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La démocratie en cause dans les difficultés de la décentralisation

Partie 5. Analyse du lien entre les capacités de l’État, les partis politiques et la mobilisation de

5.7. Les éléments en cause dans la MRF

5.7.4. La démocratie en cause dans les difficultés de la décentralisation

En plus des variables « capacités de l’État et « partis politiques », lors des entretiens, les acteurs locaux tendaient à remettre en cause la démocratie. En analysant leurs propos, nous serions tentés de croire que la démocratie nuit au fonctionnent des institutions locales. Olivier de Sardan (2012) explique que la remise en cause de la démocratie dans le mauvais fonctionnement des administrations nationales et locales depuis la CNS, a lieu d’être comparée à la période du régime militaire de Kountché (une dictature militaire), qui était marquée par le respect de la discipline et d’un sens de l’État, et qui se sont aujourd’hui perdus (2012, 8).

Dans le cadre de la décentralisation, les pratiques dites « démocratiques » des élites politiques s’illustrent davantage par une politisation à outrance du système administratif national et local. On assiste à une mauvaise responsabilisation des élus, une transformation des conseils communaux en arènes politiques des partis, où les élus locaux font plus de politique que de développement ainsi qu’une transformation des structures politiques représentatives en

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phénomènes de réseaux politiques84. Le fait que les élites politiques adoptent des comportements

contraires à l’intérêt collectif pousse les acteurs locaux à discréditer la démocratie et à souhaiter le retour d’un régime militaire qui à leur yeux, semblait plus efficace.

Outre l’inférence entre les stratégies des partis politiques et la MRF, une analyse du système de partis procure un cadre d’explication pertinent, sur le comportement des élites politiques en général. Dans le cadre de ses travaux sur les systèmes de partis en Afrique, Carbone soutient qu’« au-delà de leur existence formelle [les partis politiques africains] sont centralisés et caractérisés par des pratiques personnalistes et informelles, difficiles à saisir » (Carbone 2006, 22). En général, l’ancrage institutionnel des systèmes de partis est fragile, ce qui conduit les élites politiques à opter pour des comportements qui visent à retirer des gains certains de leur implication en politique.

Au Niger, dès la période de transition démocratique en 1991, on dénombrait près d’une centaine de partis politiques (Salifou 1998). Certes, les élites politiques, membres et responsables de ces structures politiques, ont adopté des principes démocratiques innovants, quoiqu’ils n’aient pas éliminé certains comportements de type clientéliste et néopatrimonialiste, qui insufflaient le paysage politique d’avant la transition (Gazibo 2010). Ce postulat est particulièrement mis en relief par les coalitions politiques changeantes ayant marqué l’évolution politique du Niger depuis la transition démocratique, qui ralentissent la consolidation des institutions démocratiques nationales et locales.

Portant sur la décentralisation, il est juste d’affirmer que les contraintes subies par les acteurs locaux proviennent du système de partis nigérien. À cet effet, l’institutionnalisme sociologique fournit un cadre théorique permettant de dégager les principales tendances induites par le système de partis au niveau local. Un des axiomes de l’institutionnalisme sociologique est que les formes et les procédures institutionnelles modernes ne sont pas adoptées pour leur efficacité. Elles sont considérées

« comme des pratiques culturelles, comparables aux mythes et aux cérémonies élaborées par de nombreuses sociétés […] elles [sont] incorporées aux organisations, non pas nécessairement parce qu’elles en accroissent l’efficacité abstraite (en termes de fins et de moyens), mais en raison du même type de processus de transmission qui donne

84 Synthèse issue de plusieurs avis des acteurs locaux et d’un expert en décentralisation à Niamey entre avril et mai

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naissance aux pratiques culturelles en général » (Hall et Taylor 1997, 480-1).

Autrement dit, les institutions sont constituées d’un ensemble de normes, de valeurs et de pratiques qui engendrent des logiques propres à leur contexte d’émergence et qui conditionnent le comportement des acteurs. En ce sens, « l’action est structurée et l’ordre rendue possible par des systèmes partagés de règles qui contraignent à la fois l’inclination et la capacité des acteurs à optimiser leurs actions, tout en privilégiant des groupes dont les intérêts sont garantis par le biais de rétribution et de sanctions » (Di Maggio et Powell 1997, 125-6). Les logiques d’actions des acteurs tiennent minimalement compte de l’efficacité des actions produites, les sont conditionnées par le système dans lequel ils interagissent.

Par ailleurs, le cadre d’action des systèmes de partis est pertinemment défini par Lupu et Riedl (2012). Dans leurs travaux sur les partis politiques dans les nouvelles démocraties, ces auteurs avancent que les pays nouvellement démocratiques évoluent dans un environnement incertain vu le caractère récent de leurs institutions politiques (2012, 1346). L’incertitude peut être d’ordre politique, économique ou institutionnel. L’incertitude politique s’illustre par la difficulté qu’ont les acteurs de mesurer le cadre temporel de leurs actions politiques (2012, 1347). Les acteurs politiques adoptent des comportements à court terme, qui tiennent compte des probabilités d’effondrement des institutions nouvellement installées, étant donné ils ne saisissent pas les paramètres leur permettant de prévoir des arrangements institutionnels subséquents. Les stratégies des élites politiques visent à garantir la pérennité de leurs structures politiques. Par conséquent, ils sont obligés d’ignorer toute action future, préférant s’adonner à pratiques garantissant des gains certains (2012, 1348).

Relativement au cas de Niamey, les discours des acteurs sous-entendent que les partis politiques évoluent dans des dynamiques d’actions axées sur le court terme, eu égard de leurs pratiques dans les institutions de la décentralisation. La ville de Niamey ainsi que les autres CT du Niger deviennent des sites privilégiés pour le captage des voix ainsi que l’accumulation d’un capital politique et financier, obtenus par le biais de pratiques d’influence auprès des élus locaux et les systèmes de patronage implantés dans les structures de l’administration publique locale (Yatta 2009, 9; Grindle 2012).

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