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A. L ES MISES EN SCÈNE JOURNALISTIQUES

1. La patrimonialisation pour valoriser des espaces géographiques

Tous ces documentaires étudiés contiennent des plans de lieux ou de bâtiments auxquels Marseille et Saint-Denis sont communément rattachés1. Ainsi des images de la

basilique, de Notre-Dame de la Garde ou du Vieux-Port reviennent d'un film à l'autre2.

Ces images, et celles d'autres lieux emblématiques auxquels sont souvent accolés une voix off ou un sous-titre, permettent de fournir des repères aux spectateurs. Elles correspondent à une nécessité venue du journalisme audiovisuel et écrit qui consiste à situer l'action à partir de repères connus de tous. Un tel constat s'accorde avec les observations de S. Barreau-Broust dans son étude sur les documentaires produits par la chaîne Arte. Selon elle, « Le modèle informationnel suppose que le sujet thématique prime sur le point de vue de l’auteur, que les sujets abordés soient accessibles à tous les téléspectateurs, les images lisibles, rapides et efficaces, attrayantes, et la voix off explicative3 ». Sans nécessairement mobiliser la notion de « point de vue d'auteur » qui

provient des acteurs sociaux étudiés, cette exigence apparaît clairement dans quelques films. Toutefois, la mise en scène des bâtiments et lieux emblématiques produit également des images consensuelles et valorisantes. Elles fonctionnent comme un contrepoint des représentations sur la « violence », la « délinquance », la « pauvreté » couramment véhiculées à propos de ces espaces et quelquefois également reconduites dans les films en question.

Le maire de Marseille réalisé par M. Reiser débute sur une vue générale de la ville, du Vieux-Port, d'immeubles et de maisons pris en plongée. Une voix off assène alors nombre de clichés couramment répandus sur la ville : de sa création par les Grecs, en passant par sa dimension méditerranéenne, les divisions par « communautés », le « cosmopolitisme », la figure tutélaire de G. Defferre ainsi que l'importante part de musulmans dans sa population4. Ce plan sur la ville avec la voix off qui l'accompagne 1 Dans une grande partie des cas, une voix off ou un sous-titre redouble l'image.

2 Plus précisément dans Marseille vu par Rudy Ricciotti, Marseille, une ville monde, Capitales de la

Méditerranée, Le Maire de Marseille.

3 BARREAU-BROUSTE S., Arte et le documentaire. De nouveaux enjeux pour la création, op. cit., p. 93.

4 « Née il y a 2600 ans du désir expansionniste de Grecs venus de Phocée qui en firent une colonie aux portes de la Méditerranée, Marseille s’est constituée par strates au cours des siècles pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui, la deuxième ville de France avec une agglomération de plus de 800 000 habitants qui s’étend sur 24 000 hectares. De nombreuses communautés la composent, faisant d’elle la cité la plus cosmopolite de France. Elle a été dirigée pendant des décennies par des socialistes dont Gaston Defferre

correspond à une mise en scène patrimoniale de Marseille. La ville est donnée à voir à partir d'idées-forces lui attribuant un caractère positif. La réalisatrice reprend des mises en scène patrimoniales relevant du journalisme, même si elle n'a jamais officié directement dans cette profession. Sa trajectoire professionnelle est liée au cinéma, mais de façon tout à fait mineure bien qu'elle utilise des termes qui y renvoient. À titre de rappel, M. Reiser se positionne par ses propos dans le champ cinématographique. Objectivement elle n'a réalisé en fiction qu'un seul court-métrage. En revanche elle a réalisé des documentaires, mais également des magazines et reportages, catégories audiovisuelles souvent assimilées au journalisme. Au moment où elle fait le film (avant de devenir membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel), M. Reiser est avant tout une professionnelle intégrée à la télévision à travers différents postes. De ses débuts comme présentatrice télé, à la réalisation de films (reportages, publicités, documentaires, films médicaux...) en passant par son travail de productrice et la série de documentaires sur les maires des villes françaises dont provient le film en question, elle travaille au sein ou pour des chaînes. Elle occupe des postes de renom et fréquente les acteurs qui gravitent en haut de la hiérarchie médiatique. Choisir de consacrer des lieux ou des bâtiments emblématiques tout en reproduisant des clichés couramment répandus sur la ville s'accorde avec la position centrale, intégrée et stabilisée professionnellement en télévision. Elle peut se réclamer du cinéma, mais reprend des normes de présentation de l'espace géographique qui proviennent du journalisme télévisuel dont elle est coutumière1. C'est donc tout à la fois sa position dans l'espace

documentaire - en l'occurrence celle d'une professionnelle intégrée - et le fait qu'elle n'appartienne pas totalement au champ cinématographique qui permettent d'expliquer la présence de telles mises en scène.

Dans le corpus dionysien, la basilique de Saint-Denis et le Stade de France apparaissent emblématiques des espaces géographiques filmés2. Les deux bâtiments

constituent des repères pour les spectateurs puisque l'action du film est directement rattachée à Saint-Denis3 . Comme pour Marseille, les plans sur le patrimoine qui a marqué la ville. C’est Jean-Claude Gaudin, vice-président de l’UMP qui est aujourd’hui le maire de Marseille. Il a été élu à la troisième tentative en 1995 et réélu largement en 2001. Nous avons commencé à le suivre (raccord avec un plan du Stade Vélodrome et Jean-Claude Gaudin de dos serrant des mains) quelques jours avant la déclaration de la guerre en Irak dans une ville où vivent plus de 150 000 musulmans ». Voix off extraite du film Le maire de Marseille.

1 Elle a réalisé par exemple des reportages pour l'émission Envoyé Spécial.

2 Sur ce point, il ne s'agit pas seulement de plans du Stade de France ou de la basilique comme dans les films Musique ou Le noir me met à l'abri, mais de séquences véritablement consacrées à ces lieux.

architectural donnent à voir la ville, permettent de situer l'action et plus important encore, participent d'une valorisation. Ainsi dans Saint-Denis vu par Pierre Riboulet la qualité architecturale de la basilique et du Stade de France est soulignée par les plans sur ces édifices et les prises de position de P. Riboulet. Face à la présence de situations telles que le « chômage », la « pauvreté » ou les illégalismes, la mise en scène patrimoniale participe d'une mise en valeur des lieux. De même, la voix off d'Un tram dans la ville fait référence à la basilique de Saint-Denis tout en évoquant les « trafics » qui auraient cours à proximité.

« Le passé côtoie harmonieusement le présent, les grands rois veillent là-bas dans leur basilique de pierre. C’est agréable et souriant. Il est vrai que les trafics et les deals en tous genres ne s’affichent qu’en soirée.1 »

En règle générale, ces mises en scène des bâtiments ou des lieux emblématiques sont pleinement présentes dans les films de réalisateurs professionnels inscrivant dans la durée leur activité au sein de programmes télévisuels ou éducatifs spécifiques. Le documentaire d'A. Dayan sur une croisière, ceux réalisés dans le cadre du Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP) autour de deux architectes ou celui de J.-F. Détré sur le tramway en sont la meilleure illustration. Ces réalisateurs ont un statut de professionnels de l'audiovisuel, mais demeurent faiblement reconnus en l'absence de consécration de la part d'instances cinématographiques. Souvent plus jeunes, investis par ailleurs dans le cinéma de fiction et en contrat avec des chaînes pour réaliser un film d'une série de documentaires, d'autres réalisateurs reconduisent une présentation laudative des bâtiments et des lieux. Mais les formes retenues sont souvent hybrides, allant par exemple chercher des plans dynamiques inspirés des vidéo-clips2. Enfin, à l'image de M. Reiser, certains occupent une position plus intégrée

comme professionnels du documentaire. Ils travaillent à temps plein dans la production de formats audiovisuels pour la télévision. En mesure de reconduire ces mises en scène, ils en ajoutent d'autres reconnues et valides dans la réalisation de

ville. D'autres réalisateurs filment la basilique, mais uniquement parce qu'une action déterminée s'y

déroule. En tant que telle, elle ne constitue pas l'objet du documentaire. 1 Extrait du film Un tram dans la ville.

2 Je pense ici au deux réalisations produites par France Ô filmées à Saint-Denis au moment des sélections pour les France Ô Folies.

documentaires dits « de création »1.

La patrimonialisation est une manière pour les réalisateurs et leur équipe de valoriser des espaces géographiques urbains comme Saint-Denis, la Seine-Saint-Denis, la « banlieue » ou Marseille. En voulant montrer les qualités architecturales et historiques de ces lieux, les documentaires ne font pas disparaître les représentations stigmatisantes liées à la « délinquance » ou la « pauvreté ». Ils ajoutent d'autres représentations dont la présence sert à contrebalancer des visions dépréciatives. Elles sont le pendant « positif » et constituent à ce titre une manière pour ceux qui font le film de prendre position en faveur de ces espaces. Souvent imperceptible et consensuel dans la mesure où il n'attaque aucun acteur ou injustice en particulier, ce choix de traitement de l'urbain stigmatisé reste néanmoins un parti pris qui permet en dehors du film (par exemple lors des entretiens) aux réalisateurs de faire valoir le fait qu'ils aient participé à donner à voir « autrement », c'est-à-dire sous un jour « positif », des espaces qui seraient par ailleurs décriés dans le médias et les discours politiques.