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La notion de cadre selon la théorie d’Erving Goffman

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 75-82)

Première partie : Cadre théorique

3.5. La notion de cadre selon la théorie d’Erving Goffman

La notion de cadre fait référence à un ensemble de grilles d’action qui guident le déroulement d’une activité. « Toute expérience humaine renvoie, selon Goffman, à un cadre donné, généralement partagé par toutes les personnes en présence ; ce cadre oriente leurs perceptions de la situation ainsi que les comportements qu’elles adoptent par rapport à elle » (Nizet et Rigaux, 2014, p. 15). La notion de cadre peut s’entendre comme un ensemble de normes formelles ou informelles permettant de structurer les activités des agents au sein d’une même activité en octroyant une dimension plus ou moins prévisible à leurs actions. «Tout cadre implique des attentes normatives et pose la question de savoir jusqu’à quel point et avec quelle intensité nous devons prendre part à l’activité cadrée (Goffman et al., 1991, p. 338) ».

Aussi le concept de cadre permet de faire l’hypothèse que le développement de l’activité

75 d’écriture ou la médiatisation des occurrences publiques procède en amont d’une catégorisation ainsi que d’une structuration de celle-ci visant à proposer aux citoyens une manière d’appréhender l’élection présidentielle ou toute autre question publique. Ainsi, un cadre primaire a pour objectif de donner un sens à une action et ou un évènement. Le concept de cadre aide alors les agents d’une activité à décrire leur activité afin de la rendre compréhensible, matérialisable ou visible. L’ensemble des principes directeurs d’une activité donne la possibilité aux acteurs qui y participent non seulement de nommer leurs pratiques mais également d’y apporter une signification. « Un cadre structure aussi bien la manière dont nous définissons et interprétons une situation que la façon dont nous nous engageons dans un cours d’action » (Joseph, 2009, p. 123) . Par ailleurs, la notion de cadre inclut l’idée qu’il puisse y avoir dans des circonstances particulières des actions qui font sens bien que celles-ci puissent s’écarter des schémas d’actions prévus. Ce qui peut faire référence aux diverses manières dont les acteurs concurrents ou faisant partie d’un même quotidien s’accommodent d’une manière distincte la finalité et l’interprétation de leur tâche.

Goffman (1991) s’intéresse en particulier au sens finalisé ou non que peuvent donner les acteurs à une situation en fonction d’un contexte particulier. De ce fait, il va décomposer le concept de cadres en trois catégories afin d’interroger le rôle du contexte social ou non dans la traduction ou la représentation des acteurs dans le cadre d’une activité. La notion de cadre peut revêtir la forme d’une transmission, d’un partage ou d’une communication d’outils sans l’inclusion ou la mise en visibilité de marqueurs axiologiques. C’est ce que Goffman appelle

« cadres primaires ». Ces derniers « sont des schèmes ou cadres interprétatifs à partir desquels on identifie une activité ou un évènement, ils ne sont pas rapportés à une interprétation préalable ou originaire » (Goffman et al., 1991). On peut alors considérer les cadres primaires en tant qu’un ensemble de processus permettant d’organiser une activité. Dans cette catégorie de cadre, nous pouvons y ranger les contraintes extra et intra-discursives (incluant des modalités descriptives et subjectives des faits) qu’ont à leur disposition les membres d’une équipe de rédaction pour parler d’un événement. Un cadre primaire peut aussi être assimilé à l’ensemble des formes et formats discursifs dont disposent les rédacteurs pour problématiser ou parler d’un phénomène. Nous classons dans les cadres primaires également les promesses discursives des journaux comprises comme les rubriques thématiques qu’entendent développer dans leurs supports les rédactions de journaux. « Les cadres primaires nous permettent de localiser, de percevoir, d’identifier et de classer un nombre apparemment infini d’occurrences entrant dans leur champ d’application » (Goffman et al., 1991, p. 30). Nous pouvons également assimiler à

des cadres primaires les possibilités de parler des campagnes présidentielles en y incorporant la présentation des jeux et ou des enjeux de campagnes (Gerstlé et al, 1992). Les cadres primaires peuvent être entendus comme des outils préalables à l’application d’autres types de cadres que Goffman va appeler cadres naturels et cadres sociaux. Goffman fait le postulat que parmi les cadres primaires, « certains se présentent comme des systèmes cohérents d’entités, de postulats ou de règles, alors que d’autres, plus nombreux, n’ont aucune apparence de forme articulée et ne véhiculent qu’une interprétation de type traditionnel, une approche, une perspective » (Goffman et al., 1991, p. 30) . Aussi la représentation d’une occurrence publique prend la forme soit de règles d’action, soit encore d’une approche particulière de décryptage d’un fait. Goffman (1991) affirme que « les cadres naturels nous permettent d’identifier des occurrences qui ne sont pas ordonnées et orientées, qui ne sont pas pilotées ou animées », qui sont « purement physiques » (Goffman et al., 1991) . Par ce type de cadre le sociologue veut désigner un type d’événement dont la configuration n’insère pas des indicateurs axiologiques explicites d’un discours sur une question donnée. Nous pouvons ramener ce type de cadres au récit ou à la description d’un phénomène.

A contrario, les cadres sociaux se fondent sur une intentionnalité. « Les cadres sociaux, eux, permettent de comprendre d’autres évènements, animés par une volonté ou un objectif et qui requièrent la maîtrise d’une intelligence ; ils impliquent des agencements vivants, et le premier d’entre eux, l’agent humain […] ce qu’il agence ce sont des actions pilotées » (Goffman et al., 1991, p. 31). Ce qui indique que dans le cadre de la transcription d’un événement, la présence de cadres sociaux intervient si à l’activité de représentation ou de communication est assignée une forme de rationalité ; à l’inverse de l’interprétation d’une question publique selon un cadre naturel. L’usage d’un cadre social d’interprétation d’une occurrence ou d’un problème public implique que des actions pilotées « soumettent l’évènement à des normes et l’action à une évaluation sociale fondée sur les valeurs d’honnêteté, d’efficacité, d’économie, de sûreté, d’élégance, de tact, de bon goût, etc l’agent doit prêter attention à toute une série de choses qui portent à conséquence, assurer un contrôle correctif continu, veiller à ce que l’action ne soit pas bloquée ou déviée de manière inattendue et s’imposer un effort particulier pour le redresser» (Goffman et al., 1991, p. 31) . On retrouve dans le concept de cadre social une volonté de contrôle de l’agent, de maitrise, de faculté à avoir un impact sur l’événement en raison de sa légitimité ou de son rôle social. La fonction socio-politique de contre-pouvoir, de débat public et de positionnement énonciatif et identitaire de chaque journal peut alors être transférée dans les choix d’outils des journaux au sujet du vote présidentiel. A cet égard, l’identité discursive d’un journal est envisagée comme un cadre social. En somme, le concept

77 de cadre de Goffman (1991) nous permettra de questionner la présence de cadres naturels ou sociaux dans la définition des campagnes présidentielles. Les notions de cadres naturels et sociaux de Goffman (1991) conduisent à envisager la représentation d’une question publique en analysant la nature du point de vue objectif ou subjectif, intentionnel ou non associé aux énoncés à propos des campagnes présidentielles. Deux autres notions associées à celles de cadre sont développées par Goffman à savoir la notion de hors cadre et de rupture de cadre (Goffman, 1991, p. 338). Celles-ci nous semblent indispensables pour l’analyse de la signification des outils langagiers, iconiques et plastiques des couvertures de journaux à propos des campagnes présidentielles de 2007, 2012 et 2017. La première (hors cadre) met en évidence la possibilité que la pensée développée par les personnes membres d’une activité soit différente de celle qui est préalablement attendue. Goffman veut alors indiquer que toute activité, qu’elle soit conforme ou non à des cadres sociaux ou naturels, celle-ci reste dotée d’une signification en ce sens qu’elle désigne toujours une attitude ou une posture face à l’activité soit-elle distincte du format prévu.

Par ailleurs, Goffman va introduire la notion de rupture de cadre afin de clarifier que le choix de donner sa perception d’un phénomène suppose également différents niveaux d’implications dans le sens donné à une activité qu’il va nommer involvement ou engagement.

Ce dernier concept est défini en tant que « obligation sociale que s’impose une personne dès lors qu’elle s’implique dans un rôle ou une action conjointe et dont l’intensité varie de la distraction à l’emballement selon les autres obligations qui sont les siennes sur d’autres scènes » (Joseph, 2002, p. 123) . L’engagement constitue un indicateur de conformité ou non à une perception ou une conduite dans une activité. Pour Goffman l’intégration de principes générateurs d’une activité dépend aussi du type de situation et du rôle des acteurs rattachés à cette activité. Il permet de confronter les cadres interprétatifs prévus pour l’analyse d’une situation et les cadres observés en situation. Ainsi, « dans la mesure où le cadre d’une activité est supposé nous aider à faire front à tout ce qu’elle nous réserve comme problèmes, à informer et réguler la plupart d’entre eux, on comprend que nous soyons bouleversés et dépités par des circonstances que nous ne savons pas non plus traiter. En somme, nous subissons une rupture de cadre : nous ne savons ni l’appliquer ni le maîtriser » (Goffman et al., 1991, p. 340). Les notions de cadre ainsi que celle de rupture de cadre que Goffman emploie concourent à forger l’hypothèse que chaque journal donne une interprétation et une lecture singulière des élections présidentielles. Celle-ci peut reposer sur les visées discursives, pragmatiques et sociopolitiques qui leurs sont inhérentes. Le point de vue ou la représentation des journaux des campagnes

présidentielles peut également s’exprimer à la lumière de la promesse discursive de chaque journal et de leurs schèmes de situation et d’activité. « Enfin, il est clair que les descriptions rétrospectives d’un « même » évènement ou d’une « même » circonstance sociale peuvent diverger considérablement et que le rôle de chacun dans une activité le conduit à se faire sa propre idée de ce type d’activité » (Goffman, 1991, p. 18) . Cependant, les notions de hors cadre et de rupture de cadre permettent d’envisager que le décryptage des campagnes présidentielles par les journaux peut se démarquer des attentes sociopolitiques, socioculturelles des médias envisagées. Ce qui nous conduit à formuler d’abord la question jusqu’à quel point les journaux intègrent dans leurs publications des traits de leur identité discursive ? Ensuite, en fonction du contexte historique et culturel, nous nous demandons s’il y a des différences ou des ressemblances dans les significations des outils langagiers, iconiques et plastiques liées aux campagnes présidentielles françaises. Cette notion de cadre va fournir une grille interprétative de lecture d’une activité verbale et écrite à savoir le discours médiatique dans un contexte culturel donné avec différents types d’acteurs ainsi qu’à 3 périodes historiques distinctes. Ce qui mènera à identifier et analyser premièrement les actions verbalisées des quotidiens en questionnant la présence ou l’absence de descriptions objectives (cadres naturels), intentionnelles et axiologiques (cadres sociaux). Deuxièmement, nous tenterons aussi de confronter les outils langagiers, iconiques et plastiques des couvertures de journaux à leur promesse identitaire afin de questionner l’existence d’une différenciation des visées et des significations données campagnes présidentielles en fonction d’une période donnée. « Et les variations sont d’autant plus complexes que des perspectives différentes sur les mêmes objets sont susceptibles d’utiliser des ouvertures et des visées différentes. Certes il n’est pas rare de voir ceux qui sont confrontés à d’autres points de vue admettre qu’ils ne se réclament d’aucun point de vue officiel ou réel » (Goffman et al., 1997, p. 17) . Les différentes notions conceptualisées par Goffman nous permettent d’envisager les déclinaisons des identités discursives des journaux du point de vue de leur évolution en incluant la possibilité que les traits discursifs de chaque journal se transforment, se différencient ; voire emploient aussi des signes discursifs et non discursifs déjà employés antérieurement. Dans ce sens, la perspective de Goffman est complémentaire avec celle de Vygotski mais aussi celle de Rabardel parce que l’ensemble des auteurs intègre dans leur explication de l’activité humaine la possibilité d’une transformation, d’une variation, d’une réutilisation et d’une appropriation de signes singuliers, objectifs, d’actions pilotées variables au sein d’une même activité et dans diverses situations.

Les cadres naturels peuvent s’apparenter aux promesses discursives des journaux. Les cadres sociaux finalisés comprennent les contraintes extra-discursives, les visées des

79 journaux (informer, faire ressentir, faire faire, faire croire). Nous associons également aux cadres sociaux les principes (voir Charaudeau, 2005, 2011) de « mise en visibilité » (rendre reconnaissable, identifiable) et de « mise en lisibilité » (faire comprendre).

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