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Chapitre I Recension des écrits

1.3 L'émotion au sein des expériences de JR : outil d'évaluation et indicateur des effets

1.3.4 Une dynamique interactionniste : émotions exacerbées et « transformatrices »

Récemment, des recherches innovantes ont ouvert la voie à la considération des émotions en JR selon une approche plus dynamique, interactionnelle et interactionniste (Gehm, 1998 ; Harris, Walgrave et Braithwaite, 2004 ; Rossner, 2008 ; Kenney et Clairmont, 2009 ; Rossner 2011 ; Doak, 2011). La dimension de « groupe » a été étudiée en JR. Au sein de ce dernier sont produites des émotions qui sont le fruit d’une dynamique particulière et d’interactions propres. Dans cette perspective, l’expérience de JR est abordée d’une part tel un processus de dialogue, d’autre part tel un processus de dialogue émotionnel, potentiellement réparateur et transformateur.

La « théorie narrative » a été utilisée afin d’éclairer la particularité de cet aspect interactionniste en JR. Gehm (1998) propose de relier la perspective théorique de la « théorie narrative »38, au processus de médiation. Il précise que la médiation entre victime et contrevenant est caractérisée par une dynamique narrative et interactionnelle propre, où les histoires ne peuvent produire du sens qu’à la lumière des autres histoires et dans un contexte d’interaction et non d’isolation. Selon lui, la « théorie narrative » souligne que deux niveaux sont à considérer dans une interaction. Il y aurait l’ « histoire », soit le contenu, ainsi que le « discours »39, soit le contenant narratif, c’est-à-dire la manière dont le contenu est

communiqué. L'objectif principal de nombreux programmes de JR est en effet de fournir au délinquant, à la victime (et parfois à la communauté en général), la possibilité de s’engager dans un dialogue potentiellement réparateur afin de réparer/guérir les conséquences des préjudices, ou de résoudre le conflit entre les parties (Dzur, 2003). En établissant un dialogue entre la victime, le délinquant (et la collectivité), les délinquants sont informés des impacts de leurs gestes sur la victime et sur la communauté. Les victimes peuvent s’exprimer et présenter leurs sentiments de perte, ce qui peut éventuellement occasionner des réponses émotionnelles de culpabilité et/ou de honte chez le contrevenant. Un tel processus de dialogue permet aux victimes d’aller de l’avant dans leur vie et d’entamer un processus de « guérison » (Dzur, 2003; Tangney, 1991; Wemmers et Cyr 2005). Les études de Rossner (2008, 2011, 2012)

38 Cette théorie rejoint les théories « de récit des faits » (account-making), « raconter son histoire » (storytelling) 39 Citation, page 11.

permettent d’aller plus loin dans la compréhension des dynamiques émotionnelles de groupe, au sein d’une conférence de JR40 notamment. Si la majorité des études émotionnelles en JR s’attardent à comprendre la production d’une émotion en particulier, chez la victime ou le contrevenant, et du rapport émotionnel entre ces deux, rares sont celles qui s’intéressent véritablement aux interactions émotionnelles holistiques entre les participants et au partage collectif des émotions. Les travaux de Rossner (2008, 2011, 2012) sont bâtis dans la lignée des théories de la sociologie des émotions, et de celles des interactionnistes. Rimé (2009) précise que le partage social des émotions assume une fonction fondamentale puisqu’elle aboutirait à l’établissement ou la consolidation des liens socioaffectifs entre les personnes impliquées. Plus l’émotion partagée est intense, plus l’auditeur va alors éprouver de l’émotion. Selon Rossner (2011), la réponse la plus typique de l’auditeur est l’intérêt et la considération pour le récit de l’épisode émotionnel auquel il est exposé. Rossner utilise notamment la théorie des interactions rituelles en chaîne de Collins41 (2004) afin de coder l’émergence progressive des interactions et de la dynamique du groupe (Rossner, 2011)42. Dans cette étude approfondie d’une conférence de JR, l’auteure aboutit, à travers l’analyse des interactions rituelles et des échanges émotionnels entre les participants, à la mise en place d’un modèle émotionnel- interactionniste de la conférence43. Sa théorie permet de mettre en lumière l’importance de la

notion de groupe et de son influence en matière d’émotion en JR, ainsi que l’évolution des émotions au sein d’un groupe de JR.

Le groupe agirait ainsi tel un exacerbateur émotionnel au sein des expériences. Son approche s’inscrit dans une perspective « transformatrice » de la JR. Selon elle, les conférences peuvent être émotionnellement transformatrices à l’égard du groupe et des individus. Ses résultats mettent en effet en évidence le processus sous-jacent de transformation des émotions collectives négatives (honte, anxiété, haine, peur, hostilité) en émotions

40 Expérience constituée de la victime et de son mari, de l’agresseur-voleur et de sa femme.

41 Selon Collins, 2004, il y aurait quatre ingrédients principaux pour garantir le succès d’un rituel : un groupe, une barrière envers

l’extérieur/les étrangers au groupe, une attention mutuelle et un partage émotionnel.

42 À travers notamment l’analyse des expressions du visage, du langage non verbal, et de la mise en forme du discours.

43 Les principales étapes proposée par Rossner (2011, page 116) sont : l’étape de la mise en place d’une dynamique émotionnelle et

d’échange, suivie de l’étape de la mise en place de l’équilibre des pouvoirs entre les participants. Ensuite, il y aurait une période caractérisée par de forts échanges émotionnels, reconnus comme tel et comme importants par les participants. Il est produit une plus forte intensité d’attention entre les participants, marquant un « point tournant » durant l’expérience. Enfin, Après que les échanges se soient caractérisés par un haut degré interactionnel et émotionnel, les participants s’engagent mutuellement dans des interactions portant un haut degré de solidarité et de cohésion (rapprochements physiques, contacts visuels appuyés). Une nouvelle identité de groupe est créée, fondée sur la cohésion et la solidarité. Il y a eu transformation.

collectives positives (solidarité, empathie, confiance). Pour Rossner (2008, 2011), une expérience de JR réussie est une expérience riche en interactions émotionnelles transformatives, elles-mêmes caractéristiques d’ « interactions rituelles réussies ». Les expériences de JR seraient en ce sens principalement efficientes à travers la production de fortes interactions émotionnelles de groupe, et non en incitant les victimes ou contrevenants à éprouver une émotion en particulier. Concernant les interactions rituelles qui ont « échoué », Rossner (2011) précise en effet qu’elles sont caractérisées, entre autres, par l’absence de connexion émotionnelle.