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LA RECONNAISSANCE JUDICIAIRE

Dans le document L'unité économique et sociale (Page 197-200)

235. La reconnaissance d’une réalité–La reconnaissance judiciaire de l’UES permet

à un juge de se prononcer sur le rapprochement de plusieurs personnes juridiquement distinctes. En constatant des liens relativement étroits entre ces personnes, le juge retient

l’existence d’une unité économique et celle d’une unité sociale. Cette démarche opérée par le juge tend à aller dans le sens d’une assimilation de l’UES à l’entreprise. Le juge est appelé à

reconnaître une réalité de terrain, il constate qu’il existe de facto une UES-entreprise. Il est

saisi dès lors qu’une entreprise est en train de naître sous la forme d’une unité économique et

sociale entre plusieurs personnes juridiques. Pour autant, le contentieux relatif à la reconnaissance judiciaire demeure toujours vif.

D’une part, la question du juge compétent en la matière reste aujourd’hui encore posée, l’article L. 2322-4 du Code du travail visant uniquement la reconnaissance de l’UES par

« décision de justice » (Section 1). D’autre part, la question de l’autorité attachée à la reconnaissance judiciaire de l’UES fait l’objet de nouvelles décisions de la part de la Cour de

cassation (Section 2). Le régime juridique de la reconnaissance judiciaire d’une UES pourrait

être amené à évoluer encore dans les années futures.

Section 1 – La reconnaissance de l’UES par décision de justice

236. L’évolution jurisprudentielle Dans les années 1970, à partir du moment où la Cour de cassation a dégagé la notion d’unité économique et sociale, elle a dû déterminer le

juge compétent pour reconnaître une telle unité (§ 1). La jurisprudence n’a pas modifié sa position concernant la juridiction compétente. En revanche, s’agissant de l’action contentieuse, certaines évolutions sont apparues au fil de l’élaboration de la

§ 1 – LA JURIDICTION COMPÉTENTE

237. Le tribunal d’instance –Le juge compétent n’a pas été désigné par le législateur.

La Cour de cassation, saisie de cette question, a estimé, « en réalité de manière purement prétorienne »650, que l’action en reconnaissance d’une unité économique et sociale «relève de

la compétence du tribunal d’instance »651. Cette solution fait l’objet d’une jurisprudence constante. La Haute juridiction a toujours décidé que le tribunal d’instance était compétent en

la matière (A). Une partie de la doctrine entend, pour sa part, remettre en cause la compétence

du juge d’instance en matière de reconnaissance judiciaire de l’UES. Porter l’action en

reconnaissance devant le tribunal de grande instance serait plus adéquat au regard de la législation actuelle (B).

A –LA DÉSIGNATION JURISPRUDENTIELLE DU TRIBUNAL D’INSTANCE

238. Lien avec le contentieux électoral – Dès l’origine, la Cour de cassation a établi un lien entre l’UES et le contentieux électoral. Aujourd’hui encore, ce lien perdure. La reconnaissance d’une UES entraîne la mise en place de la représentation institutionnelle

appropriée. Ceci constitue la raison pour laquelle le tribunal d’instance est compétent (1). Pour que cette reconnaissance judiciaire puisse se faire, encore faut-il savoir quel est le tribunal territorialement compétent (2).

1 La notion d’UES étroitement liée au contentieux électoral

239. Initialement – La désignation du juge d’instance s’explique par la genèse de l’UES. Initialement, la reconnaissance d’une UES permettait uniquement la mise en place d’un comité d’entreprise commun652. Le contentieux de la reconnaissance de l’UES

constituait alors exclusivement un accessoire du contentieux électoral. Or, la matière

électorale relève de la compétence du tribunal d’instance, l’ancien article L. 433-11 du Code

650

A. CŒURET, « Le juge compétent pour connaître de l’UES », Semaine sociale Lamy, n° 1303, p. 6 651

Cass. soc. 29 oct. 2003, n° 02-60.820, Bull. civ. V, n° 271 ; Cass. soc. 10 mai 1983, n° 82-60.274, Bull. civ. V, n° 255 ; Cass. soc. 30 mars 1978, Bull. civ. V, n° 247 : « le litige relatif à l’existence ou non d’une unité économique et sociale constituée par les trois sociétés était de la compétence du tribunal d’instance ».

652

du travail653 précisant sur ce point que « les contestations relatives à l’électorat, à la

régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de

la compétence du tribunal d’instance ».

C’est précisément au moment de l’organisation des élections des représentants du

personnel que le juge pouvait être saisi d’une demande de reconnaissance d’une UES, les demandeurs contestant le périmètre des élections retenu par l’employeur654. La saisine du

tribunal d’instance en matière d’élection des membres du comité d’entreprise se justifiait alors pleinement. Cette compétence d’attribution dévolue au tribunal d’instance demeure toujours. Le contentieux électoral, qu’il concerne l’élection des membres du comité d’entreprise655, ou celle des délégués du personnel656, de même que le contentieux relatif aux désignations syndicales657relève de la compétence du tribunal d’instance.

240. Élargissement du champ d’action de l’UES – Mais, aujourd’hui, l’UES est

amenée à exister au-delà des élections professionnelles658. La question du maintien de la

compétence du tribunal d’instance s’est posée avec l’élargissement du champ d’action de l’UES. La Cour de cassation a ainsi dû répondre à cette question de droit nouvelle659, à savoir

si la compétence du tribunal d’instance doit être maintenue en dehors de tout litige électoral.

Elle a émis un avis allant dans le sens du maintien de la compétence du tribunal d’instance. L’avis du 19 mars 2007660, rendu par suite d’une demande d’avis formulée par le tribunal d’instance d’Angers le 14 décembre 2006661, est relativement bref. La Cour de

653

Recod., C. trav. art. L. 2324-23 654

Pour une illustration, Cass. soc. 6 nov. 1985, n° 84-60.751, Bull. civ. IV, n° 510 655

L’article L. 2324-23 du Code du travail désigne uniquement le « juge judiciaire» lorsqu’il énonce que

« les contestations relatives à l’électorat, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de la compétence du juge judiciaire». L’article R. 2324-23 du Code du travail

précise que le tribunal compétent en la matière est le tribunal d’instance. 656

L’article R. 2314-17 du Code du travail dispose que « les contestations relatives à l’électorat et à la régularité des opérations électorales prévues à l’article L. 2314-25 sont de la compétence du tribunal d’instance, qui statue en dernier ressort. »

657

L’article R. 2143-5 du Code du travail dispose que « le tribunal d’instance statue en dernier ressort sur les contestations relatives aux conditions de désignation des délégués syndicaux légaux ou conventionnels ». 658

V. supra, n° 329 et s. 659

Dans un jugement en date du 23 décembre 2005, le tribunal d’instance du 15ème arrondissement de Paris

s’était déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris. Le tribunal d’instance d’Angers a préféré former une demande d’avis auprès de la Cour de cassation comme le lui permet la loi avant de pouvoir

trancher sur la question du juge compétent pour connaître de l’UES. La demande d’avis a été instituée par une

loi du 15 mai 1991. Elle est régie par les articles L. 441-1 à L. 441-4 du Code de l’organisation judiciaire, et, en

matière civile, par les articles 1031-1 et suivants du nouveau Code de procédure civile. L’avis de la Cour de

cassation est sollicité pour « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ».

660

Avis n° 0070005P du 19 mars 2007 portant sur la compétence d’attribution du tribunal d’instance en matière de reconnaissance judiciaire d’une unité économique et sociale

cassation raisonne en trois temps. Elle part du postulat selon lequel « la reconnaissance

judiciaire d’une unité économique et sociale impose la mise en place des institutions

représentatives du personnel qui lui sont appropriées ». La Cour établit un lien systématique

entre l’UES et les représentants du personnel. Ce lien, qui existe depuis la création de la notion d’UES, est maintenu malgré l’élargissement des compétences de l’UES. L’UES

reconnue judiciairement doit pouvoir servir de cadre aux élections des délégués du personnel

et des membres du comité d’entreprise et à la désignation des délégués syndicaux. La finalité première de l’UES, à savoir l’obligation de mettre en place les institutions représentatives du personnel correspondant à cette nouvelle configuration, garde toute sa prééminence

aujourd’hui. Les finalités nouvelles de l’UES, voulues essentiellement par le législateur,

restent, pour le moment, secondaires.

Face à ce constat, la Cour de cassation décide que la compétence du tribunal d’instance

doit être maintenue. Elle affirme que « l’action tendant à cette reconnaissance relève en conséquence de la compétence d’attribution du tribunal d’instance ». Répondant à la question précise du tribunal d’instance d’Angers, elle déclare, enfin, qu’«il en est de même de l’action aux fins de modification, par voie d’élargissement ou de réduction, du périmètre d’une unité

économique et sociale ».Les faits de l’espèce expliquent cette dernière précision de la Cour

de cassation. Après le départ d’une société d’un groupe composant une unité économique et

sociale, les autres sociétés ont invité les syndicats à négocier la modification du périmètre de

l’UES. Face au refus des syndicats, le tribunal d’instance est saisi afin de faire juger l’exclusion de ladite société de l’UES. Il s’agissait donc d’une action aux fins de modification du périmètre de l’UES, par voie de réduction, laquelle relève bien du tribunal d’instance.

La jurisprudence retient sans équivoque la compétence du tribunal d’instance pour toute demande de reconnaissance judiciaire d’une unité économique et sociale. Les personnes

souhaitant faire une telle demande doivent alors saisir le tribunal territorialement compétent, les différentes personnes morales susceptibles d’être incluses dans une UES n’étant pas

nécessairement toutes situées dans une seule zone géographique.

661

Jugement du tribunal d’instance d’Angers rendu le 14 décembre 2006, par lequel le tribunal demande à la Cour de cassation son avis sur cette question : « L’action judiciaire aux fins de modification par voie d’élargissement ou de rétrécissement du périmètre d’une unité économique et sociale, en l’absence de tout contentieux électoral (indépendamment de tout litige portant sur l’organisation ou le déroulement d’élections professionnelles) relève-t-elle de la compétence d’attribution du tribunal d’instance ou de celle du tribunal de grande instance ? »

Dans le document L'unité économique et sociale (Page 197-200)