aspects d’un même individu ont connu de nombreuses évolutions dans leurs dénominations et dans leurs définitions. Goffman est le premier à décrire la face comme étant la « valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers une ligne d’actions que les autres supposent qu’elle a adopté au cours d’un contact particulier » ([1967] 1974 : 9). A cette notion de « face positive » il ajoute celle de « territoire du moi » qui englobe l’espace personnel (espace entourant l’individu et sur lequel autrui ne doit pas empiéter), le territoire de la possession (effets personnels par exemple) et les réserves d’informations (ce que pense un individu, ce qu’il a dans les poches, etc.) (Goffman, [1981] 1987 : 44-53).

Brown et Levinson reprennent ces définitions dans leur modèle, et ce à deux reprises15et16 (Kerbrat-Orecchioni, 1996 : 51). Bien qu’ils intègrent les deux notions de Goffman, ils les rebaptisent « face positive » et « face négative » :

il s’agit là de deux composantes complémentaires de la personne, tout individu étant supposé désireux de préserver, et sa “face négative” (ensemble des “territoires du moi” – territoire corporel, matériel, spatial, temporel, cognitif…), et sa “face positive” (ou amour-propre : c’est la face que l’on peut “perdre” ou “sauver”). Ce désir/besoin de préservation des faces, c’est le face want. (Kerbrat- Orecchioni, 2000 : 22)

Le face want dont il est question répond au fameux principe « Ménagez-vous les uns les autres » (ibid. : 23). Pour ménager ces deux « composantes complémentaires », un face work – également appelé « politesse »17 – va se mettre en place. Goffman le décrit comme « tout ce qu’entreprend une personne pour que ses actions ne fassent perdre la face à personne (y compris

14 Vion, R. 1996. L’analyse des interactions verbales. Les Carnets du Cediscor 4, pp. 19-32.

15 Brown, P et Levinson, S.C. 1978. Universals in language usage: Politeness phenomena. In Goody, E. (éd.)

Questions and politeness. Cambridge : Cambridge University Press.

16 Brown, P. et Levinson, S. C. 1987. Politeness: Some universals in language usage. Cambridge: Cambridge

University Press

17 « Or ce face work, ce n’est ni plus ni moins que ce que Brown et Levinson entendent par politesse. » (Kerbrat-

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elle-même) » ([1967]1974 : 15). Cette politesse va donc être nécessaire au sein de l’interaction. Goffman va même plus loin en la décrivant comme une « condition de l’interaction » et non comme un simple « but » (ibid). En effet, les réactions des interactants en dépendent grandement :

Lorsqu’une personne ressent qu’elle a réussi à garder la face, sa réaction est typiquement de confiance et d’assurance. […] Lorsqu’une personne fait mauvaise ou piètre figure, […] il est fréquent que cette personne se sente honteuse et humiliée (ibid. : 11-12).

Afin d’éviter les situations de honte, et favoriser la confiance, il faudra donc éviter les potentielles menaces, aussi bien de la face que du territoire, et ce quelle que soit la négociation de la relation interpersonnelle. Cela permettra de construire un climat de classe serein et apaisé dans lequel les apprentissages pourront s’effectuer de manière plus fluide tout en permettant à chacun de trouver sa place en tant qu’individu respecté.