I- LA CONSECRATION DE LA SUBSIDIARITE
1- La notion de subsidiarité : définition et implications
La nouvelle réforme tente de clarifier les champs des compétences locales et fait l’objet
d’un réel encadrement juridique qui tire sa force de la nouvelle Constitution. La
subsidiarité est l’un des principaux principes apportés par les nouveaux textes. Elle
joue un rôle très important en matière de répartition des compétences entre l’Etat et les
collectivités décentralisées. Avant d’aborder sa place dans le cadre de la réforme
actuelle, il est important de cerner cette notion qui fait partie pour la première fois de
l’arsenal juridique lié à la décentralisation. La notion de subsidiarité ne date pas
d’aujourd’hui
338. Selon Frédéric
BAUDIN-CULLIERE« La subsidiarité n’est pas une
norme juridique, c’est un état d’esprit, une orientation »
339. Bien qu’il s’agisse d’un
concept à la mode, ses origines remontent à la doctrine sociale de l’Eglise
340. Pour
Bertrand FAURE, le principe de subsidiarité « traduit la nécessité de faire exercer, ou
de regrouper, les compétences au niveau le plus adéquat au regard de la satisfaction
des citoyens ainsi que de leur coût »
341. D’une façon concrète, la subsidiarité a pour
objectif d’établir les responsabilités au niveau le plus proche du citoyen. Autrement dit,
337 « Laisser respirer les territoires », Rapport du Sénat n° 485, (Rapport d'information de MM. Mathieu DARNAUD, René VANDIERENDONCK, Pierre-Yves COLLOMBAT et Michel MERCIER, fait au nom de la commission des lois (29/03/2017)). (p. 38).
338LEMOYNE-DE-FORGES J–M. (2004) « Subsidiarité et chef de file : une nouvelle répartition des compétences ? Dans GAUDEMET Y. et GOHIN O. (ss. Dir.) « La République décentralisée » éd. Panthéon-Assas, 2004. Pp. 47-55.
339BAUDIN-CULLIERE (1995) « Principe de subsidiarité et administration locale », L. G. D. J., Paris. (p. 35)
340Voir NAUDET J. Y. (sous dir.) « La subsidiarité », Collection du Centre d’Ethique Economique, Presses Universitaires d’Aix-Marseille (2014).
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l’échelon communal est d’abord choisi pour l’exercice d’une compétence locale. A partir
du moment où la satisfaction des besoins serait mieux assurée par un échelon
supérieur, celui-ci est choisi pour cette compétence. C’est un principe qui permet la
valorisation des acteurs de proximité par rapport aux instances éloignées
342. Il permet
d’affirmer leur plus grande capacité à gérer leurs affaires propres dans l’objectif de
maximisation de l’efficacité de leurs actions. Selon Jean-Didier LECAILLON
343, la
subsidiarité s’impose souvent sur le terrain économique comme le seul moyen de
réussite et de performance. Il s’agit d’un principe sur lequel se fonde l’autonomie
locale
344dans la mesure où la subsidiarité a pour but de laisser une certaine
« autonomie aux échelons inférieurs, tout en leur donnant les moyens d’atteindre leur
fin »
345. Il apparaît comme un élément protecteur des échelons inférieurs. Ainsi, Pierre
COULANGE
346souligne que «la mise en œuvre de la subsidiarité permet l’attribution
d’une place au moins capable et moins puissant qui doit être respecté. Les échelons
supérieurs sont tenus de laisser une marge d’autonomie importante aux subordonnés
afin qu’ils puissent prendre des initiatives et se comporter activement et avec
responsabilité. Ainsi, la subsidiarité suppose que l’initiative des tâches revienne au
niveau le plus décentralisé et que les échelons supérieurs s’abstiennent d’intervenir
inutilement »
347. D’où la portée du principe de subsidiarité qui réside selon
Jean-Philippe DEROSIER dans la souplesse qu’il permet en matière de répartition des
compétences. Une souplesse qui fait de la subsidiarité « une réponse à la dialectique
centralisation/décentralisation »
348à travers la conciliation et l’équilibre entre deux
principes fondamentaux à toute démocratie à savoir d’une part la liberté qui mène à
342BAUDIN-CULLIERE F. (1997) « La notion de subsidiarité dans les organisations politique et administrative françaises » dans FAURE A. (ss. Dir.) « Territoires et subsidiarité. L’action publique locale à la lumière d’un principe controversé », 1997, L’Harmattan pp. 67-96, (p. 71).
343 LECAILLON J. D. (2014) dans NAUDET J. Y. (sous dir.) « La subsidiarité », (Opt. Cit.), (préface page 9).
344HECKLY Ch. Et OBERKAMPF E. (1994) “La subsidiarité à l’américaine: Quels enseignements pour l’Europe? », L’Harmattan, (p. 14).
345COULANGE P. (2014) « Subsidiarité et autorité », dans NAUDET Jean-Yves « La subsidiarité », Collection du Centre d’Ethique Economique dirigée par, Presses Universitaires d’Aix-Marseille. (Opt. Cit.). P. 37.
346 Idem Opt. Cit. (p.42). 347 Idem Opt. Cit. (p.44).
348DEROSIER J.-P., (2005), « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », atelier « Pouvoir local et Constitution », VIe congrès de Droit constitutionnel, Montpellier, 9-11 juin. (p. 129).
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une diversité, et d’autre part, l’égalité qui implique une certaine unité
349. Autrement
dit, la subsidiarité tente de concilier la liberté et l’autorité
350dans la mesure où elle
permet à la fois de limiter l’intervention de l’Etat pour garantir aux collectivités
territoriales leur liberté d’agir, mais aussi de justifier cette intervention de l’Etat
comme garant de l’unité et de l’égalité afin d’empêcher des abus éventuels et assurer
l’application du droit de façon uniforme. Il s’agit d’une construction du pouvoir du bas
vers le haut comme le note Olivier DUBOS
351. La subsidiarité est un principe qui
permet de différencier les notions de compétence de principe et d’attribution
352. Dans
une logique de subsidiarité, la compétence de principe est en bas alors que celle
d’attribution est en haut. Inversement, dans la logique de décentralisation, la
compétence de principe est en haut tandis que la compétence d’attribution est en bas.
Pour que la subsidiarité assume entièrement son rôle, son inscription dans le texte
constitutionnel demeure importante tant pour les Etats fédéraux
353que pour les Etats
unitaires. Pour ces derniers, on est tenté de faire une comparaison entre le cas de la
France et le cas du Maroc où on dénombre quatre échelons pour l’exercice d’une
compétence. La révision constitutionnelle de 2003 en France a prévu dans son article
72 (al. 2) que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».
Ainsi rédigé, le présent article traduit l’absence d’une certaine clarté quant aux
décisions des collectivités territoriales par l’utilisation des termes « vocation » et « le
mieux » qui demeurent marqués par une certaine généralité et ambiguïté. Ce qui réduit
le principe de subsidiarité « à la française » à un objectif et non à un concept de droit
349DEROSIER J.-P., (2009), « Et au milieu coule une rivière : La subsidiarité et la frontière rhénane. Signification juridique, implications possibles et portes positives de deux articles 72, alinéa 2 », dans BRISSON J.-F. (ss. dir.) « Les transferts des compétences de l’Etat aux collectivités locales », L’Harmattan. Pp 91-108 (p. 96).
350 BAUDIN-CULLIERE F. (1997) (Opt.Cit.) (p. 95).
351DUBOS O. (2008) « La subsidiarité» dans « La compétence », actes du colloque organisé les 12 et 13 juin 2008 par l’association française pour la recherche en droit administratif (AFDA). Opt. Cit. pp. 193-218. (p. 193).
352 DEROSIER J.-P., (2005), Opt. Cit.
353A titre d’exemple L’article 30 de la loi fondamentale allemande consacré à la répartition des compétences entre la Fédération et les Länder stipule que « L'exercice des pouvoirs étatiques et l'accomplissement des missions de l'Etat relèvent des Länder, à moins que la présente Loi fondamentale n'en dispose autrement ou n'admette un autre règlement ». C’est également le cas pour la Fédération suisse. L’article 3 de la constitution « Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération ». Notons également que la subsidiarité est au centre du droit positif de l’Union Européenne notamment depuis le traité de Maastricht en 1992.
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positif. Le mot « vocation » évoque la présence d’objectif, l’absence d’obligation
juridique
354et donc non opposable aux collectivités territoriales. Le principe de
subsidiarité tel qu’il a été évoqué dans la constitution française ne peut pas permettre
un contrôle effectif en matière de répartition des compétences par le juge
constitutionnel. À travers le mot « vocation », il est bien question d’objectif et non
d’obligation juridique, qui plus est, d’un objectif formulé de manière pour le moins
indéterminée (« le mieux »). Selon Julien BARROCHE la subsidiarité à la française
pourrait « s’apparenter à une ruse de l’État central lui permettant de ne pas perdre la
main face à des collectivités territoriales conquérantes, alors même qu’à l’image de
l’Espagne, de l’Italie et du Royaume-Uni, les États historiquement unitaires sont tous
plus ou moins engagés sur la voie de la fédéralisation »
355. Si la Constitution française,
par « crainte de dépassement de l’Etat unitaire » définit le principe de subsidiarité sans
le nommer pour reprendre la formule utilisé par Géraldine CHAVRIER
356, la nouvelle
Constitution adoptée au Maroc, quant-à-elle, a circonscrit expressément un tel
principe. L’imprécision de la formulation et la généralité des termes auxquels la
constitution française révisée en 2003 a eu recours, laissent aux autorités centrales
« une grande marge d’appréciation qui témoigne du refus d’engager l’Etat dans la
détermination constitutionnelle de la répartition des compétences »
357. D’où la
minimisation des contrôles qui seraient limités aux erreurs liées à l’appréciation
358et
l’absence d’une « application juridique réelle » de subsidiarité et son inefficacité en
matière de régulation de compétences
359. Ce caractère juridique peu contraignant de la
subsidiarité telle qu’elle a été circonscrite dans la loi suprême est d’ailleurs confirmée
par le Conseil Constitutionnel qui a donné une lecture du texte de la Constitution
(l’article 72, al. 2)
360.
354BARROCHE J. (2008) « La subsidiarité française existe-t-elle ?», communication au VII° Congrès français de droit institutionnel, Septembre 2008, AFDC. (p. 7).
355 Idem, (p. 13).
356CHARVIER G. (2010) « Les nouveaux mots de la décentralisation ; analyse rhétorique d’une réforme », Dans PAVIA M-L. (S s. dir.) « Les transferts de compétences aux collectivités territoriales : aujourd’hui et demain ?», L’Harmattan pp. 149-160. (p. 155).
357MONTAIN-DOMENACH J. et BREMOND C. (2007) « Droit des collectivités territoriales », 3ème édition, PUG, Grenoble (p.56). (Cité par ROMBAUS-CHABROL (2014) « L’intérêt public local », Thèse de doctorat, Faculté de droit de Montpellier (p. 111)).
358 ROUX A. (2016) « La décentralisation. Droit des collectivités territoriales », LGDG (p. 141). 359 DEROSIER J.-P., (2009), Opt. Cit. (p. 104).
360Dans sa décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 relative à la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, le Conseil Constitutionnel estime « qu’il résulte de la généralité