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3. Cadrage théorique

3.3. Diversifier l’expression orale

3.3.3. Donner une place à l’interculturel

Si l’on cherche à donner un premier aperçu rapide de ce qu’est l’interculturel, on pourra dire qu’il s’agit d’un « processus dynamique d’échanges entre différentes cultures » (Chaves et

al., 2012 : 12). Sa définition en tant que concept date des années 70/80 et est assez importante

pour que le Conseil de l’Europe y dédie un ouvrage dès 198625 et qu’Abdallah Pretceille ou

encore Zarate se penchent sur la question quelques années plus tard. Dans L’interculturel, De Carlo cite la définition qui y est faite : « L’emploi du mot "interculturel" implique nécessairement, si on attribue au préfixe "inter" sa pleine signification, interaction, échange, élimination des barrières, réciprocité et véritable solidarité » (1999 : 41). Dans le CERCL –

25 Conseil de l’Europe. 1986. L’interculturalisme : de l’idée à la pratique didactique et de la pratique à la théorie.

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paru quinze ans plus trad –, le Conseil de l’Europe va plus loin que cette idée d’échange en décrivant une « prise de conscience interculturelle » ainsi que des « aptitudes et savoir-faire interculturels » (2001 : 83-84). A propos de la première, il est dit qu’elle est due à « la connaissance, la conscience et la compréhension des relations, (ressemblances et différences distinctives) entre "le monde d’où l’on vient" et "le monde de la communauté cible" ». Au-delà de cela, elle inclut « la conscience de la manière dont chaque communauté apparaît dans l’optique de l’autre » (ibid. : 83). Pour ce qui est des aptitudes interculturelles, elles englobent la capacité à jouer le rôle de médiateur culturel en cas de malentendus ou de conflits, à aller au- delà des stéréotypes, à entrer en contact avec des gens d’une autre culture et établir une relation avec eux (ibid. : 84).

Cette prise de conscience interculturelle et ces aptitudes vont également avoir des répercussions sur les compétences communicatives des apprenants. En effet, en comprenant mieux les codes et les règles de communication de la culture qui les entoure, ils seront mieux à même de réagir face aux situations qu’ils rencontreront. De Carlo va tout à fait en ce sens lorsqu’elle écrit que :

la prise de conscience de la société étrangère, dans sa réalité actuelle et dans son arrière-plan historique, se trouve étroitement liée à l’apprentissage et à l’utilisation de la langue dans la communication réelle, en dehors de la salle de classe (1999 : 45)

Cependant, comme le font remarquer à juste titre les auteurs de L’interculturel en classe, celui-ci « n’est pas un contenu d’enseignement mais plutôt une démarche qui la construction de passerelles, de lien entre les cultures » (Chaves et al., 2012 : 12). On voit bien que cette démarche – également appelée « perspective » ou « approche » – ne vise pas une assimilation d’une culture par une autre mais un réel partage, un « enrichissement culturel réciproque » (ibid.). Si nous nous attardons particulièrement sur ce point, c’est que certains dispositifs ont parfois été ressentis comme un « laverie » visant à dépouiller d’une part d’identité pour en adopter une nouvelle. Dans son roman autobiographique Marx et la poupée26, Maryam Madjidi – iranienne exilée en France à l’âge de six ans devenue professeur de FLE – décrit son ressenti suite à l’expérience des « classes d’initiation » (CLIN) :

j’ai compris que j’avais subi un vaste nettoyage. Comme s’il fallait cacher notre différence et puis procéder à un effacement total. […] Ensuite, une fois que le travail de "cleaning" a bien été accompli, on l’envoie dans la "vraie" classe. CLIN ou CLEAN, c’est tout comme. On efface, on nettoie, on nous plonge dans les eaux de la francophonie pour laver notre mémoire et notre identité et quand c’est tout

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propre, tout net, l’intérieur bien vidé, la récompense est accordée […] Oublie d’où tu viens, ici ça ne compte plus. (Madjidi, 2017 : 135)

A la lecture de ces mots, on comprend la nécessité de laisser une place à l’identité des apprenants. A ce sujet, on parlera, non pas d’une construction de l’identité, mais d’une « (re)construction » de son identité dans la relation à Autrui ou d’une « (re)connaissance » de soi pour mieux reconnaître l’autre (Guillén Díaz, 2007 : 192 et 194). Il s’agit en effet du processus mis en avant par la démarche interculturelle : « la perspective interculturelle permet de mieux comprendre l'Autre, sans nécessairement tout accepter de lui ; d'apprendre à communiquer avec lui, tout en gardant sa propre identité et sa personnalité. » (Tost-Planet, 2002 : 51-52). Cette notion de compréhension est fondamentale aussi bien pour celui qui découvre une culture nouvelle que pour celui qui en fait partie. En effet, De Carlo reprend l’idée d’Oberg selon laquelle « un étranger est soumis à un effort continu d’adaptation à la culture du pays d’accueil, ce qui crée un état de tension et engendre souvent des incompréhensions » (1999 : 43). Celle-ci donne lieu à ce qu’Oberg nomme un « choc culturel »27 ou que De Carlo nomme « insécurité causée par l’inconnu » (ibid. : 42). Selon Guillén Díaz, négociation et empathie seront donc nécessaires pour « éviter le choc culturel [et] ressentir ce que l’Autre ressent sans pour cela cesser d’être soi-même (Thomas, 200228) ». Par ces façons d’agir, cela

implique de nous une remise en cause, une réflexion sur notre propre identité, ce qui peut mener à des prises de conscience ou une (re)connaissance de soi (2007 : 192).

Une façon de prendre en compte l’identité de l’Autre est de laisser une place à ses langues – maternelles ou non –, en ne cherchant pas à en imposer une : la langue cible. La place des langues maternelles en classe de langue étrangère est un sujet qui fait débat. Doit-on autoriser le recours aux langues maternelles ou non ? Jusqu’à quel niveau est-il acceptable ? Est-il la preuve d’une solution de facilité choisie par les apprenants ? Dans son article de 2016, Giroux cherche à répondre à ces questions. Pour ce qui est de la place des langues maternelles, elle fait le constat de la « présence de l’alternance codique » ainsi que du « bilinguisme voire […] plurilinguisme quasi inévitable » (2016 : 56). Elle explique ces alternances codiques par le côté rassurant et spontané de la langue maternelle dans un contexte où l’on cherche à une apprendre une nouvelle, moins maîtrisée. Elle prend d’ailleurs le lecteur à parti en lui rappelant qu’il a

27 Oberg, K. 1960. Cultural Shock: Adjustment to New Cultural Environments. Practical Anthropology 7, pp. 177-

182.

28 Thomas, M. 2000. Acquérir une compétence interculturelle – Des processus d’apprentissages interculturels au

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surement déjà eu recours à sa langue maternelle alors qu’il était en position d’apprenant de langue étrangère.

L’auteure prend ensuite le temps de voir quelles sont les utilisations de la langue maternelle aux différents niveaux (débutant, intermédiaire et avancé). Nous ne développerons ici que les aspects concernant le niveau intermédiaire, qui correspond au niveau des étudiants du DU PASS. Elle explique que pour ce niveau, les apprenants vont avoir recours à la langue maternelle afin « d’assurer et de vérifier leur compréhension des points grammaticaux ou métalinguistiques complexes leur permettant ainsi d’asseoir la construction des aptitudes, savoir-faire et compétences linguistiques » (ibid. : 61). Une fois cela pris en compte, il s’agira non plus de voir la langue maternelle comme un obstacle mais comme un atout permettant d’établir des analogies et des différences entre les différentes langues de leur répertoire langagier (ibid. : 64).

Tout comme l’interculturel, cette place donnée aux langues participe aussi à la construction de l’identité. Moïse décrit un système d’« entre-deux-langues » dans lequel il sera alors possible de se (re)construire. En effet, dans les ateliers mis en place, ce sentiment a pu émerger grâce à la prise en compte des langues des participants : « Ce passage par la langue étrangère offre une nouvelle construction du je sujet. […] À travers l’entre-deux langues, entre-deux soi, entre- deux corps, élèves et étudiants ont cherché à se rassembler en leur "je". » (2007 : 314). Pour conclure sur cet aspect, nous emploierons les termes de l’auteure afin de montrer que la valorisation des langues maternelles n’est pas un frein mais un moteur : « Parce que valoriser […] les langues et l’écriture, c’est valoriser les locuteurs de la langue : façon de mieux s’amarrer aux rives de la langue française, de mieux se l’approprier » (ibid. : 311).

Après avoir développé les notions centrales de ce mémoire, nous allons maintenant analyser les différentes données recueillies, tout en gardant à l’esprit la problématique : comment gérer la parole personnelle d’étudiants réfugiés et demandeurs d’asile en classe de langue ?

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