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4. Analyse

4.1. Construire un climat de classe favorable à l’émergence de la parole

4.1.2. Des difficultés à surmonter

La principale difficulté que j’ai eu à gérer concerne les absences des étudiants. En effet, de par leurs situations personnelles compliquées, il leur était parfois difficile de venir en cours. A ce propos, je leur avais donc demandé de me prévenir en cas d’absence afin que je puisse les noter comme « excusés » et non pas simplement comme « absents », ce qui d’un point de vue administratif n’avait pas le même impact. J’ai choisi de faire leur confiance en ne demandant pas de justificatifs. En effet, je ne souhaitais pas faire la police avec eux, sachant qu’ils avaient déjà de nombreuses demandes en ce sens auprès de la préfecture et d’autres administrations nationales. Les motifs d’absences évoqués concernaient d’ailleurs très souvent cela. D’autres étudiants ont également été absents pour diverses raisons : grèves des trains en fin de semestre (Extrait 4a – TP 016 à 026 : 120), cours dans d’autres composantes, etc.

Ayant été prévenue de cette difficulté par ma tutrice, j’ai essayé de ne pas proposer d’activités s’étalant sur plusieurs séances. Pour la création de la pièce de théâtre, il a fallu gérer les absences et trouver des solutions afin de les intégrer tous au mieux. Certaines absences répétées ont malheureusement parfois mené à la démission des étudiants : Omar qui vivait sur Annecy pouvait difficilement faire les allers-retours, Qais a dû s’absenter longuement pour

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suivre une formation à Pôle Emploi et Jafé est parti dans le sud de la France avant de revenir sur Grenoble. De manière globale, il y a eu peu d’absences – plus de la moitié d’entre eux ont été absents une fois ou moins – mais lorsqu’il y en avait, elles l’étaient pour une grande partie du groupe. Dans le groupe 1, la séance du 22 janvier ne comptait que six étudiants, et seul Abdullah m’avait prévenue de son absence. En ce qui concerne le groupe 2, seuls quatre étudiants étaient présents à la séance du 26 février. Lors de cette séance, la raison des absences est plus claire. L’atelier d’expression écrite animé par Emile Ouedraogo n’avait pas eu lieu et les étudiants du deuxième groupe étaient alors venus à 13h30 au lieu de 15h30 pour se greffer au premier groupe. Sachant que je proposais ce jour-là un atelier interculturel, j’avais souhaité conserver les effectifs habituels afin de laisser plus de temps et d’espace pour que chacun puisse s’exprimer. Les étudiants du groupe n’étaient pas tous revenus à 15h30. Je remarquerai d’ailleurs que le second atelier de ce type s’est fait avec le groupe classe complet, le 9 mai. S’il s’est très bien déroulé dans sa globalité, il a tout de même fallu que j’endosse de façon assez régulière le rôle d’animateur pour redistribuer la parole à tous les étudiants (cf. 4.3.1).

Comme je l’ai déjà brièvement évoqué, j’ai autorisé la présence d’un bébé en classe afin de permettre à Tamara de pouvoir venir. Ce choix s’est justifié par l’observation de l’assiduité de la jeune maman et des motifs d’absence évoqués. En effet, il a fallu attendre la quatrième séance pour que je rencontre Tamara qui s’était jusqu’alors occupée de sa fille, alors que David avait toujours été présent. De plus, lors de différentes séances, Tamara me prévenait par mail pour me dire qu’elle n’avait pas trouvé de baby-sitter pour s’occuper du nourrisson. Il arrivait également que ce soit David qui vienne me prévenir entre les deux cours à ce sujet. Si David a été très peu absent (3 absences), Tamara l’a été beaucoup plus souvent (6 absences). Je ne souhaitais donc pas qu’une fois de plus, Tamara ne puisse pas assister à un cours. Ces absences ont d’ailleurs eu des conséquences sur sa réussite au diplôme puisqu’elle n’a pas obtenu les notes suffisantes pour valider le DU PASS, alors que David l’a facilement validé.

Autre difficulté à gérer : les bavardages. Ils étaient souvent liés à mon impression de ne pas avoir tenu la classe. Lorsque les étudiants partaient dans des discussions alternatives, j’ai eu tendance à les ramener sur le sujet du cours de façon plus ou moins sévère. La plupart du temps, j’arrêtais simplement de parler avant de faire un grand signe de la main auquel les étudiants répondaient parfois de la même façon. Lorsque les discussions devenaient trop présentes, j’ai tenté de recadrer les étudiants. Je me suis alors parfois adressée au groupe classe (Extraits 2d : 111, 3b – TP032 à 033 : 115, 4h : 124 et 4j : 126), à des groupes d’étudiants (Extraits 4e: 123

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et 4f : 123) ou de façon nominative (Extraits 2h : 113, 4b : 121 et 4j : 126). Je vais décrire plus précisément ce dernier type de rappel à l’ordre, beaucoup plus violents pour les faces des étudiants visés.

Dans l’extrait 4j, je me suis retrouvée dans une situation très particulière. Alors que nous étions à l’Amphidice, j’ai surpris Moutasem et Saleh en train de faire des selfies alors que nous faisions le point sur la pièce de théâtre. Je m’étais alors dit « l’auraient-ils fait avec un autre enseignant ? » et la réaction des étudiants m’avait quelque peu énervée d’autant plus qu’ils n’avaient pas vraiment changé leur comportement (TP 021). Dans un autre extrait (2c : 110), Khaoula s’énerve alors qu’elle reproche à Jafé de lui avoir coupé la parole :

001 N vous m’en donnez d’autres euh: en [u] sur le plan↑ 002 Khaoula gymnase de l’île d’amour

003 Jafé (en regardant Khaoula) euh:: l’île d’amour 004 N l’île d’amour oui (se retourne pour écrire) 005 Khaoula (à Jafé, sur un ton sec) euh: et c’est mon tour hein 006 David c’est pas grave

007 Khaoula c’est mon tour et c’est ma phrase aussi 008 Salomão ah bon↑ qui c’est qui a voté↑

009 N (en se retournant vers Khaoula) ouais mais c’est MON cours donc je prends quand même (sourire)

010 Khaoula (plus doucement) ouais mais eux XXX 011 Jafé en F-X

012 N mais non t- vous l’avez tous dit c’est ‘fin c’est très bien hein

Même si dans les faits, cela s’est déroulé en à peine quelques secondes et que j’ai agi sur le moment, je me dis qu’il aurait été judicieux de ne pas seulement m’adresser à Khaoula qui par conséquent semblait être la seule à qui ma remarque était destinée. J’aurais pu également m’adresser à Jafé qui avait interrompu l’étudiante alors que c’était à son tour de parler, ce que semble me faire remarquer l’étudiante (TP 010). Je tiens d’ailleurs à souligner un choix de transcription qui a peut-être influencé mon analyse. En effet, j’ai transcrit le son [ø] par la graphie « eux » et non pas « euh ». L’étudiante ayant lancé un regard vers ses camarades, je ne l’ai donc interprété comme une hésitation. Par ailleurs, lorsque j’emploie le possessif au tour de parole 009, il ne s’agissait pas vraiment pour moi de poser mon autorité ou de rappeler aux étudiants que j’étais bel et bien l’enseignante, mais plutôt de reprendre la formule que Khaoula emploie au tour de parole 007. Un autre extrait (2h : 113) avec la même étudiante a retenu mon attention et fait le lien avec la notion que j’aborderai immédiatement après :

001 N Khaoula si ça t’intéresse pas tu sors ++ et si t’as ENVIE de participer↑ c’qui est très bien↑ participe avec tout le monde + parc’que je suis SÛRE que t’as des trucs intéressants à dire 002 Khaoula oui

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003 N mais:: y en a que trois ou quatre qui te comprennent ++ merci (se tourne vers Mohamed pour

lui donner à nouveau la parole)

Alors que j’avais été assez violente avec l’étudiante, je me suis vite ravisée et ai utilisé un grand nombre d’adoucisseurs : « c’qui est très bien », « je suis SÛRE que t’as des trucs intéressants à dire » et « merci ». En effet, si lors du premier extrait je n’avais pas tout de suite réagi, il m’avait ici tout de suite semblé que ma réaction était disproportionnée, ce qui aurait pu bloquer Khaoula, alors que le but de cet atelier était justement d’échanger et de partager des expériences. Ce qui m’avait fait réagir de la sorte était le passage direct par une langue que tout le monde ne comprenait pas. Lors des bavardages, j’ai pu observer cette place que prenaient les langues d’origine des étudiants. Lors des premiers cours, j’ai parfois tenté d’éviter le passage par les langues étrangères, précisément parce que je n’étais pas au clair avec moi-même sur la façon dont je souhaitais les gérer. Très rapidement je me suis rendu compte que les alternances codiques entre les langues se faisaient à deux occasions : les bavardages entre étudiants et les considérations lexicales (traductions et comparaisons entre langues). Hala a confirmé mon impression lors de notre entretien en précisant, que même dans la phonétique, les langues étaient présentes, alors que je ne m’en étais moi-même pas rendu compte. Comme pour l’extrait précédemment proposé, d’autres bavardages – principalement en arabe – ont eu lieu. Dans l’extrait 4f, les étudiants me confirment d’ailleurs très clairement qu’ils ne sont plus tout à fait sur l’objet du cours :

008 N EH LES GARÇONS on vous a écoutés donc l’::effort se serait d’écouter les autres aussi 009 Ivan on vous organise #le repas# de:: ++

010 N bah ça vous l’organiserez APRES + là on est en cours↓ c’est gentil hein + mais après 011 Ivan non on organise plus (en rigolant)

012 N du coup on organise plus↓

Lorsque les étudiants utilisaient les langues pour s’assurer de la bonne compréhension d’un terme ou parce qu’un mot français leur rappelait celui employé dans leur langue, je saisissais ces instants. En effet, il me semblait important de montrer aux étudiants que leurs langues pouvaient trouver une place au sein de la classe et parfois faciliter la mémorisation de la langue cible. J’essayais moi-même de recourir à d’autres langues afin de leur montrer les liens existants. Ainsi dans l’extrait 2b, français, arabe et anglais se côtoient dans un jeu de ressemblance entre « boussole », « ةلصوب » [busl], « compass » et « compas ». J’ai également sélectionné l’extrait 4c assez représentatif des situations vécues lors des traductions en arabe. Celles-ci étaient très courantes étant donné que cette langue était partagée par de nombreux étudiants. En effet, après avoir entendu des traductions au mot « envieux », je demande si c’est

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bien clair pour tout le monde, ce à quoi Louae me répond « on espère » (TP 022). Cela a mené à d’autres situations assez drôles : Saleh me demande de lui confirmer la traduction arabe d’un terme français et je lui réponds « Sûrement ! » ; lors de la dernière répétition de la pièce de théâtre, ne sachant toujours pas si nous serions à l’Amphidice, Louae lance un « Inch’Allah » auquel j’acquiesce par un « Comme tu dis ! » ; alors que nous sommes en train de faire ces inscriptions, Hanin ne comprend pas pourquoi je lui demande de me confirmer qu’il s’agit bien de la case « Déconnexion » alors que sa messagerie est paramétrée en arabe. Ce dernier exemple va maintenant me permettre de parler de l’évolution qu’a connue ma relation avec les étudiants, en raison de nos nombreuses discussions en tête-à-tête.