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La réponse traditionnelle du droit français

Dans le document Le procès environnemental (Page 98-100)

Les règles gouvernant la compétence du juge : le défi de la nature transnationale du litige

Section 2- L’action engagée contre l’entreprise : des évolutions à encourager

1) La réponse traditionnelle du droit français

D’un côté, pour les pays membre de l’Union, les règles de compétence ne sont pas un obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de la société-mère dès lors que celle-ci est domiciliée sur le territoire de l’un des États-membres. Concernant la société mère, le nerf de la guerre ne réside pas dans le conflit de compétence, mais dans la substance de la loi applicable. En effet, le règlement (CE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, Bruxelles I bis (concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale) qui leur est applicable prévoit que le demandeur peut saisir le tribunal du domicile des personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre (art. 4.1). Ainsi pour les victimes étrangères est-il possible, en cas de litige environnemental transnational, de saisir le juge français lorsque la société mère est domiciliée en France. Et ce sera le juge allemand dès lors que la société mère est domiciliée en Allemagne, comme le montre la recevabilité de l’action intentée récemment par un fermier péruvien contre l’entreprise énergétique allemande RWE au sujet des dommages climatiques qu’elle causerait sur son territoire269.

D’un autre côté, les difficultés surgissent lorsqu’il s’agit de mettre en jeu la responsabilité d’une entreprise établie sur un sol étranger, en l’occurrence celui sur lequel a eu lieu le dommage. Dans ce cas, selon le même règlement Bruxelles I bis, sauf exception, « Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État » (art. 6). Si du côté français, en vertu des règles de droit commun de la compétence internationale, le juge n’est compétent que lorsque le fait dommageable s’est produit en France ou lorsque la victime est de nationalité française, en revanche, elle admet, dans le cas où il y aurait plusieurs défendeurs, la possibilité d’attraire l’ensemble des défendeurs devant le juge du domicile de l’un d’entre eux (art. 42 al. 2 du Code de procédure civile transposé à l’ordre international), donc de la société mère, dès lors que le « défendeur d’ancrage » est un défendeur sérieux, autrement dit que sa responsabilité pourrait être engagée sur le fond. Il s’agit de la théorie des codéfendeurs.

Cependant, la responsabilité de la société mère étant plus qu’aléatoire, le défendeur d’ancrage est rarement considéré comme sérieux. Si le juge est appelé à appliquer la loi française, l’action en responsabilité engagée par les victimes étrangères contre l’entreprise

269 Affaire préc.

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transnationale française a peu de chance d’aboutir à sa condamnation, selon les propos d’Olivera Boskovic. Rappelons que, au regard de l’article 4.1 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (Rome II) relatif à la loi applicable aux obligations non-contractuelles, en matière de responsabilité civile, si la loi applicable est celle du pays où le dommage est survenu, par dérogation, l’article 7 du règlement permet à la victime, lorsqu’il s’agit des dommages causés à l’environnement, de choisir entre le lieu du dommage et le lieu du fait générateur, et donc en l’occurrence du siège social de la société mère. Or, cela n’y change rien car, en droit français, le principe rappelé dans les différents manuels270 est le suivant : en raison de l’autonomie patrimoniale des sociétés, le « groupe » ne répond à aucune entité juridique et la « société mère » n’est pas responsable des faits dommageables de ses filiales271. Il n’existe aujourd’hui aucun principe de responsabilité générale d’une société mère en raison des agissements de ses filiales. Certes, des exceptions existent272. Le voile de la personnalité morale de la filiale peut être levé si les faits montrent sa non-autonomie patrimoniale. Le juge peut estimer que la filiale n’est qu’une société fictive ou, à défaut, se fonder sur les théories de l’apparence aux yeux des tiers et de l’immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale pour la rendre débitrice de la dette de sa filiale. Toutefois, ici les conditions de la levée du voile sont rarement réunies. Le domaine environnemental n’y échappe pas273, comme le

rappelle dans le domaine des risques environnementaux l’affaire Metal Europe274.

De ce fait, au regard de l’impossibilité sur le fond d’engager la responsabilité de la société mère, le juge français a peu de chance de se reconnaître compétent pour juger de l’ensemble de l’affaire, à l’égard de l’ensemble des protagonistes. Autrement dit, les victimes se retrouvent face à l’impossibilité d’obtenir le pis-aller, la responsabilité de la filiale, sauf à retourner devant son juge national qui pourrait hésiter à la sanctionner. Néanmoins, les choses devraient changer, dans certains cas, en ce qui concerne certaines grosses entreprises, avec la loi du 27 mars 2017 (n° 2017-399) relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, ce qui faciliterait le regroupement des actions (société mère et filiale) devant le juge français.

270 Not. P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, LGDJ Lextenso, 6e éd., 2015, n° 1507. 271 V. Cass. Com. 15 nov. 2011, n° 10-21.701.

272 V. sur ce rappel le dossier sur La responsabilité dans les groupes de sociétés, Actes pratiques et ingénierie

sociétaire préc.

273 V. l’étude de C. Hannoun, « La responsabilité environnementale des sociétés mères », Revue Environnement,

juin 2009, étude 7.

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