• Aucun résultat trouvé

Chapitre I Recension des écrits

1.4 La question d’un préalable émotionnel chez le contrevenant

La « JR exige chez le contrevenant son engagement émotionnel » (Bennet, 2006).

Comme nous l’avons vu, la majorité des auteurs considèrent que le dialogue et en particulier le « dialogue émotionnel » constitue une composante d’importance dans le processus de réparation des dommages commis. Dans cette optique, en dehors de considérer seulement les émotions en jeu au sein des expériences de JR stricto sensu, des auteurs s’interrogent sur la question d’un préalable émotionnel. Ils étudient notamment le rôle de certaines émotions qui pourraient favoriser chez le contrevenant un processus de réparation (Rossner, 2012 ; Jackson, 2009 ; Harris et coll., 2004 ; Tangney et Dearing, 2002 ; Tangney, 1991). Il ressort des études que les principales émotions préalables chez le contrevenant seraient la honte et/ou culpabilité, et/ou l’empathie (Jackson, 2009 ; Harris et coll., 2004 ; Tangney et Dearing, 2002 ; Tangney, 1991).

Selon Jackson (2009) par exemple, sans une compréhension de la manière dont les contrevenants développent ces émotions, le caractère réparateur du dialogue pourrait être compromis. Les recherches s’interrogent donc sur la place et le rôle préalables de ces trois émotions au sein du processus réparateur.

Rossner (2012), Tangney et Dearing (2002) et Tangney (1991) soulignent l’importance des caractéristiques émotionnelles des contrevenants vis-à-vis de la réponse de réparation fournie quant à l’acte, aux dommages commis, ainsi qu’au regard de la conscientisation de l’acte.

Ainsi, selon Tangney et Dearing (2002), le développement émotionnel de la culpabilité ou de la honte chez les contrevenants est important puisqu’il permettrait de générer un dialogue de guérison/réparation. Ils précisent toutefois que les individus qui ont des réponses émotionnelles de culpabilité, et non de honte, auraient tendance à développer et exprimer une plus grande empathie à l’égard de la victime, c’est-à-dire à être émotionnellement plus liés à la victime. Dans la littérature, la capacité pour le contrevenant d’établir un lien émotionnel avec la victime serait ainsi assimilée à l’émotion d’empathie (Tangney, 1991 ; Tangney et Dearing, 2002). Les études mettent donc en évidence que chez le contrevenant, l’émotion de culpabilité et d’empathie serait liées. Aussi, développer un tel lien empathique avec la victime l’inciterait à développer le besoin de réparer les préjudices causés (Tangney, 1991 ; Tangney et Dearing, 2002 ; Jackson, 2009). Les émotions de culpabilité et d’empathie, étant donné qu’elles incitent les contrevenants à progresser vers la réparation du dommage produit, apparaissent comme étant constitutives du processus réparateur. Selon Tangney et Dearing, 2002, les contrevenants qui présentent au contraire de la honte,44 seraient moins empathiques, et auraient tendance à éviter de se confronter à l’événement à réparer, entravant le processus réparateur. Ils seraient en effet plus enclins à éviter/nier les situations les confrontant à leurs actes et à leur responsabilité.

Il existe de nombreux débats entre les auteurs autour de la conceptualisation des notions d’empathie, de honte et de culpabilité. Selon Harris et coll. (2004) par exemple, la culpabilité et la honte ne se distinguent pas et sont conceptualisées comme une composante homogène. En outre, ils soutiennent que les individus doivent d'abord développer de l'empathie pour éprouver de la « culpabilité-honte ». Cette conceptualisation est contraire à la majorité des recherches empiriques qui ont démontré que les concepts de honte et de culpabilité sont distincts et ne devraient pas être utilisés de façon interchangeable (Tangney, 1991 ; Tangney et Dearing, 2002). La littérature fait valoir à ce sujet que les individus qui expérimentent de la culpabilité, par rapport à ceux éprouvant de la honte, sont plus susceptibles de se projeter émotionnellement dans la situation de la victime, et donc de développer une réponse empathique à l’égard de celle-ci (Tangney, 1991 ; Tangney et

44Dans leur théorie, les auteurs se basent sur la distinction entre honte et culpabilité de Helen Block Lewis's présentée dans son ouvrage

Shame and Guilt in Neurosis (1971): «The experience of shame is directly about the self, which is the focus of evaluation. In guilt, [however,] the self is not the central object of negative evaluation, but rather the thing done is the focus », Tangney et Dearing, 2002, citation page 18.

Dearing, 2002). Des auteurs abordent aussi dans leurs résultats la honte comme une évaluation négative de soi qui serait significativement liée à l’empathie et à la culpabilité (Jackson, 2009).

En dépit de ces débats théoriques, il convient de mettre en relief le fait que les recherches font majoritairement ressortir l’importance, tant empiriquement que théoriquement, de développer une compréhension approfondie de l'impact des programmes de justice réparatrice sur l’émergence de réponses émotionnelles telles que la honte, et/ou la culpabilité, et/ou l’empathie chez le contrevenant (Jackson, 2009). Ces recommandations prévalent tant au sein des perspectives réhabilitatives, rétributives, réparatrices, que réhabilitatives-réparatrice et rétributive-réparatrice.

Tangney (1991) souligne également le rôle du développement de l’empathie au sein du processus de réhabilitation/réadaptation des délinquants. Les prédispositions de culpabilité et de honte, ont été mises en relation avec les réponses empathiques des contrevenants. Il ressort que la culpabilité est plus susceptible de favoriser une réponse empathique, laquelle est jugée nécessaire pour susciter la réparation/guérison des relations tant intra (relation du contrevenant avec lui-même) qu’interpersonnelles (relation du contrevenant avec autrui). La honte serait plus susceptible de conduire à l'évitement, empêchant ainsi la guérison/réparation des relations intra et interpersonnelles. Ces résultats font écho aux recherches portant sur le développement de l'empathie chez les délinquants sexuels adultes.

Une part importante des recherches est en effet présente en matière de réhabilitation d’agresseurs sexuels (Roseman, et coll., 2009 ; Ward et Gannon, 2006 ; Cesaroni, 2002 ; Kaden, 1998). Un tel questionnement autour d’un préalable émotionnel nécessaire chez le contrevenant, apparaît aussi en termes de réhabilitaion en vue d’une expérience de JR, soit en termes de réhabilitation-réparation (Hagemann, 2003).

Il y aurait deux objectifs spécifiques pour le traitement des délinquants sexuels (Roseman, et coll., 2009). Le premier aurait pour but que les contrevenants comprennent et

acceptent la responsabilité de leurs actes45. Le deuxième objectif serait de permettre au contrevenant de développer de l'empathie envers la victime, ce qui nécessite souvent pour les contrevenants de prendre conscience des dommages qu’ils ont commis. Par conséquent, le développement de l'empathie est souvent considéré comme la pierre angulaire des programmes de traitement des délinquants sexuels. En ce sens, de nombreux programmes de traitement pour les délinquants sexuels utilisent des représentations de victimes en guise d’exercices ou d’outils pédagogiques comme les lettres et histoires de victimes, des études de cas et des vidéos fictives de victimes, afin d’activer les processus cognitifs et les comportements émotionnels favorisant le développement de l'empathie (Roseman et coll., 2009). Certains auteurs soulignent également le rôle de la honte et/ou de la culpabilité dans le développement de l’empathie chez ces contrevenants, et pour la compréhension de leurs actes. Pithers (1997) considère par exemple que la honte et la culpabilité jouent un rôle fondamental dans la compréhension de l’acte suggérant que les délinquants qui n'avaient pas une compréhension de leur propres honte et culpabilité sont limités pour concevoir qu’un acte peut causer un préjudice à leur victime et à eux-mêmes.

Selon certains auteurs, ces traitements seraient de nature réparatrice, notamment parce qu’ils sont centrés sur la victime, la communauté et qu’ils poursuivent des objectifs orientés vers l’amélioration d’un potentiel réparateur chez le contrevenant (Hagemann, 2003). Il convient en effet de souligner la présence d’une littérature croissante sur un modèle réparateur de la réhabilitation.

Dans leurs travaux, Roseman et coll. (2009) ont étudié l’impact et le développement émotionnel chez des contrevenants à travers l’exposition, à divers degrés, à une victime d’abus sexuel. Ils ont particulièrement étudié le niveau d'empathie/honte/ culpabilité du contrevenant à travers des interventions rappelant les expériences de JR, puisque certains contrevenants étaient amenés à rencontrer des victimes. Ces études, et celles précédemment décrites, mettent en évidence la pertinence du questionnement autour d’un modèle réparateur de la réhabilitation, quant à la question du développement de la honte/culpabilité/empathie (en matière de traitement des contrevenants sexuels principalement). Certaines recherches étudient en ce sens l’éventuel rapprochement théorique

45 Cet objectif est considéré comme atteint lorsque par exemple le contrevenant admet qu’une infraction a été commise, et restreint

et pratique du courant de JR avec la perspective réhabilitative, notamment avec le Good lives Model, un modèle considéré comme une alternative au Risk-Need-Responsivity Model46 (Coco et Corneille, 2009). Bien que les deux paradigmes diffèrent, il s’agit d’interventions psycho- sociales visant à (r)établir des liens sociaux par le biais de méthodes de restauration/réparation. D’une part le modèle réparateur vise à réparer les relations affectées par le délit, de l’autre le Good Lives Model47 vise à réhabiliter le contrevenant à travers l’apprentissage d’habilités (Coco et Corneille, 2009). Un certain débat semble émerger, au sujet de savoir s’il est préférable d’envisager une assimilation des perspectives ou une coordination des pratiques et des modèles (Ward et Langlands, 2009). Zehr (1997) avait déjà souligné la nécessité de s'orienter vers un modèle de JR pour les délinquants sexuels, en opposition aux pratiques proposées dans le cadre du modèle de punitif traditionnel, qui, par l'incarcération, retardait simplement le risque de nouvelle infraction.

Cette double perspective, réhabilitative et réparatrice, possède aussi une certaine résonnance pratique. En effet, les considérations autour des caractéristiques émotionnelles des contrevenants se traduisent par la mise en place de programmes correctionnels centrés sur la représentation de la victime, sur la considération des impacts du crime sur cette dernière et son entourage. Il s’agit par exemple du « Focus on Victims », un programme d’entrainement visant à améliorer la prise de conscience et la compréhension des conséquences du crime sur la victime et son entourage, ainsi que le développement de l’empathie chez le contrevenant à travers l’image de la victime. Cette initiative a par exemple été mise en place au sein d’une prison « sociothérapeutique » à Hambourg en Allemagne (Hagemann, 2003)48. Il est aussi possible de citer le « Victim Impact Training » (VIT), programme de JR mis en place par le département correctionnel du Missouri (Jackson, 2009)49.

46 Ce dernier a été développé pour le traitement des délinquants en général, par Andrews, Bonta et Hoge en 1990, usant de pratiques

thérapeutiques cognitives-comportementales, et majoritairement basé sur la notion de risque (l’intensité et le type d’intervention doivent dépendre du niveau de risque du contrevenant) et de besoins criminogènes (soit les facteurs de risques de récidive, ciblés dans les programmes pour diminuer les risques de récidive), Coco et Corneille (2009).

47 Il s’agit d’un modèle de réhabilitation des délinquants sexuels, bâti sur une approche plus holistique du contrevenant (contexte personnel,

interpersonnel et social) et moins sur ses déficits individuels. La réhabilitation du délinquant est conditionnée par l’amélioration du bien-être (le but premier) plutôt que par les stratégies visant à éviter la récidive (le but second), dans l’optique de lui permettre de construire une vie plus harmonieuse (Coco et Corneille, 2009).

48 Hagemann (2003), citation page 225

49 Ce programme de VIT a été appelé « Impact of Crime on Victims Classes » (ICVC), et a été développé par l’Autorité de la Jeunesse en

Californie. Ces objectifs sont : d’enseigner aux délinquants les effets du traumatisme de victimisation ; d’augmenter chez les délinquants une prise de conscience de l’impact négatif de leur crime sur leurs victimes et la communauté ; d’encourager les délinquants à accepter la responsabilité de leurs actes ; de fournir un forum pour les victimes et les agents de services aux victimes afin « d'éduquer » les délinquants

Enfin, est également présente la question de la motivation des contrevenants engagés dans un processus réparateur. La plupart des auteurs soulignent que les prisonniers qui sont en mesure de faire face à leurs infractions ne seront pas motivés à participer à un tel processus sitôt que leur peine est terminée (Hagemann, 2003). Les auteurs considèrent majoritairement qu’en JR la motivation des acteurs à participer aux expériences/programmes est de première importance, voire sine qua non. La participation des contrevenants est volontaire, à la différence du système punitif. Cet élément est parfois considéré comme un des points de différenciation entre les pratiques punitives et réparatrices. (Bazemore et Walgrave, 1999).