Chapitre I – Les données massives et le marketing
Chapitre 2 – L’utilisation intelligente des données du consommateur
2.2 La personnalisation abusive
2.2.1 Le micromarketing
2.2.1.3 La notion de consommateur moyen en micromarketing
De manière générale, les entreprises et les consommateurs apprécient recevoir une publicité adaptée à leurs besoins329. Or, ces pratiques peuvent rapidement devenir agressives
ou intrusives pour le consommateur et finir par créer une forme d’insatisfaction. Une approche trop personnalisée a tendance à créer un effet d’évitement chez le consommateur330.
Avec le temps, de nombreuses recherches ont démontré que le ciblage publicitaire était considéré par les consommateurs comme une intrusion dans leur vie privée331. Il existe une
corrélation négative entre la perception du consommateur et ces préoccupations face à la protection de leur vie privée. En effet, les consommateurs ayant une opinion positive d’une publicité donnée auraient moins d’inquiétude par rapport à la protection de leur vie privée332.
La confiance est une notion qui varie dans le temps et la multiplication des scandales en matière de vol de données et d’utilisation à des fins non consentie encourage cette méfiance face à la publicité ciblée.
La connaissance et la compréhension des nouvelles technologies jouent un rôle important dans la perception du risque pour les consommateurs. Il existe une pluralité de mécanisme permettant de protéger le consommateur, autant technique que juridique, mais il serait faux de croire que le consommateur est adéquatement protégé. L’idée que le consommateur est en mesure de comprendre et d’utiliser les outils de protection à sa disposition est illusoire. Le professeur de droit américain Paul Ohm prévient dans ces recherches que le droit ne doit pas protéger les internautes aguerris333, mais plutôt le consommateur moyen à l’image du
329 Christian LATOUR, « Le marketing direct (le marketing relationnel)… ce qu’il faut savoir », HRI Mag, 18
février 2018, en ligne : <https://www.hrimag.com/Le-marketing-direct-marketing-relationnel-ce-qu-il-faut- savoir> ; S. TANGUAY, préc., note 296, p. 168.
330S. TANGUAY, préc., note 296, p. 166.
331 Id., p. 169 ; Sangdow ALNADI, Maged ALI et Kholoud ALKAYID, « The effectiveness of online
advertising via the behavioral targeting mecanism », (2014) 5-1 The Business and Management Review 23, 28.
332 Id., 28.
333 Paul OHM, « The Myth of the Superuser : Fear, Risk and Harm Online », (2008) 41 UC Davis L. Review
consommateur illustré dans l’affaire Richard c. Times334. Si en matière de publicité
trompeuse la Cour suprême juge que le consommateur doit être assimilé au consommateur moyen avec un faible degré de discernement pour les subtilités des représentations commerciales, qu’en est-il du statut du consommateur face aux nouvelles technologies? L’individu visé par le micromarketing n’est-il pas d’autant plus crédule et vulnérable335 ?
La Cour adopte cette vision du consommateur en respect de « […] la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires.»336
Le professeur Claude Masse prônait également la vision du consommateur crédule et inexpérimenté dans l’interprétation du droit337. La définition du terme crédule réduit toutefois
le consommateur moyen à un individu naïf susceptible de croire trop facilement338. Le
professeur Lacoursière soulève le point dans son analyse de la décisions Times que l’objectif du législateur n’est pas de protéger le consommateur crédule339, mais plutôt d’apprécier la
publicité au regard du consommateur vulnérable et inexpérimenté par rapport au commerçant340. Par ailleurs, dans le cadre des nouvelles technologies, ce n’est pas
nécessairement la naïveté du consommateur qui le rend vulnérable, mais plutôt son manque de connaissance et son incompréhension des technologies. L’objet du micromarketing étant
dans Claude LAFOND et Vincent GAUTRAIS (dir.), Consommateur numérique : une protection à la hauteur
de la confiance?, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 211.
334 Richard c. Times, préc., note 38, par. 72.
335 « Les qualificatifs « crédule et inexpérimenté » expriment donc la conception du consommateur moyen
qu’adopte la L.p.c. Cette description du consommateur moyen respecte la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires. Le terme « crédule » reconnaît que le consommateur moyen est disposé à faire confiance à un commerçant sur la base de l’impression générale que la publicité qu’il reçoit lui donne. Cependant, il ne suggère pas que le consommateur moyen est incapable de comprendre le sens littéral des termes employés dans une publicité, pourvu que la facture générale de celle-ci ne vienne pas brouiller l’intelligibilité des termes employés. » [nos soulignés] Richard c.
Times, préc., note 38, par. 72. ; R v. Imperial Tobacco Products Ltd, [1971] 5 WWR 409); Riendeau c Brault & Martineau inc, 2007 QCCS 4603, par. 149
1448 au para 27.
336 Id.
337 La vision du consommateur crédule et inexpérimenté en droit de la consommation s’est développée en
analyse de l’article 218 et 219 de la L.p.c. concernant les pratiques de publicité trompeuse. Ce critère permet de dégager l’impression générale de la représentation publicitaire pour le consommateur. M. LACOURSIÈRE, préc., note 40, 498 et s.; Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, Cowansville, Yvon Blais, 1999, p. 828.
338 LAROUSSE, préc., note 8, « crédule »
339 « En effet, associer un consommateur moyen à une personne crédule constitue une démarche paternaliste
qui déresponsabilise le consommateur, ce qui va à l’encontre de l’esprit de la Lpc et des principes du droit de la consommation. » M. LACOURSIÈRE, préc., note 40, 502.
d’atteindre de manière la plus efficace le consommateur, le consommateur moyen est plus vulnérable face à la forte personnalisation des pratiques marketing.