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Chapitre I. Production de la banlieue contemporaine nord-américaine : une

1.2 Évolution de l’analyse du processus de suburbanisation

1.2.3 La mise en valeur d’un processus de production

La tendance de l’analyse de la suburbanisation depuis les années 1990 est de considérer la banlieue non comme une extension du centre mais bien en tant qu’ espace qui possède sa propre logique de développement et ce, dans le but de sortir de la dichotomie centre/périphérie (Palen, 1995, p. 92). En outre, Hise (1997) souligne que l’analyse du phénomène de suburbanisation peut être appréhendée en considérant la banlieue comme un espace construit18. Suivant cette perspective, la banlieue est considérée avant tout du

point de vue des acteurs qui interviennent dans sa mise en forme. Cette approche prend notamment de l’ampleur depuis la remise en cause des analyses héritées des théories sociales développées par l’École de Chicago. Les analyses autant de banlieues à caractère résidentiel (Hayden, 2003a; Morton, 2002; McCann, 1999, 1996; Sies, 1997) que les banlieues à caractère industriel (Lewis, 2001, 2000, 1999) ou les analyses portant sur différentes banlieues d’une même région métropolitaine (Poitras et Collin, 2006; Collin et Poitras, 2002; Keating, 2002; Hise, 1997; Harris, 1996) considèrent le phénomène de suburbanisation suivant cette approche.

18 Hise (1997) distingue en effet deux approches, supply side/demand side, en référence aux analyses

de la banlieue qui étudient les dynamiques d’acteurs propres à la mise en place de ces espaces et à l’inverse, celles qui se concentrent plutôt sur l’étude de la banlieue en tant qu’espace de consommation, c’est-à-dire répondant à une certaine demande.

Dans sa synthèse abordant le développement de la banlieue résidentielle nord- américaine entre 1820 et 2000, Hayden (2003a) identifie sept types de banlieues qui se succèdent en fonction notamment des progrès technologiques, des techniques de construction et de la clientèle visée. À ces différents types de banlieues résidentielles sont associées des stratégies promotionnelles afin de faire correspondre le produit à une demande en particulier. McCann (1999, 1996), quant à lui, met en valeur le fait que la construction de la banlieue résidentielle au Canada entre 1900 et 1950 fait intervenir différents acteurs : des propriétaires fonciers, des promoteurs, des constructeurs et des institutions financières. L’auteur conclut que la construction de ces espaces participe finalement à un capitalisme de consommation. Leur conception devient de plus en plus régie par des normes de construction. Cette évolution se concrétise à partir des années 1950 par un processus de plus en plus réglementé notamment de par l’intervention croissante du gouvernement qui limite la latitude des acteurs et conduit à la mise en place d’une banlieue résidentielle de plus en plus standardisée (Harris, 2004). Hise (1997) va dans le même sens en indiquant que la conception des communautés planifiées dans le cas de l’entre-deux-guerres à Los Angeles fait référence à un ensemble de principes qui se sont définis avec le temps (l'aménagement des infrastructures, la mise en place des réseaux de rues, les types d'habitation, l'accès aux services) et qui ont abouti à l’affirmation d’un urbanisme progressiste. D’après Hise (1997), les normes de la banlieue résidentielle se sont définies progressivement en fonction des progrès en termes d’aménagement et en termes technologiques. Harris (1996) précise que la diversité des types de banlieues de l’avant-guerre dans leur forme, peut s’expliquer par la multitude de constructeurs qui participent au processus de production de ces espaces. Le caractère parfois anarchique de l’organisation de certaines banlieues peut être imputé au manque d’expertise des constructeurs notamment en ce qui concerne l’alignement sur rue ou la subdivision des lots. Harris (1996) précise également que la ségrégation sociale qui caractérise la banlieue nord-américaine est en partie le résultat d’un processus de

production peu réglementé qui établit une hiérarchie de produits résidentiels en fonction du statut social de la clientèle. Keating (2002) met également en valeur le fait que la multitude de promoteurs qui caractérise le processus de suburbanisation dans le cas de Chicago au XIXe siècle, a conduit à la formation d’un espace suburbain

socialement et politiquement fragmenté. Lewis (2000), quant à lui, dans son analyse du développement des banlieues manufacturières entre 1850 et 1930 dans la région métropolitaine de Montréal, souligne le rôle essentiel des coalitions de croissance (élus, entrepreneurs industriels, sociétés de transport, institutions financières) dans la formation de ces espaces. Contrairement à des analyses antérieures qui situaient le déplacement des entreprises vers la périphérie seulement à partir des années 1920, Lewis (2000) souligne que le développement de la banlieue manufacturière doit se comprendre par un mouvement des entreprises du centre vers la banlieue qui débute dès les années 1850 et qui s’explique avant tout par des décisions de la part des entrepreneurs afin de maximiser les rendements de la production industrielle. Les conclusions de ces recherches démontrent que le processus qui caractérise le développement des espaces périphériques pendant la période d’avant-guerre est loin d’être standardisé. Il s’adapte à une logique de marché19 tout en répondant à certaines

stratégies d’acteurs notamment dans le cas de la décentralisation de la production industrielle vers des pôles suburbains qui a pour objectif d’augmenter le rendement de la production industrielle.

Dans le cas de la formation de banlieues plus prestigieuses à la fin du XIXe siècle,

Sies (1997), dans le cas de la communauté planifiée de Short Hills fondée en 1877 à une trentaine de kilomètres de la ville de New York, démontre que la mise en place d’un environnement correspondant à un certain idéal suburbain s’avère le produit d’un consensus au sein d’une même classe sociale. Sies (1997) fait référence ici aux membres des professions suivantes : architectes, promoteurs, réformistes,

19 C’est-à-dire que ce processus est adapté afin de répondre à une demande tant de la part des

publicitaires. Cette classe sociale a en fait créé un milieu de vie qui serait propice à la reproduction de valeurs qui étaient les fondations de leur statut social. Morton (2002) insiste également sur le fait que la création de ces environnements idylliques servait à légitimer un certain mode de vie et correspondait à la préservation de valeurs associées à cette classe sociale. Dans ce contexte, la distance géographique de ces espaces avec les centres était une condition de la préservation de ces valeurs.

Les recherches en histoire urbaine recensées font ressortir l’importance de la compréhension du processus de production de ces espaces afin d’expliquer le produit final. Ce processus est caractérisé par des acteurs, des normes d’aménagement et des stratégies promotionnelles afin de faire correspondre le produit à une clientèle en particulier. Ce processus n’est bien entendu pas uniforme et varie selon les époques. La banlieue de la période d’après-guerre en tant que produit standardisé est en fait la concrétisation d’un certain processus, mais cela reste un exemple parmi d’autres. La diversité en ce qui concerne l’aménagement de la banlieue nord-américaine et la population pour laquelle cet espace est destiné s’explique par des stratégies d’acteurs qui varient selon les époques, ceci notamment afin de s’adapter à une demande en particulier dans un contexte défini par ses dimensions économique, historique et culturelle.