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2.1. La théorie de la gouvernance réflexive

2.1.3. La relation entre le sujet et l’institution

Pour mieux comprendre la place du parent dans le système d’éducation ainsi que le défi du passage d’une action individuelle (par exemple l’expression d’une insatisfaction) à une action collective (par exemple la création d’un groupe-fondateur) et mieux en saisir les enjeux, il est pertinent d’analyser la relation entre le sujet et l’institution. Pour ce faire, trois principes décrits par Maesschalck (2004) et repris par Brabant (2010) sont utilisés.

2.1.3.1. Le principe d’opacité

Le principe d’opacité élaboré par Maesschalck s’inspire de la philosophie du sujet dans la lignée de Kant, Husserl, puis Bourdieu, Badiou et enfin Taylor (Maesschalck, 2004, cité dans Brabant, 2010). Ce principe est nommé ainsi en opposition à la notion de transparence dans la nouvelle fonction publique. Ainsi, les rôles des acteurs en relation avec l’institution sont le plus souvent clairement établis, définis, circonscrits en fonction des attentes de l’institution envers eux. Les sujets qui se conforment à cette définition de tâches sont alors en situation de transparence par rapport à l’institution. Toutefois, selon sa conception de la position du sujet dans l’institution, Maesschalck (2004, cité dans Brabant, 2010) « établit que le sujet, par sa nature unique, son identité complexe et sa créativité, dépasse toujours le rôle qu’il occupe au sein d’une organisation » (p. 15). En effet, il arrive que des sujets mobilisent d’autres compétences, des rôles différents, une compréhension nouvelle du rôle qui leur est dévolu ou une créativité dans son exécution.

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Ils sont alors, selon Maesschalck, en situation d’opacité. Il avance que l’institution compte souvent sur cette opacité des individus pour régler des problèmes nouveaux ou simplement assumer un rôle avec intelligence et jugement. Par contre, cela peut entraîner des inadéquations entre les normes énoncées et leur application, des difficultés de procédure ou des mésententes entre acteurs, dès lors qu’ils s’écartent des rôles prévus.

Le principe d’opacité peut être projeté sur tous les parents en tant que sujets au sein de l’institution éducative. Brabant (2010) explique que :

[L]a créativité, l’initiative et les compétences diverses des parents sont nécessaires à la complexe tâche d’éducation qui leur revient. […] Toutefois, le système scolaire, comme toute organisation qui définit ses acteurs par leur fonction, maintient le parent dans un rôle de soutien à sa mission et de nécessaire interlocuteur adulte jusqu’à la majorité de l’enfant, ignorant ainsi la capacité d’action, d’engagement et de jugement du parent relativement à l’éducation de son enfant et au renouvellement de l’institution. (p. 144)

La Figure 4 qui suit illustre ce principe, tel que nous l’interprétons dans le cas du parent d’élève en relation avec l’institution scolaire. L’ensemble de gauche représente le rôle du parent d’élève par rapport à son enfant et à ses enseignants. Celui de droite représente le rôle d’un citoyen en relation avec nos institutions démocratiques, tel que le système d’éducation, avec le pouvoir de participation à la gouvernance que cela lui confère. Le parent qui propose l’ouverture d’une école alternative, avec son désir de participation des parents à la cogestion de l’école alternative, sa demande de création d’une école différente, ses valeurs tirées des pédagogies alternatives, sans oublier ses compétences et aspirations personnelles, se trouve dans la zone d’intersection du schéma, soit à la fois dans un rôle de parent très impliqué et dans un rôle de citoyen très engagé en relation avec une institution démocratique. On peut donc le considérer particulièrement « opaque » par rapport à la zone plus restreinte habituellement occupée par le parent d’élève dans une école régulière.

Figure 4. Rôle du parent au sein de l’institution éducative, selon le principe d’opacité de Maesschalck (2005)

2.1.3.2. Le principe d’ignorance

Le principe d’ignorance, tel que le conçoit Maesschalck (2004), postule que chaque acteur est ignorant du savoir des autres acteurs. Par exemple, l’institution est dans une situation d’ignorance par rapport au vécu et aux connaissances du parent en ce qui concerne son enfant. Elle est aussi, bien souvent, dans l’ignorance des méthodes éducatives alternatives ainsi que des modes de cogestion préconisés dans ces écoles, alors que ce domaine est approfondi par les groupes-fondateurs. La commission scolaire, quant à elle, possède aussi un champ d’expertise, en particulier en ce qui a trait aux procédures administratives et aux aspects financiers, responsabilités dont les parents peuvent être ignorants. Ce sont des zones de spécialisation qui peuvent faire en sorte que chacun manœuvre à son avantage, en profitant des zones d’incertitude de l’autre. Argyris et Schön (1996, cité dans Brabant, 2010) proposent de développer les compétences d’une organisation à partir du principe de « reconnaissance du savoir respectif de chacun des

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acteurs (frame) en fonction de sa position dans l’organisation, pour permettre un accroissement de réflexivité et la construction de savoirs d’expériences » (p. 145).

La Figure 5, qui suit, illustre ce principe tel que nous l’appliquons à la situation du parent demandeur d’une école alternative qui se trouve en face d’un agent de la commission scolaire n’ayant jamais répondu à une telle demande.

Figure 5. Rôle du parent au sein de l’institution éducative, selon le principe d’ignorance de Maesschalck (2005)

2.1.3.3. Le principe d’exception

Le troisième principe, appelé « principe d’exception », fait référence à la conception de l’action coopérative partagée de Bratman (1999, cité dans Brabant, 2009). Selon lui, une action coopérative forte suppose « une responsabilité mutuelle au plan des intentions et des actes; un engagement dans la poursuite de l’activité commune; [et] un

soutien mutuel dans l’exécution de la mission qui incombe à chacun (p. 94-95, Bratman, 1999, cité dans Brabant, 2009, p. 15).

Le principe d’exception annonce que tout sujet placé dans une situation d’exception par rapport à un domaine d’activité institutionnelle ou aux normes institutionnelles se trouve vulnérabilisé par cette position. Il peut en résulter des risques et des désavantages. En effet, les institutions sociales sont conçues pour répondre à un besoin partagé par un grand nombre d’individus; par conséquent, une procédure est prévue pour traiter chaque cas d’espèce. Toutefois, ces structures sont habituellement mal adaptées pour gérer des cas exceptionnels.

Selon Maesschalck (2005), alors qu’une action coopérative forte en faveur de la mission institutionnelle devrait favoriser la responsabilité mutuelle, l’engagement et le soutien mutuel, il demeure qu’un sujet se trouvant dans une situation d’exception risque d’en être exclus et ce, parfois pendant toute la durée de sa relation avec l’institution. Le fait que la situation des groupes-fondateurs et des écoles alternatives soit marginale et souvent exceptionnelle pour les commissions scolaires et les autres acteurs scolaires peut expliquer le peu d’intéressement et de réflexion au sujet de l’apport de ces méthodes éducatives pour ces familles. La Figure 6 illustre ce principe en fonction de la situation du groupe de parents désirant profiter de la mesure exceptionnelle prévue à la Loi sur l’instruction publique pour la création d’une école à projet particulier.

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Figure 6. Rôle du parent au sein de l’institution éducative, selon le principe d’exception de Maesschalck (2005)

Les principes d’opacité, d’ignorance et d’exception illustrent « le défi du passage d’une position individuelle du sujet au sein d’une institution à une action collective confiante en sa contribution à l’institution » (Brabant, 2009, p. 17). Premièrement, le principe d’opacité met en lumière l’importance de miser sur l’opacité des individus pour faire profiter l’institution, les enfants et la société de leurs compétences et de leur créativité dépassant le rôle qui leur est assigné. Deuxièmement, le principe d’ignorance souligne l’importance des savoirs d’expérience propres à chaque position et du rapport de réciprocité et d’échange à établir entre eux. Enfin, le principe d’exception expose les risques d’exclusion des groupes-fondateurs à une participation à une action coopérative forte et à ses bénéfices, par exemple l’accès aux ressources coopératives publiques. Ces principes, lorsqu’ils sont reconnus, peuvent ainsi permettre à l’institution de s’engager pour une plus grande justice de son organisation et d’être un moteur de changement.