II. LA COOPERATION HOMME-MACHINE
II.1.1 La psychologie ergonomique
Avant de définir le concept de coopération homme‐machine en psychologie, il convient de replacer cette notion dans le cadre qui l’a vu naître : celui de la « psychologie ergonomique ». Cette terminologie est une spécialité Française qui n’est pas employée dans la littérature internationale où « Human factors » (ex. : Karwowski, 2005) et « cognitive ergonomics » (ex. : Green & Hoc, 1991 pour une définition) sont préférés. En France, le terme d’ « ergonomie cognitive » plus proche de la terminologie anglo‐saxonne est parfois employé. L’accent est alors mis sur l’ergonomie plus que sur la psychologie. Cette discipline scientifique a comme objectif originel d’étudier et d’améliorer les conditions de travail. Par extension, la psychologie ergonomique s’intéresse aujourd’hui à l’humain dans son environnement même lorsque celui‐ci n’est plus un environnement de travail au sens strict. De par ses intérêts, la psychologie ergonomique se situe à la croisée des différentes sciences en rapport à l’étude de l’humain telles que la sociologie, la linguistique, la logique, les neurosciences, la robotique, l’automatique, l’informatique... Toutefois, la discipline principale de la psychologie
l’ergonomie sont doubles. Les connaissances et méthodes de la psychologie sont utilisées pour apporter des réponses pratiques aux problèmes d’ergonomie. De son côté, la psychologie utilise les situations de terrain comme un domaine de recherche original pour étoffer ses connaissances sur le fonctionnement de l’humain. Ainsi la psychologie ergonomique est productrice à la fois de théories (description globale d’un mode de fonctionnement et par conséquent peu adaptée à une situation précise) et d’observations (propres à une situation donnée donc précises mais peu généralisables).
La spécificité forte de l’ergonomie est qu’elle revendique une approche globale fondée sur l’humain dans son système de travail, en tenant compte des aspects physiques, cognitifs, sociaux, organisationnels, environnementaux et tout autre facteur pertinent (Chapanis, 1996 ; Grandjean, 1986 ; Karwowski 2001 ; Stanton, Hedge, Brookhuis, Salas & Hendrick, 2004 ; Vicente, 2004 ). L’association internationale d’ergonomie (IEA, 2008)1 a adoptée en 2000 la définition suivante :
« L’ergonomie (ou « human factors ») est la discipline scientifique qui s’intéresse à la compréhension des interactions entre l’humain et les éléments d’un système, et la corporation qui applique les théories, principes, données et méthodes à la conception en vue d’optimiser le bien‐être de l’humain et la performance du système dans son ensemble. »
Par la suite l’association internationale d’ergonomie distingue trois domaines de spécialisation au sein de la discipline : l’ergonomie physique, cognitive et organisationnelle. L’ergonomie cognitive (ou psychologie ergonomique) est définie comme :
« ... s’intéressant aux processus mentaux tels la perception, la mémoire, le raisonnement et les réponses motrices, dans leurs interactions entre les humains et les autres éléments du système. Les domaines d’intérêt incluent la charge mentale, la prise de décision, les performances motrices, les interactions homme‐ordinateur, la fiabilité humaine... »
Cette définition de l’ergonomie met en avant les usages des connaissances et méthodologies faites par l’ergonomie afin d’optimiser une situation. La réciproque (utilisation des situations de terrain pour des productions plus théoriques) n’est pas contenue dans la définition et incombe aux chercheurs en psychologie ergonomique.
II.1.2
Les relations homme‐machine
Dans la définition de l’ergonomie cognitive, l’IEA (2008) fait état des « interactions homme‐ ordinateur » comme l’un des domaines d’intérêt de la discipline. Les premières études dans 1 De l’anglais « International Ergonomics Association », association internationale d’ergonomie.ce domaine portaient sur des systèmes (homme‐machine) où toute l’intelligence reposait sur l’utilisateur, comme pour l’édition de texte par exemple. Lorsque les machines ont été dotées de capacités de communication plus développées, la terminologie de « communication homme‐machine » a été instaurée. Les travaux portaient alors sur les moyens de communication entre l’individu et la machine, ne prenant pas en considération les contenus et objectifs de la communication (Hoc, 1999). Dans un dernier temps, le concept de « coopération homme‐machine » a été évoqué. Initialement, le concept de coopération homme‐machine a été introduit dans le contexte de l’automatique humaine (cf. Millot, 1988). Bien que l’automatique de la supervision ait été sensible à cette question depuis plusieurs années, le premier livre de psychologie mentionnant clairement cette notion de coopération homme‐machine n’était édité qu’en 1995 par Hoc, Cacciabue et Hollnagel. Plus tard, Hoc (1999, 2000, 2001a) s’est appuyé sur les travaux de Piaget (1977) pour proposer une définition de la coopération homme‐machine. Dans un premier temps, deux niveaux de l’activité coopérative sont distingués : opérer et coopérer. Ainsi Piaget (1977, p. 91) précise :
« Coopérer dans l’action, c’est opérer en commun, c’est‐à‐dire ajuster au moyen de nouvelles opérations... les opérations exécutées par chacun des partenaires... c’est coordonner les opérations de chaque partenaire en un seul système opératoire dont les actes mêmes de collaboration constituent les opérations intégrantes »
La coopération a donc été abordée d’un point de vue fonctionnel, correspondant aux activités coopératives n’apparaissant pas lors d’une activité individuelle mais au contraire, réalisées uniquement en présence d’une équipe. Deux agents entrent en coopération lorsqu’au minimum deux conditions sont réunies (Hoc, 1996, 2000 et 2001a) :
⎯ Chacun des agents s’efforce d’atteindre ses propres objectifs et ce faisant il peut entrer en interférence avec les objectifs, ressources et procédures de l’autre agent. L’interférence peut prendre plusieurs formes. Ainsi Hoc (2001a), définit quatre types d’interférences. L’interférence de pré‐condition intervient lorsque l’activité d’un agent est un préalable à l’activité de l’autre agent. Une interférence dite d’interaction est définie comme une possible interférence mutuelle engendrée par les activités respectives des deux agents. Le troisième type d’interférence est le contrôle mutuel. Dans ce cas, tandis qu’un agent réalise effectivement une tâche, l’autre agent simule la même tâche en arrière plan. L’activité du deuxième agent vise à vérifier les actions du premier. Le quatrième type d’interférence a été nommé de redondance. Dans ce dernier cas de figure, une tâche donnée ne peut pas être attribuée à l’avance à l’un où l’autre des deux agents en raison du caractère hautement dynamique de la situation considérée. En conséquence, l’agent le mieux placé au moment requis (d’un point de vue spatial, ressources
⎯ Chacun des agents essaie de gérer l’interférence de sorte à faciliter les activités individuelles et/ou les tâches en commun si elles existent. La nature (positive ou négative) de l’interférence n’est pas liée au type d’interférence mais à son caractère facilitateur ou non. L’interférence est positive lorsqu’elle permet une amélioration des performances individuelles ou de l’équipe. Si au contraire, l’interférence est considérée comme une gêne dans le déroulement normal de l’activité individuelle, elle est négative. Certains auteurs vont même parler d’activités compétitives dans ce cadre (Vanderhaegen, Chalmé, Anceaux & Millot, 2006). Ainsi, en se basant sur la définition de la coopération de Castelfranchi (1998), Vanderhaegen et al. (2006, p.184) proposent une définition de la compétition entre agents lorsque ces derniers :
« [...] poursuivent des objectifs interférents mutuellement et que chacun des agents contrôle ces interférences de manière à faciliter ses propres activités ou faire commettre des erreurs à l’autre. »
Le caractère symétrique de la définition de la coopération proposée par Hoc n’est pas nécessairement, selon ces auteurs, pleinement satisfait. Ainsi, même dans le cadre de la coopération homme‐homme, un seul agent peut être amené à générer l’interférence à lui seul (Hoc, 2000). Dans le cadre de la coopération homme‐machine, il apparaît clairement du fait des capacités coopératives limitées de la machine, que la relation va être dissymétrique. Dans l’équipe homme‐machine, c’est l’agent humain qui est le responsable de la coopération.