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Chapitre II Méthodologie

2.5 Stratégies d'analyse

2.5.2 Construction du cadre analytique

Le choix a été porté sur l’approche phénoménologique. Il est nécessaire de présenter en quoi une telle approche permet de mieux cerner les objectifs de l’étude en fonction du cadre proposé. Également, il sera opéré un retour sur le cadre théorique pour la construction de notre cadre analytique.

i) Le recours à l’approche phénoménologique

La justification du recours à des entretiens non-directifs, ne conduit-elle pas inéluctablement à proposer une stratégie d’analyse des entretiens non basée essentiellement sur leur contenu textuel ? Une analyse d’entretien principalement basée sur le contenu textuel manifeste ne semble pas être en effet la méthode la plus appropriée pour étudier le matériel émotionnel ainsi que pour appréhender ce qui importe véritablement pour le sujet. Un tel constat semble alors rejoindre les critiques qui avaient été exprimées par certains chercheurs à propos des méthodes d’analyse de contenu manifeste. Ces méthodes sont en effet appliquées aux entretiens non-directifs et permettent peu la mise en lumière des systèmes de valeurs, de représentations et de symboles propres aux sujets étudiés (Duchesne, 2000).

Afin de prévenir un tel biais, il semble pertinent de soumettre la démarche de l’analyse de données à une approche permettant d’aller au-delà de l’étiquette des mots et d’appréhender pleinement les représentations, croyances, symboles et valeurs quant aux cheminements émotionnels des sujets étudiés.

En ce sens, le recours à une approche phénoménologique semble être adéquat. En effet, cette dernière paraît être la plus indiquée pour rendre compte, le plus fidèlement possible, des systèmes de valeurs et de représentations présents au sein du matériel émotionnel des trajectoires de vie.

Pires (1997) souligne l’importance des choix de la méthode et de la perspective épistémologique de recherche en la matière. Partant de la prémisse que l'objet de toute recherche est un objet méthodologiquement construit, il propose des modèles de « quête de vérité » en sciences sociales65. Il suggère d’adopter le modèle de la « valorisation de la neutralité et de l'observation de l'extérieur66 », ainsi que le modèle de la « valorisation de la neutralité et de l'observation de l’intérieur67 » qui renvoie, sans la nommer directement, à l’approche phénoménologique. Cette dernière permet en effet de mettre en exergue « le point

65 Citation page 48.

66 Ibid 67 Ibid

de vue interne, c'est-à-dire le sens que les acteurs donnent à leurs conduites ou à leur vie, est alors matière à observation »68.

Également, Anadon (2006) précise que « ce qui différencie cette approche des autres approches qualitatives est qu’elle met l’accent sur le vécu de l’individu et sur l’expérience subjective », et que « la phénoménologie est la recherche systématique de la subjectivité »69. L’accent est porté sur les « significations », soit « l’explicitation du sens de l’expérience et du vécu des acteurs »70.

En effet, la subjectivité revêt une importance capitale pour la compréhension, l'interprétation et l'explication scientifique des conduites humaines des acteurs de l’étude.

En ce sens, il est possible de dire que les acteurs construisent et interprètent leur monde à travers de nombreuses pré-constructions de la vie quotidienne que « ce sont ces objets de pensée qui déterminent leur comportement, définissent le but de leur action, et les moyens utiles pour les mener à bien 71» (Pires, 1997).

L’approche phénoménologique est donc fondamentalement cohérente avec la présente étude, les objectifs de la recherche, puisqu’il s’agit bien d’analyser du matériel émotionnel, pris en tant qu’objet de pensée qui détermine les comportements, les choix et les actions des contrevenants.

Ainsi, la perspective phénoménologique permet d’appréhender l’essence même du phénomène émotionnel de l’étude, à travers la mise en lumière des structures significatives internes du sujet.

De plus, selon Anadon (2006), certains critères méthodologiques de rigueur au sein de l’approche phénoménologique pourraient être établis. En ce sens, elle souligne notamment le rôle de l’empathie du chercheur, quant aux sujets et aux stratégies utilisées dans la reconstruction du phénomène vécu. Il convient de souligner que le présent projet s’inscrit dans une telle démarche, en favorisant notamment l’attitude empathique du chercheur.

Enfin, il convient de préciser la pertinence de cette approche avec le recours, au sein de cette étude, à l’entretien non-directif. En effet, ce dernier tout comme la perspective

68 Ibid

69 Anadon, 2006, citation page 19. 70 Anandon, 2006, citation page 18. 71 Citation page 48.

phénoménologique, permet d’accorder une place d’importance au sujet et à sa singularité.

ii) Retour sur le cadre théorique pour la construction du cadre d’analyse

Le choix opéré initialement d’aborder l’émotion sous une perspective psychologique compréhensive, s’est traduit en pratique par le recours à l’approche de la relation d’aide (Portelance 2009 ; Egan, 2005 ; Rogers, 1968), qui a également aidé à la construction de notre cadre analytique. Le cadre de la relation d’aide a en effet permis, à travers un canevas thématique psychologique souple, d’apporter un éclairage quant à la particularité du matériel émotionnel étudié, notamment selon les trois dimensions (cognition/ émotion/comportement) qui nous intéressent particulièrement. Ainsi, il a pu être mis en évidence la dimension comportementale de l’émotion, grâce à l’étude des « éléments déclencheurs » émotionnels72 (Portelance, 2009). Il a aussi pu être mis en lumière la dimension cognitive moins observable, par le biais du concept de « mécanisme de défense » qui fait par exemple référence au déni, à l’évitement (Portelance, 2009 ; Luminet, 2008). Également, avec cette approche a pu être abordé un aspect « processuel du changement émotionnel », à travers les différentes dimensions entourant ledit processus telles que : la « motivation au changement », la « prise de conscience », la « responsabilisation », le « passage à l’action créatrice » (Portelance, 2009). Il convient ici de souligner la cohérence de cette approche avec l’initiale définition de l’émotion, choisie et proposée, qui avait mis l’accent sur la notion de « stimulus émotionnel », et sur l’aspect multidimensionnel de l’émotion.

Le cadre théorique des points tournants/trajectoires de vie criminelles, à travers l’élaboration d’un canevas thématique sur le concept de « point tournants »/ « changement »/« processus de changement » (Edler, 1985 ; Hareven et Masaoka, 1988 ; Sampson et Laub, 1993 ; Abott, 2009), a aidé à construire notre cadre analytique. La « grille temporelle » utilisée pour la conduite de nos entrevues a aussi été utilisée à cette fin. Les « trajectoires émotionnelles » ont été analysées à la lumière de ce découpage temporel.

72 C’est-à-dire tout élément (situation, événement, personne) décrit comme étant le déclencheur d’émotion(s) par les acteurs, soit le stimulus