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Chapitre 3. Les figures du déploiement des Tic dans l’espace rural

B. La préhension des Tic dans l’espace rural

Nous avons souligné les décalages entre les politiques publiques de déploiement des innovations techniques et les ancrages réels de ces innovations dans les pratiques sociales des populations. Les discours liés à la diffusion de l’innovation technique sont souvent construits sans tenir compte du caractère différencié des territoires et des populations, et nous allons montrer que les populations peuvent parfois entrer en résistance contre le changement dans les cas où il est susceptible d’avoir un effet jugé négatif par celles-ci. La difficulté pour les acteurs du développement territorial parait finalement être de réussir à composer avec les identités locales.

B.1 La résistance au changement

Au deuxième chapitre, nous avons montré l’importance de l’identité culturelle dans les villages ruraux. Une solidarité forte se constitue autour de cette identité commune aux habitants d’un même village. La communauté villageoise est caractérisée par une vision endogame du monde67, entre autre matérialisée dans les discours portés par les villageois. L’utilisation du nous opposant la communauté au reste du monde caractérise ces discours, reflétant une prise de distance des habitants du village vis-à-vis du reste de la société, telle qu’elle est notamment présentée par les médias de masse. La culture villageoise se veut authentique, et la défense de cette authenticité peut parfois

65 Miège, Op. Cit., page 34.

66 Miège, 1997, page 169.

67 Bodson, 1993.

conduire à des formes de résistance du groupe vis-à-vis de ce qui est considéré comme susceptible de la remettre en question.

Pour illustrer notre propos concernant la résistance du monde rural contre les tentatives de standardisation des territoires, nous pouvons brièvement citer le cas de l’uniformisation des plaques minéralogiques voulue au niveau européen et en passe d’être appliquée dans l’ensemble du territoire français. Attaché à son identité culturelle jusque sur les plaques d’immatriculation des véhicules, le Conseil Général de l’Ardèche édite depuis février 2008 un autocollant reprenant le futur code graphique des plaques d’immatriculation européennes avec la mention « Le 07 moi j’y tiens ! »68. Ainsi le département lui-même, consciencieux en ce qui concerne l’identité de ses habitants, s’indigne dans un communiqué de presse annonçant la distribution gratuite de ces autocollants : « Reprenant la forme des plaques d'immatriculation qui seront en vigueur dès le 1er janvier 2009, cet autocollant vise à sensibiliser les Ardéchois au risque de voir leur identité disparaître s'ils ne demandent pas une personnalisation de leur plaque pour toute nouvelle immatriculation » [italiques JBA]. Les mots choisis sont forts. Ils visent explicitement à activer les valeurs identitaires des habitants du département. Le communiqué poursuit : « nouvelle étape dans la résistance à l’uniformisation, une nouvelle motion devrait prochainement être présentée par les conseillers généraux pour que l’identité du département soit clairement affichée sur toutes les plaques des véhicules immatriculés en Ardèche, à compter du 1er janvier 2009, par l’apposition obligatoire du numéro 07 et du logo du Conseil Général » [italiques JBA].

B.2 Internet

A la suite de Marshall Mc Luhan et du mythe du village planétaire qu’il a largement promu, de nombreux enthousiastes ont érigé les « autoroutes de l’information » comme les espaces du futur, « espaces apolitiques plutôt que territoires, qui permettraient aux habitants de toute la planète de "communiquer" entre eux en faisant l’économie de déchirements et de la souffrance qu’engendre l’attachement à des territoires plus concrets »69. Si ces territoires virtuels sont encore célébrés par les

68 Voir en annexe 3 : campagne « le 07, moi j’y tiens ».

69 Pagès, 1997-1998, page 44.

discours de certains professionnels, ils sont aussi critiqués par un grand nombre de chercheurs. Ceux-ci se montrent sceptiques quant aux vertus « d’ubiquité, d’immédiateté et d’indifférenciation spatiale » qui sont souvent attribués aux Tic, aux réseaux en particulier70. En effet, ces mythes liés au réseau internet sont marqués par une surévaluation du rôle que les Tic peuvent jouer sur la société71. Alors qu’on reproche sans cesse aux industries culturelles et au réseau de pousser la société vers la standardisation culturelle et la perte de l’identité, on observe dans le même temps une montée des identités culturelles locales, le territoire devenant alors un des instruments de mise en valeur des identités socioculturelles.

Si la posture soutenue par Mc Luhan est stimulante, elle n’en demeure pas moins biaisée par des fantasmes largement déterministes selon lesquels l’espace territorial finirait par être remplacé par l’espace virtuel, le cyberespace. Pourtant, nous ne pouvons pas nier que les réseaux occupent une large part dans les occupations des « sociétés modernes ». Les divers usages d’internet, notamment en ce qui concerne la recherche et la publication d’informations par les usagers au travers des sites participatifs, communautaires, etc., constituent bel et bien des pratiques en plein essor mais, à l’instar de Bernard Miège, nous nous empresserons de souligner le fait que ces relations au réseau ne s’instituent pas en lieu et place des pratiques sociales antérieures, autant en ce qui concerne la consommation de contenus qu’en ce qui concerne les relations sociales72.

Pour autant, avec la mise en place d’accès en haut débit à internet dans l’ensemble du territoire français, y compris dans les espaces ruraux, des pratiques du réseau sont progressivement développées et impriment plus ou moins progressivement leurs marques sur les pratiques sociales des populations73. Si la mise en place technique du réseau dans l’espace rural tient souvent de demandes sociales issues des nouveaux

campagnard, nous pouvons également nous demander s’ils jouent de la même sorte un rôle dans la mise en place des pratiques sociales du réseau vis-à-vis des autres habitants.