• Aucun résultat trouvé

Juridictions en charge des droits de l’homme

Dans le document Le procès environnemental (Page 90-94)

Les règles gouvernant la compétence du juge : le défi de la nature transnationale du litige

2) Juridictions en charge des droits de l’homme

La saisine d’un organe juridictionnel en charge des droits de l’homme, peut constituer un moyen efficace de faire valoir le droit de l’environnement dans un contexte transnational. Ces organes, telles la Cour européenne des droits de l’homme ou la Commission interaméricaine des droits de l’homme, présentent l’intérêt de pouvoir être saisis par des personnes privées, une fois les recours nationaux épuisés. En ce sens, ils sont plus ouverts que les juridictions internationales généralistes. En outre, on sait que les dommages environnementaux peuvent donner lieu à des plaintes devant les organes de protection des droits de l’homme, le plus souvent par « ricochet » à travers la protection d’autres droits tels les droits à la vie, au respect du domicile, à la vie privée et familiale etc.

Cependant l’apport des for empruntés aux droits de l’homme à la protection de l’environnement dans un contexte transnational demeure limité. Effectivement, malgré la

243 Voir l’article publié dans le cadre du projet : Julia Motte-Baumvol, Les points de contact nationaux de

l’OCDE, une alternative au juge en droit de l’environnement ? Énergie - Environnement – Infrastructures, n° 4, avril 2019, p. 10.

244 Lignes directrices de procédure, I) C) et Commentaires, § 25. 245 Principes directeurs, Chapitre I Paragraphe 4 et Chapitre II, § 14. 246 Principes directeurs, Chapitre I § 3.

90

prise en compte de plus en plus large de la protection de l’environnement par le prisme des droits fondamentaux garantis, l’obstacle de la compétence territoriale demeure.

L’exemple de la Cour inter-américaine des droits de l’homme peut être retenu. La possibilité de mettre en jeu la responsabilité extraterritoriale pour des dommages environnementaux devant cette juridiction demeure limitée. Dans son avis C23 rendu le 15 novembre 2017, la Cour interaméricaine des droits de l’homme ne dit pas autre chose. Certes elle réaffirme que la juridiction des États, quant à la protection des droits humains des personnes sous la Convention américaine relative aux droits de l'homme247, ne se limite pas à leur espace territorial. Les obligations des États doivent donc s’étendre en dehors de son territoire lorsqu’une personne est soumise à sa « juridiction ». Ce concept devant s’entendre, au sens de l’article 1.1 de la Convention américaine, comme couvrant les situations dans lesquelles un État exerce une autorité ou un contrôle effectif sur les personnes, à l’intérieur ou en dehors de son territoire. L’interprétation de la notion de « juridiction » étatique est donc sensiblement la même pour la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour précise également très clairement que l’exercice de la juridiction en dehors du territoire de l’État est une situation exceptionnelle qui doit être analysée en concret et de façon restrictive 248. Elle

admet néanmoins que « les personnes dont les droits ont été enfreints du fait d’un dommage transfrontalier, se trouvent sous la juridiction de l’État à l’origine du dommage – dans la mesure où ce dernier exerce un contrôle effectif sur les activités qui se déroulent sur son territoire ou sous sa juridiction »249, ce qui ouvre sans doute la voie à des actions transnationales.

§ 2 – Le contournement dans l’ordre interne

Il peut sembler incongru de voir dans la compétence du juge interne une possibilité de résoudre un litige transnational à l’encontre d’un État. Pourtant, cela peut être le cas lorsque sa compétence lui permet de rendre une décision dont les effets peuvent incidemment conduire à la cessation d’un risque d’atteinte à l’environnement ou la réparation des

247 Adoptée à San José, Costa Rica, le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les Droits

de l'Homme. Version française disponible ici : https://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm.

248 Cour Interaméricaine des Droits Humains, Avis consultatif OC23/17, rendu le 15 novembre 2017, §81.

Disponible sur : http://corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_23_esp.pdf. Voir notamment : L. Burgorgue Larsen, « Environnement et droits de l’homme : de l’audace du juge interaméricain des droits de l’homme », Énergie –

Environnement-Infrastructures, n° 6, juin 2018. 249 § 95-103 de l’arrêt.

91

dommages environnementaux au bénéfice, non seulement des citoyens de sa juridiction, mais aussi des autres. L’on pense en particulier au cas de risques globaux, tel le changement climatique. Ici, les décisions prises par l’État ont des conséquences sur le changement climatique au niveau mondial. Il est alors opportun qu’un juge national puisse admettre sa compétence car, selon la mesure judiciaire prescrite, l’État devra agir pour faire cesser le risque sur son territoire et incidemment sur les autres États. Surtout, plus le nombre de juges nationaux se reconnaissant compétents s’accroitra, plus le procès participera à l’effectivité du droit de l’environnement à un niveau mondial.

L’étude pointe en ce sens du doigt les vertus de la compétence des juges nationaux dans le contentieux du changement climatique250. Selon le Rapport de l’UNEP « The Status of Climate Change Litigation »251, fruit d’une collaboration avec le Sabin Center For Climate Change Law, l’enjeu du changement climatique a déjà donné lieu à plus de 564 procès aux États-Unis et 230 dans les autres États, dont une grande part contre les États. Si l’on ne compte plus les procès se déroulant aux États-Unis, à l’instar de l’affaire Juliana dans laquelle 21 jeunes ont engagé une action contre l’État américain que le juge du district de l’Oregon a jugée recevable le 10 novembre 2016252, bien d’autres États se retrouvent aujourd’hui devant

le juge. En attestent, à titre d’exemple, le recours intenté par 28 requérants contre l’État autrichien au sujet de la décision d’extension d’un aéroport ayant donné lieu à une décision du 29 juin 2017 rendue par la Cour constitutionnelle autrichienne253, le recours de l’association Greenpeace Nordic Association and Nature and Youth contre l’État norvégien au sujet de l’autorisation de l’exploitation de ressources fossiles ayant mené au jugement du tribunal du district d’Oslo le 4 janvier 2018254, le recours engagé par l’association Friends of the Irish Environment contre l’État irlandais là encore au sujet de l’extension d’un aéroport, jugé par la Hight Court irlandaise le 21 novembre 2017255, le recours engagé par un agriculteur contre le

250 Sur l’ensemble de ces affaires citées, v. les travaux de Ch. Cournil, not : « L’invocation des droits

constitutionnels dans les contentieux climatiques nationaux », in Les procès climatiques, ouvrage préc., p. 85 et s.

251 http://columbiaclimatelaw.com/files/2017/05/Burger-Gundlach-2017-05-UN-Envt-CC-Litigation.pdf . Voir la

version en français : http://fr.boell.org/sites/default/files/the_status_of_climate_change_litigation_- _a_global_review_-_un_environment_-_may_2017_-_fr.pdf

252 http://climatecasechart.com/case/juliana-v-united-states/

253 http://climatecasechart.com/non-us-case/in-re-vienna-schwachat-airport-expansion/

254 8 janvier 2018, Oslo Distric Court: http://climatecasechart.com/non-us-case/greenpeace-nordic-assn-and-

nature-youth-v-norway-ministry-of-petroleum-and-energy/

92

Pakistan (Asghar Leghari v. Federation of Pakistan)256 ayant conduit à la condamnation de son État le 4 septembre 2015, le recours engagé par des particuliers à l’encontre de l’État colombien au sujet là encore d’autorisations d’exploitation minières et ayant conduit à la décision de la Cour constitutionnelle de Colombie le 8 février 2016257 et le recours de l’association Klimatzaak par lequel elle demande à l’État belge de revoir sa politique climatique pour respecter certains droits constitutionnels ainsi que l’obligation de protéger la vie des citoyens258.

Surtout, il faut noter l’importance de certains fondements invoqués par les demandeurs qui, lorsqu’ils sont retenus par le juge, sont propices à la création d’obligations favorables à la lutte contre changement climatique à un niveau mondial. L’affaire Urgenda259 est ici topique. En l’espèce, pour condamner les Pays-Bas à la réduction de ses rejets de gaz à effet de serre, le juge n’a pas hésité à reconnaître par le biais de la recevabilité de l’action que la Fondation Urgenda défendait certes les intérêts des citoyens sur le sol des Pays-Bas mais aussi, selon l’examen de ses statuts tournés vers la défense d’une « société durable », les intérêts des citoyens dans leur ensemble, présents et futurs260. De ce fait, en reconnaissant que les Pays-

Bas devaient répondre d’un duty of care à l’égard de ses citoyens, le juge rejette l’argument selon lequel la contribution des Pays-Bas aux émissions mondiales n’étant que de 5 %, sa condamnation n’aurait que peu d’efficacité. Au contraire, selon lui, toute émission, même minime, ayant des conséquences à un niveau mondial, l’État doit prendre des mesures au titre de son devoir de vigilance.

Reste qu’il ne faudrait pas voir la compétence du juge national comme un remède parfait aux limites de la compétence du juge international. Outre que la compétence ne présage pas du fond, il faut rappeler que dans certains ordres nationaux, la théorie de la « question politique »

256 Asghar Leghari v. Federation of Pakistan, WP.No.25501/2014. http://climatecasechart.com/non-us-

case/ashgar-leghari-v-federation-of-pakistan/

257 http://climatecasechart.com/non-us-case/decision-c-03516-of-february-8-2016/

258 http://climatecasechart.com/non-us-case/vzw-klimaatzaak-v-kingdom-of-belgium-et-al/

259 Urgenda Foundation v. The State of The Netherlands, arrêt rendu par la Cour du District de la Hague,

Chambre commerciale, n° C/09/456689/HA ZA 13-1396; v. l’arrêt et ses analyses sur le site de l’association Urgenda: http://www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/ Not. R. Cox, « A climate change litigation precedent: Urgenda Foundation v. The State of Netherlands », Journal of Energy and Natural Resources Law, 2016, vol. 34, n° 2, p. 143 et s.; J. Gupta, « Legal Steps Outside the Climate Convention: Litigation as a Tool to Address Climate Change », RECIEL, 2007, vol. 16; O. Van Geel, « Urgenda beyond: The past, present and future of climate change public interest litigation », Maastricht University Journal of Sustainability Studies, 2017, nº 3, p. 58 s.

260 Sur ce rappel, v. E. Petrinko, « De la décision Urgenda aux perspectives d’un nouveau contentieux

93

présente un obstacle important. Il en est ainsi du droit américain qui, en application de sa jurisprudence Marbury c. Madison de 1803, interdit au juge de se reconnaître compétent si le traitement du litige risque, parce qu’il s’agit d’une question politique, d’empiéter sur la séparation des pouvoirs261. Il s’agit ici d’un obstacle de justiciabilité de l’action. C’est le cas lorsque la constitution américaine considère la question comme politique ou si elle peut l’être par nature, la résolution du litige implique une régulation d’un pouvoir politique, la décision rendue peut nuire aux réformes engagées par les pouvoirs exécutif et législatif ou lorsqu’elle concerne des arguments extra-juridiques. À ce titre, le juge américain a décliné sa compétence dans un grand nombre d’affaires relatives au changement climatique262. Toutefois, d’autres juges américains ont fait preuve de souplesse, à l’instar du Tribunal fédéral du district de l’Oregon statuant dans l’affaire Juliana263. Par ailleurs, outre atlantique, dans des pays accordant aussi une place à la théorie de la justiciabilité, certains juges ont pris leur distance avec sa conception stricte. Il en est ainsi du juge de l’affaire Urgenda qui dès la première instance a estimé que le fait que la question climatique ait une dimension politique n’empêche aucunement le juge d’apprécier sa légalité. Ainsi, à l’avenir certaines évolutions pourraient ici s’opérer, à l’instar de ce qui se déroule du côté des actions engagées contre les entreprises.

Dans le document Le procès environnemental (Page 90-94)