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La probatoire : attaquer un interlocuteur

Chapitre 3 : des agents dialogiques

2. Agressivité : condition nécessaire de la dialectique

2.3 La probatoire : attaquer un interlocuteur

Je viens de présenter l’investigatoire, qui est la situation dialectique idéale : deux interlocuteurs conscients de leur ignorance, cherchant ensemble à tester une position, dans le but de solutionner un problème. Cependant, cette situation idéale se produit rarement, car, le plus souvent, on entre en discussion avec un interlocuteur qui fait mine de déjà savoir de quoi il retourne. Deux possibilités s’offrent alors : soit cet interlocuteur est réellement

savant, soit il prétend l’être sans l’être de fait. Autrement dit, soit il a la compétence pour enseigner, soit il s’en donne seulement l’apparence.

Le dialecticien, dans une pareille situation, ne peut pas investiguer sainement le problème en cause. Car son interlocuteur, qu’il soit demandeur ou répondeur, ne lui paraît pas jouer correctement son rôle309. Que doit faire le dialecticien alors ? Quitter la

discussion ? Une autre option s’offre à lui : tester son interlocuteur, le mettre à l’épreuve. En plus d’investiguer la position initiale prise sur le problème concerné, le dialecticien examinera simultanément une thèse supplémentaire : cet interlocuteur sait déjà. Tester un interlocuteur, en effet, ne se fait pas dans l’abstrait : le contexte probatoire s’ajoute au contexte investigatoire, l’examen de l’interlocuteur, à l’examen du problème. C’est ce que décrit Socrate dans le Protagoras : « c’est surtout la thèse que j’examine pour ma part, mais il en découle peut-être que du même coup nous nous trouvions soumis à l’examen, moi qui interroge, tout autant que celui qui répond. »310 Certes, le contexte investigatoire

s’en trouve alors affecté : on ne peut plus parler aussi franchement, avancer avec autant d’aisance. Mais l’investigation doit demeurer, même imparfaitement.

Par ailleurs, comme pour l’investigatoire, la probatoire suppose un aspect agressif. Son interlocuteur affirme savoir : le probateur attaquera sa crédibilité, cherchant à réfuter sa prétention. Le caractère agressif de la discussion, déjà observées dans l’investigatoire, s’en trouve de ce fait accentué, rehaussé.

Comment le « probateur » teste-t-il le prétendu savoir de son interlocuteur ? Étant donné que le dialecticien n’est pas lui-même un savant, il ne peut démontrer ni que son interlocuteur dit vrai et fonde son discours sur des principes propres et évidents, ni qu’il ne le fait pas. Que peut-il faire ? Doit-on vraiment penser, comme Aubenque, que c’est son ignorance même qui permet au dialecticien de mettre à l’épreuve ceux qui prétendent savoir ?

309 Contrairement à ce que pensent certains commentateurs, le demandeur aussi peut être mis à l’épreuve. Lui aussi peut être soupçonné de ne pas jouer correctement son rôle. Cf. Topiques, VIII, 11, 161b1-5. 310 Platon, Protagoras, 333c, trad. F. Ildefonse, légèrement modifiée.

Incapable de parler autrement qu’en général, il a le privilège de transmuer cette évidente insuffisance en un pouvoir que son ignorance même lui confère : celui de confronter le discours scientifique, qui est toujours partiel, aux exigences du discours humain en général311.

En fait, je l’ai déjà mentionné, le dialecticien n’ignore pas tout. Certes, il ignore la solution du problème qu’il investigue et les principes propres y menant. Mais il possède tout de même une connaissance : il connaît les principes communs à toutes disciplines (ce que reconnaît Aubenque en un sens) et maîtrise la logique. C’est à l’aide de ces connaissances qu’il peut tester son interlocuteur et c’est pourquoi Aristote définit ainsi les arguments probatoires : « ceux qui prennent pour point de départ les opinions admises par le répondeur et que doit forcément connaître celui qui prétend détenir un savoir. »312

Évidemment, comme l’interlocuteur testé prétend savoir, ce n’est pas au nom de l’endoxe absolu ou de l’endoxe relatif à un certain groupe qu’il répondra. Cet interlocuteur posera ses propres opinions. Or, si le probateur peut conduire son interlocuteur, à partir de ses propres opinions, à se contredire, cela montrera que ce dernier ne possédait pas véritablement la science. Un savant, en effet, ne peut être réfuté. C’est même là une des choses qui le caractérise.

Par ailleurs, le probateur argumente à partir de ce que doit nécessairement connaître quelqu’un qui sait. Ces connaissances, nécessaires à la science, ne sont toutefois pas suffisantes. Autrement dit, on ne peut être savant sans les posséder, mais on peut les posséder sans être savant. C’est ce qu’explique Aristote dans les Réfutations sophistiques :

Il est possible, même pour celui qui ne connaît pas le sujet en question, de procéder à la mise à l’épreuve de celui qui ne le connaît pas non plus, pour peu que ce dernier concède sur la base, non pas de ce qu’il sait, ni des principes propres, mais des conséquences, lesquelles sont d’une nature telle que rien n’empêche celui qui les connaît de ne pas connaître la science, alors que celui qui ne les connaît pas ignore forcément la science. Il est par suite évident que la probatoire n’est la connaissance de rien de déterminé. C’est aussi pourquoi elle porte sur toutes choses : car toutes disciplines utilisent également certains principes communs313.

Les principes logiques sont des principes justement communs à toute discipline. Le savant, dans l’esprit d’Aristote, maîtrise nécessairement la logique. Comment tester les capacités logiques d’une personne ? En le soumettant à des tests : reconnaîtra-t-il que tel

311 Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, p. 285. Je souligne.

312 Réfutation sophistiques, 2, 166a4-5, trad. L.-A. Dorion, légèrement modifiée. 313 Ibid., 11, 172a25-30. trad. L.-A. Dorion, légèrement modifiée.

terme possède plusieurs sens ? saura-t-il prévoir la conclusion qui s’ensuit ? acceptera-t-il des prémisses contradictoires ? etc. Toutes les « ruses » présentées par Aristote dans les Topiques servent en réalité à cela : soumettre un interlocuteur à des épreuves pour mesurer sa force, ses compétences.

Si le probateur réussit à dévoiler l’ignorance de son interlocuteur, alors celui-ci, idéalement, reviendra dans de bonnes dispositions et pourra investiguer sainement le problème en cause. Évidemment, cela ne décrit pas la situation la plus courante : la plupart du temps, celui qui est réfuté préférera quitter la discussion ou, pire, se mettra en colère contre le probateur. Platon illustre cela dans maints dialogues.

Le propos de ce mémoire ne requiert pas que je décrive ici plus en détail le déroulement d’une discussion probatoire. L’essentiel réside en ceci : toutes les techniques à saveur sophistique décrites par Aristote dans les Topiques servent la probatoire et non un appétit de victoire. Il s’agit de piéger intentionnellement l’interlocuteur pour vérifier s’il pourra s’en sortir, répondre convenablement, poser les bonnes distinctions. En ce sens, les ruses présentées dans les Topiques n’invalident pas le fait que la dialectique prépare à la philosophie. Ces ruses, pour autant qu’elles purgent l’interlocuteur de ces mauvaises dispositions, conduisent à une saine investigation. Elles deviennent le remède nécessaire à l’obstacle ultime de la recherche de la vérité, à savoir la double ignorance. C’est ce que décrit l’Étranger dans le Sophiste de Platon.

Ils interrogent celui qui croit affirmer, lorsqu’en réalité il n’affirme rien. Il est facile pour eux d’examiner par la suite les opinions de ceux qu’ils ont ainsi tant désorientés, puis, une fois les arguments systématisés, de montrer que les mêmes opinions sont contraires en même temps sur les mêmes sujets, sous les mêmes rapports, dans le même sens. Alors, les interlocuteurs, voyant cela, se mettent en colère contre eux-mêmes, et deviennent plus doux face aux autres. Ils se libèrent ainsi des solides et prétentieuses opinions qu’ils avaient d’eux-mêmes, libération qui est très agréable pour celui qui écoute, et fondement solide pour celui qui la subit. En effet, mon jeune ami, ceux qui se purifient de cette manière pensent, comme les médecins, que le corps ne tirera pas profit de la nourriture qu’il reçoit avant de s’être libéré de ce qui l’embarrasse. Et, à propos de l’âme, ils sont du même avis : elle ne pourra pas profiter des connaissances reçues jusqu’à ce qu’on l’ait soumise à la réfutation, et que, grâce à cette réfutation, on lui fasse honte d’elle-même et la débarrasse ainsi des opinions qui empêchaient la connaissance. Elle sera ainsi purifiée et ne croira à l’avenir savoir que ce qu’elle sait, et non davantage314.

L’Étranger reconnaît des ressemblances entre ces « purgateurs » et les sophistes. Mais il résiste à les identifier.

L’Étranger : Et alors ? Comment donc appellerons-nous ceux qui pratiquent cette technique ? J’ai quelque appréhension, personnellement, à les nommer sophistes…

Théétète : Pourquoi donc cette crainte ?

L’Étranger : Pour ne pas leur rendre un si grand honneur.

Théétète : Pourtant, ce que nous venons de décrire paraît bien leur ressembler.

L’Étranger : Oui, comme le loup au chien, la bête la plus sauvage à la bête la plus apprivoisée. Mais l’homme avisé doit être toujours en garde contre les ressemblances, car celles-ci sont un genre très glissant. Admettons, cependant, qu’ils sont semblables ; lorsqu’ils guetteront consciencieusement, la controverse sur les frontières ne sera certainement pas petite315.

Le probateur, tout comme le sophiste, use de ruses et vise à réfuter son adversaire, pour manifester son ignorance. Les deux, comme le souligne l’Étranger, guettent la contradiction. Cependant, le sophiste embrouille et accuse d’ignorance même ceux qui savent, ce que ne fait pas le probateur316. Puis, en réalité, le probateur ressemble davantage

au philosophe qu’au sophiste, car il veut apprendre : il désire la connaissance à un point tel qu’il redoute les charlatans et qu’il soumet tous ceux qui prétendent savoir à un test, à une épreuve, lui permettant de séparer les enseignants potentiels des faux-savants. Le probateur « entre en guerre » contre son interlocuteur, mais dans le but de préparer la paix. Éventuellement et dépendamment de ce qu’aura dévoilé la mise à l’épreuve, il se laissera enseigner ou proposera à son interlocuteur d’investiguer réellement avec lui le problème qui les occupe. Loin de faire partie des sophistes, le probateur œuvre plutôt à les démasquer. En somme, et pour conclure cette deuxième partie, nous avons vu qu’Aristote dépeint dans les Topiques deux types d’agressivité dialectique : l’une concerne une position (l’investigatoire), l’autre, un interlocuteur (la probatoire). Ces deux types d’agressivité n’empêchent pas la recherche de la vérité et ne conduisent pas à la dispute, habitat naturel des sophistes. Au contraire ! Attaquer la position initiale est la condition incontournable pour investiguer efficacement un problème, pour découvrir l’opinion la plus sensée et mener ainsi à la porte de l’évidence. Et attaquer son interlocuteur est l’œuvre nécessaire de celui qui discute avec quelqu’un prétendant déjà connaître la vérité. Car pour apprendre et chercher, on doit pouvoir différencier l’enseignant véritable et le faux-savant. Il faut être à

315 Ibid., 231a-d.

même de démasquer la double ignorance et d’éventuellement ramener son interlocuteur dans de meilleures dispositions.

Conclusion du chapitre 3

Ce dernier chapitre voulait observer les agents du raisonnement dialectique, à savoir le demandeur et le répondeur, tels qu’Aristote en conçoit les rôles. La description qu’il fait de ces rôles, ainsi que de leur interaction se concilie-t-elle avec l’opinion que les dialecticiens peuvent et veulent préparer le travail du philosophe ? Dans ce chapitre, j’ai tenté de montrer que oui. Car le dialogue constitue le lieu naturel, tout à fait nécessaire, de la dialectique. Au fond, seuls un demandeur et un répondeur, tels que les décrit Aristote, peuvent à juste titre investiguer un problème, car seulement eux garantissent le test nécessaire pour découvrir l’opinion la plus sensée.

Pour montrer la naturalité du dialogue en dialectique, j’ai d’abord manifesté qu’argumenter à partir d’endoxes suppose irrémédiablement deux opérations : découvrir une proposition (ou demander) et juger de son endoxalité et de sa pertinence (ou répondre). Ces deux actes entraînent nécessairement un dialogue, se produisant naturellement à deux ou, accidentellement et faute d’interlocuteurs, seul, mais en faisant mentalement le travail de deux personnes.

Après toutes ces remarques, un doute demeurait toutefois : pourquoi Aristote introduit- il une dimension agressive dans la discussion dialectique ? La recherche de la vérité n’est- elle pas une activité paisible ? Pour résoudre la difficulté, il était important de voir d’abord que l’agressivité décrite dans le livre VIII des Topiques signalent deux types de dialectique : l’investigatoire, qui s’attaque à un énoncé, à une position initiale, et la probatoire, qui s’attaque quant à elle à un interlocuteur. C’est souvent parce qu’on peine à distinguer ces deux types de dialectique chez Aristote qu’on conçoit mal comment la discussion peut vraiment préparer à la philosophie. Car seule l’investigatoire, en fait, y prépare directement. L’agressivité qu’elle contient, entièrement tournée vers la position initiale, sert à mettre en lumière l’opinion la plus forte, la plus solide, celle qui se tient. La probatoire, quant à elle, vise plus prochainement à préparer l’investigatoire ou l’enseignement, en habilitant le dialecticien à évaluer les prétendues compétences de son interlocuteur.

Il est manifeste que le livre VIII des Topiques donne au dialecticien apprenti les clefs pour rechercher sainement et fructueusement l’opinion la plus sensée, signe et indication

d’une future évidence. Cette recherche se veut nécessairement sociale, dialogique. Loin d’être un « mode de pensée révolu »317, le dialogue humain s’érige comme le chemin par

lequel doivent nécessairement passer tous ceux qui aiment sincèrement la vérité, qui la désirent de toute leur âme. Le dialogue, au contraire de ce qu’affirme Brunschwig, se trouve pour Aristote « au cœur de la vocation de l’animal raisonnable »318. L’homme, en

raison de son indigence et de sa grande imperfection, est un animal social dans toutes les sphères de sa vie. Et il l’est particulièrement dans son activité la plus haute, la plus digne, la plus importante : connaître et comprendre la réalité.

317 Ross, Aristote, « La dialectique », p. 87.

Conclusion

Les Topiques découragent généralement leurs lecteurs. On y trouve peu de définitions claires, la longue énumération des lieux semble à première vue désordonnée et arbitraire et la brièveté d’Aristote a donné l’occasion à plusieurs commentateurs d’imaginer qu’il se contredirait et qu’il aurait changé d’avis entre la rédaction des différents livres : convaincu en écrivant le premier livre que la dialectique prépare à la philosophie, le Stagirite l’aurait détachée au huitième livre de tout souci envers la vérité. D’ailleurs, d’après ces mêmes commentateurs, Aristote n’userait pas de la dialectique des Topiques dans ses traités philosophiques.

Qu’en est-il réellement ? La dialectique, comme la conçoit Aristote, prépare-t-elle à la philosophie ? Principalement deux thèses s’affrontent dans la littérature secondaire. De l’avis de la majorité des commentateurs, la dialectique aristotélicienne ne trace pas la voie à la philosophie : elle est une « dialectic without tears, without drama, with no serious concern for truth, no involvement in the tragedies of life »319. La dialectique s’identifierait

plutôt à un exercice, dont la fonction consisterait seulement à « muscler » la raison. D’autres commentateurs se situent quant à eux à l’autre extrême : la dialectique constituerait en fait la méthode même de la philosophie d’Aristote. Aubenque, par exemple, va jusqu’à identifier chez le Stagirite métaphysique et dialectique320.

Qui a raison ? Qui a tort ? En fait, comme l’a montré ce mémoire, aucune de ces positions ne convient. La vérité, à l’image de la vertu, se trouve dans un juste milieu. Car la dialectique, bien qu’elle prépare à la philosophie, ne s’y identifie pas. Elle est une aide précieuse pour chercher la vérité, mais elle ne permet pas à elle seule de la connaître avec certitude et évidence. Pour le montrer, je me suis penchée sur la nature du raisonnement dialectique et je l’ai examiné sous trois aspects : sa matière, sa forme et ses agents. Ces trois types de cause peuvent être considérés comme des moyens par rapport à la fin : par exemple, c’est parce que la scie a pour but de scier qu’elle est faite en acier, qu’elle a des dents et qu’elle est manipulée par un constructeur. Ainsi, si la matière, la forme et les agents du raisonnement dialectique présentent les qualités nécessaires pour rechercher la vérité,

319 Brunschwig, « Aristotle on Arguments without Winners or Losers », p. 30. 320 Cf. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, chapitre trois.

alors il faut convenir que la dialectique peut préparer le travail du philosophe. Or, comme je l’ai montré, c’est bel et bien le cas. La matière, la forme et les agents du raisonnement dialectique pointent tous en direction de la philosophie, se présentent tous comme d’excellents moyens pour investiguer un problème en vue de découvrir la vérité.

D’abord, la matière du raisonnement dialectique, l’endoxe, coïncide la plupart du temps avec la vérité. D’après Aristote, la nature est ordonnée et atteint généralement sa fin. Or, la nature de l’homme consiste essentiellement en sa raison et sa fin, en la vérité. Dès lors, pour ce qui concerne l’expérience commune, accessible à tous, l’homme atteint la majorité du temps la vérité. Comme je l’ai fait remarquer toutefois, pour ce qui a trait à l’expérience particulière, l’âme humaine erre en revanche le plus souvent, se trompe généralement. Cela n’invalide toutefois pas la pertinence de l’endoxe. Au contraire : on comprend par là le génie de la définition qu’en donne Aristote. C’est en passant par le commun, par ce qui est admis de tous, qu’on progresse dans la recherche, qu’on précise ses connaissances. Car l’endoxe absolu, commun, est assuré par la nature et comporte, par le fait même, davantage de certitudes que l’endoxe relatif, particulier. C’est en s’appuyant sur leurs idées communes que les hommes règlent leurs différends, résolvent ensemble les problèmes qui les occupent.

Ensuite, la forme du raisonnement dialectique, le lieu, permet d’assurer des raisonnements rigoureux et féconds. Car user de lieux, c’est exploiter les compatibilités d’attribution liées aux corrélatifs logiques. Or, ces compatibilités assurent la majorité du temps le principe dici de omni, principe au fondement de tout raisonnement rigoureux. Par exemple, le lieu « tout ce qui s’attribue à la définition, s’attribue aussi au défini » comporte une parfaite nécessité, comme je l’ai manifesté au deuxième chapitre de ce mémoire. Certes, certains lieux, comme celui de l’étymologie ou du semblable, n’engendrent pas autant de fermeté, d’assurance. Mais ils ne méritent pas notre mépris pour autant. Ces lieux possèdent tout de même l’aptitude de tirer la raison de son néant, de son indécision totale. Un raisonnement par le semblable ne convainc pas pleinement, mais peut incliner la raison vers l’une des contradictoires, quand aucun raisonnement plus fort ne permet de se faire une tête sur le problème.

Par ailleurs, la connaissance des lieux rend capable d’abonder en arguments dans les deux sens et de faire ainsi le tour d’un problème. Or, cette fécondité permet à la raison de mieux comprendre les ficelles de la question qui l’occupe et, éventuellement, de mieux apercevoir sa solution. C’est ce que souligne Aristote dans la Métaphysique :

Quand on veut résoudre une difficulté, il est utile de l’explorer d’abord soigneusement en tous sens, car l’aisance où la pensée parviendra plus tard réside dans le dénouement des difficultés qui se posaient antérieurement, et il n’est pas possible de défaire un nœud sans savoir de quoi il s’agit. […] De là vient qu’il faut avoir considéré auparavant toutes les difficultés, à la fois pour les raisons que nous venons d’indiquer et aussi parce que chercher sans avoir exploré d’abord les