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Partie 3. Cadre théorique : concepts et éléments de la décentralisation

3.6. La mobilisation des ressources financières (MRF)

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le cadre légal de la décentralisation confère aux communes le droit de s’administrer librement et de gérer leur propre budget. Ces collectivités détiennent une fiscalité locale et des budgets alimentés par diverses sources, à savoir les transferts conditionnels et inconditionnels de l’État (les fonds de péréquation et d’appui à la décentralisation) — du moins, là où ils sont fonctionnels —, les fonds d’aide aux développements octroyés par les bailleurs de fonds (PNUD, AFD, UE, BM, etc.) et quelques organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que les ressources propres (impôts et taxes locales) mobilisées par les acteurs locaux.

Les éléments de la MRF se réfèrent à la décentralisation financière, dans la mesure où les CT arrivent à accumuler des ressources financières propres avec l’aide de l’État et des bailleurs de fonds. Dans cette optique, Dafflon et Madiès (2011b) rappellent que la MRF effectuée par l’État pour le compte des CT (comme c’est le cas au Sénégal), réduit l’autonomie des communes. En

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conséquence, les ressources financières mobilisées par les acteurs locaux sont aptes à renforcer l’autonomie des acteurs locaux. Les stratégies de MRF requièrent un renforcement des capacités des acteurs locaux par l’État ainsi que la volonté des élus locaux, de prendre en charge le développement local par leur propre initiative. Certes, de telles actions ne sont réalisables que dans des situations où l’État procure aux municipalités des pouvoirs fiscaux.

Au Niger par exemple, les recettes fiscales des communes sont de deux catégories : les recettes rétrocédées par l’État (les impôts et taxes perçus sur le territoire des CT, dont un pourcentage défini est transféré aux CT) ainsi que les recettes propres (taxes et impôts locaux) mobilisées par les agents municipaux. En plus, la loi autorise les conseils municipaux à créer tout impôt ou toute taxe fiscale dans un cadre limité (DGDD 2011, 89). Les municipalités ont donc, un pouvoir fiscal et une marge de manœuvre concernant quelques catégories d’impôts et de taxes.

Dans les travaux sur la décentralisation en Afrique, la MRF n’a pas fait l’objet de nombreuses recherches. Selon Bardhan, dans les pays en développement (low-income/pays à faibles revenus), les problèmes discutés dans le cadre de la décentralisation sont entre autres, les transferts fiscaux de l’État vers les municipalités. On en vient à ignorer la problématique du renforcement des capacités des CT dans la MRF (2002, 189). Ces propos détonent une certaine vérité sachant que les recherches sur la décentralisation rendent généralement l’État responsable des difficultés des communes. On constate que les recherches sur le sujet négligent l’analyse des initiatives des acteurs locaux et leurs stratégies de MRF. Comme le remarque Yatta, le peu de travaux sur la MRF est dû à la difficulté pour les chercheurs, d’accéder aux données des finances locales (Yatta 2009, 20). Toutefois, dans des contextes où les données sont accessibles, une analyse des paramètres de la MRF aiderait à comprendre comment les acteurs locaux s’approprient les principes de la décentralisation. Plus encore, elle permettrait de mesurer quantitativement la réussite d’une réforme de décentralisation dans un cas donné (Yatta 2009, 20).

Les quelques travaux sur la MRF attestent que « les communes africaines disposent d’un potentiel de ressources relativement élevé. [Pourtant] elles ont le plus grand mal à les exploiter » (Nach Mback 2003, 435). L’exploitation de ces ressources financières dépend des initiatives des acteurs locaux, c’est-à-dire, la réalisation d’une planification stratégique et orientée vers des objectifs réalistes et la capacité de cibler des investissements qui répondent mieux aux besoins de la population, le développement de mécanismes qui visent à lutter contre l’incivisme fiscal des

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citoyens, la délinquance financière, la corruption, etc. (Nach Mback 2003, 449). Pour une meilleure MRF, les acteurs locaux doivent détenir des compétences techniques de planification ou d’élaboration des budgets locaux.

L’inexploitation du pouvoir financier des CT est due aux faibles capacités économiques de certains pays (PNUD 2012), à la corruption (Bauer 2012), au manque d’éducation civique en matière fiscale, ou encore des réseaux d’influences politiques dans les arènes locales dont les chefferies traditionnelles qui entravent les actions des élus locaux (Bardhan 2002 ; Alou 2009). De plus, la « fiscalité locale prend place dans un contexte social et politique qui est peu favorable à l’impôt (Sourwéma, Sawadogo et Hochet 2013, 23 ; Yatta 2009).

Si les difficultés de MRF sont attribuables aux éléments avancés précédemment, nous avançons l’hypothèse selon laquelle les difficultés des acteurs locaux dans la MRF sont dues aux faibles capacités techniques de l’État.

En décentralisant, l’État s’est donné un rôle de premier plan, qui est celui d’encadrer les municipalités dans la planification du développement local. De plus, comme le remarquent Oxhorn et al., la plupart des programmes de la décentralisation ont été conçus et implantés par les élites politiques au niveau du gouvernement central, avec peu d’implication des acteurs sociétaux (Oxhorn et al. 2004, 8). De ce fait, le dispositif de la décentralisation a été conçu en premier lieu par l’État dans un schéma top-down. Les décideurs politiques et les fonctionnaires de l’État au niveau national désignent les outils techniques essentiels pour l’accompagnement des acteurs locaux dans leurs nouvelles fonctions. Par déduction, les dysfonctionnements relatifs aux dispositifs de la décentralisation sont imputables à ses initiateurs : les États. En d’autres mots, si les acteurs locaux rencontrent des difficultés de MRF, celles-ci sont liées au manque de capacités de l’État central. Qu’entendons-nous par « capacités de l’État » et quel est le lien entre les capacités de l’État et la décentralisation de manière large?