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La lutte ouverte contre l’autonomisation de l’élite

Commencé dès le début des années 1920, le processus d’autonomisation des clubs français n’engendre cependant pas, comme dans la majorité des autres nations européennes de football3, la professionnalisation affichée de leur administration, ni celle de leurs joueurs. Cette singularité, qui va durer pendant plus d’une dizaine d’années, s’explique premièrement par la volonté des patronages patronaux d’échapper au régime de fiscalité et d’assurance sociale que tente d’imposer l’État social aux entreprises de- puis la fin du 19ème siècle, et de mettre en œuvre une forme parallèle d’assistance aux ouvriers qui leur sont totalement dévoués et qui n’ont, pour ainsi dire, pas droit à la pa-

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Pour plus de détails sur le récapitulatif de l’ensemble de ces matches, voir le Tableau C en fin de chapitre.

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Voir Patrick Fridenson, « Les ouvriers de l’automobile et le sport », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 79, septembre 1989, 58 et 59.

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À l’exception de la Fédération anglaise et de la Deutscher fuβball-bund (DFB) allemande qui instaurent respectivement le football professionnel en 1885 et en 1963, la plupart des autres fédérations européennes le reconnaissent au cours des années 1920.

role. Deuxièmement, la direction fédérale perçoit des intérêts particuliers à partager ce mode d’administration du football et des footballeurs, comme tend à le prouver sa com- plaisance vis-à-vis des clubs dits « corporatifs » — les joueur sont théoriquement issus d’une même profession ou d’une même communauté territoriale — qu’elle distingue depuis 1919 des clubs dits « civils ». Elle les autorise aussi facilement à disputer ses compétitions officielles à condition qu’ils fassent disparaître de leur appellation le nom de l’entreprise qui les soutient1. Elle préserve ainsi ses prérogatives sur la majeure partie de l’élite en appliquant un modèle « paternaliste » quasi identique à ces clubs, principa- lement auprès des joueurs qu’elle sélectionne en équipes nationales et des équipes qui participent à la Coupe de France. D’autre part, cela lui permet de ne pas remettre en cause les différents types de « contrat » plus ou moins formels passés entre les prési- dents et leurs joueurs, notamment sur la nature de leur rémunération, et de pouvoir im- poser ses directives en matière de modalités de circulation du capital footbalistique2.

Tandis que la fédération s’oppose à toute tentative interne d’autonomisation du marché des clubs et des joueurs, la professionnalisation devient, au cours des années 1920, un enjeu commercial et professionnel externe au champ footbalistique de pre- mière importance, principalement pour la nouvelle catégorie sociale des journalistes sportifs spécialisés en concurrence avec les grands quotidiens généralistes nationaux. Cette lutte met en effet en jeu l’avenir et l’existence du journalisme et des journalistes sportifs en tant que tels dans la mesure où les directeurs de la presse à grand tirage, de leur côté, voient dans l’un des sports les plus médiatiques et les plus pratiqués depuis la

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Comme cela avait été le cas au début du siècle pour les clubs des patronages catholiques, si l’intitulé des clubs « corpo » change pour plus de neutralité, le recrutement de leurs joueurs dépasse souvent le cadre au sein duquel ils sont théoriquement autorisés à le faire. C’est le cas des CASG, qui tout en gardant le même sigle, CA de la Société Générale pour CA des Sports Généraux, sont toujours administrés par leur banque et l’AS Casino de Saint-Étienne en AS Club, toujours dirigé par Geoffroy Guichard, PDG d’une importante société de distribution sté- phanoise.

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Reprenant à notre compte la réflexion de Robert Castel, appuyée par les travaux de Marcel Gauchet, sur le processus d’émancipation de la société de l’Ancien Régime à la fin du 18ème siècle selon laquelle « le marché mieux que le contrat [de travail] accomplit la rupture par rap- port à un fondement transcendant de l’ordre social [ici fédéral], car il fait l’économie de toute référence à une conscience ou à une volonté », on comprend pourquoi les instances fédérales du football français s’attachent à contrôler l’autonomisation du football professionnel par le marché afin de retarder toute prise de conscience collective des joueurs. R. Castel, op. cit., 1995, p. 183.

fin de la Grande Guerre un nouveau « produit d’appel » pour palier la crise qu’ils tra- versent dans les années 1920 et se sortir d’une concurrence de plus en plus vive.

Rappelons que les premières publications sur le sport se font sous forme de Bulletin hebdomadaire. De 1897 à 1926, Tous les Sports1 prend le relais des Sports

athlétiques, feuille créée en 1890 par les dirigeants de l’Union des sociétés de sport

athlétique dans laquelle P. DE COUBERTIN et quelques dirigeants des fédérations omnis-

ports s’expriment régulièrement. Entre temps, la Fédération des patronages catholiques avait, elle aussi, édité pour la première fois en 1902 un bulletin d’information, intitulé

Les Jeunes dont P. MICHAUX, C. SIMON et H. DELAUNAY étaient les principaux

« rédacteurs ». À partir d’avril 1919, J. RIMET, H. DELAUNAY et les responsables de

l’hebdomadaire Sporting (période de publication : 1910-1939), entre autres Achille DUCHENNE2, F. ESTÈBE et Frantz REICHEL du Figaro, qui au cours du premier conflit

mondial étaient venus en aide aux soldats puis avaient eu la primeur en 1918 d’annoncer la première finale de la Coupe de France, projettent la création d’un annuaire et d’un bulletin officiel hebdomadaire de la FFF, Le Football Association. Après s’être installé au siège de Sporting, le premier numéro paraît le 4 octobre 1919 et les dirigeants fédé- raux incitent tous les footballeurs à s’y abonner « par devoir ». Quatre ans plus tard, ce bulletin officiel paraît sans soutien extérieur sous le titre France Football. Puis, entre 1929 et 1941, il est de nouveau rattaché au nouvel hebdomadaire Football, déjà paru de 1909 à 1914 sous la direction de Paul BARNOLL, ancien joueur de l’USFSA et sélec- tionneur de l’équipe de France du Comité français interfédéral, mais cette fois-ci dirigé par Marcel ROSSINI. Se présentant par son sous-titre comme « le seul hebdomadaire

français exclusivement consacré au football », on retrouve au sein de son comité de ré- daction des signatures telles que celles de Achille DUCHENNE, Gabriel HANOT, Emma-

nuel GAMBARDELLA, Maurice PEFFERKORN, Lucien GAMBLIN et Victor DENIS, tous, à

l’exception du premier, d’anciens joueurs de bon niveau.

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Il sera, de l’été 1941 au mois de mars 1944, l’hebdomadaire officiel du Comité national des sports et de l’ensemble des fédérations sportives françaises.

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A. DUCHENNE est journaliste à Football et à Sporting. On le voit en couverture de ce second hebdomadaire en compagnie d’H. JEVAIN et d’H. JOORIS lors du meeting athlétique de Colom- bes organisé par l’USFSA le 7 août 1918. Considéré comme l’une des chevilles ouvrières de la Fédération française de football, il préside par la suite aux commissions techniques et centrales de la Coupe de France.

Avant la Grande Guerre, l’information sportive est par ailleurs largement domi- née par L’Auto (1900-1944), le quotidien d’Henri DESGRANGE1. Sa diffusion passe

d’environ 39 000 exemplaires par jour en 1903 à 120 000 en 1913. Multiplié par 3 en dix ans, ce nombre culminera à 280 000 en 19242. Les autres « feuilles » essentielle- ment consacrées aux sports, créées au siècle dernier, n’ont eu qu’une existence éphé- mère. Le Journal des Sports paraît entre 1897 et 1900, Le Vélo créé en 1890 stoppe sa diffusion en 1905 et le quotidien Les Sports assisté par Le Journal, propriété de la fa- mille LETELLIER3, est présent dans les kiosques de 1904 à 1910. Seuls, L’Écho des Sports (1890-1950), soutenu pendant un temps par Le Petit Journal puis par Le Journal

et une très large audience régionale, et La Vie au grand air (1898-1922) grâce à la qua- lité de son iconographie et au fait qu’il ait été le premier à ouvrir ses colonnes aux

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Avant de créer le Tour de France en 1903 et d’en devenir le directeur, H. DESGRANGE a été lui-même coureur cycliste. À 28 ans, il bat le record de l’heure en parcourant 35,325 kilomètres. Bien qu’il ait décroché une licence de droit et exercé comme clerc de notaire, il oriente sa car- rière professionnelle vers la publicité chez l’un des plus importants fabricants de cycles de l’époque, Adolphe CLÉMENT, puis vers le journalisme sportif en collaborant au Paris-Vélo, à La Bicyclette et au Vélo-Sport. Membre de l’Association vélocipédique d’amateurs (AVA), il est aussi directeur de vélodromes avant de faire construire le plus célèbre d’entre eux, le Parc des Princes, dont il est le propriétaire. Enfin, A. CLÉMENT et le baron Albert DE DION – qui par ailleurs fonde en 1895 l’Automobile club de France (ACF) et est le premier constructeur au niveau mondial de voitures à essence au tournant du 20ème siècle – font appel à lui lorsqu’ils créent le journal L’Auto-Vélo. Celui-ci se pose comme le concurrent direct du quotidien Le Vélo de Pierre GIFFARD, ancien rédacteur en chef du Petit Journal qui, passé au Matin, organise dès 1899 des opérations promotionnelles de grande envergure tel que le Tour de France automobile. Même si le procès gagné par P. GIFFARD impose la suppression du mot « vélo » dans le titre de son journal – L’Auto-vélo prenant le nom de L’Auto –, H. DESGRANGE en sera à la fois le di- recteur et le rédacteur en chef et Victor GODDET son principal administrateur, avec lequel il avait fondé auparavant le « Bureau central de publicité ». Ces éléments biographiques sont tirés du livre d’Édouard Seidler, Le sport et la presse, Paris, A. Colin, 1964.

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Pour avoir un ordre d’idée sur la place relative de la presse sportive spécialisée en France à cette époque, ce chiffre correspond à peu près à celui des tirages des grands quotidiens comme Le Petit Journal en 1872 et Le Petit Parisien en 1889. Au tournant du siècle, ces deux journaux tirent déjà à plus d’un million d’exemplaires.

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Eugène et son frère Léon LETELLIER sont entrepreneurs de travaux publics et commanditaires pour Le Journal dont la première parution remonte au 28 septembre 1892. Société anonyme de 400 000 francs [au moins 8 millions de francs (MF) à l’époque], elle fut mise en liquidation et en vente en 1912. Après le refus d’achat de Jean DUPUY, directeur d’un autre grand hebdoma- daire du moment, la SA est de nouveau transformée en société de commandite, Eugène possé- dant 5/12 des parts, son frère aîné Henri 4/12 et son cadet Pierre 3/12. En 1925, H. Letellier décide de vendre indirectement son journal au groupe Hachette par l’intermédiaire de l’agence Havas et de la Banque de Paris. Quatre ans plus tard, Le Journal rachète L’Écho des Sports. Voir Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral & Fernand Terrou, Histoire générale de la presse française : de 1871 à 1940, Tome 3, Paris, PUF, 1972, pp. 314, 315, 432 et 521.

athlètes, résistent à l’hégémonie de L’Auto. À partir des années 1920, cette domination est principalement contestée par la concurrence des deux plus grands quotidiens que la presse française et mondiale du moment aient connus : Paris Soir, journal spécialisé dans la finance avant de traiter des informations plus générales, racheté en 1930 par Jean PROUVOST1, et Le Petit Parisien fondé et dirigé par le député Jean DUPUY2, puis

par son fils Paul jusqu’en 1927 et enfin par son frère Pierre, lui aussi député de l’Alliance Républicaine de 1902 à 1940. Le premier consacre quotidiennement une page aux événements sportifs et une double page dans son édition du lundi. Dès 1919, le se- cond transforme son magazine hebdomadaire de photographies Le Miroir en Miroir des

Sports (1920-1939), présenté comme « le plus fort tirage des hebdomadaires sportifs »

et animé par G. HANOT3. D’autres quotidiens à l’image de L’Intransigeant du secrétaire

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J. PROUVOST est l’héritier d’une grande famille d’industriels du Nord de la France, « la Lai- nière ». Cet homme d’affaires fait son incursion dans le monde de la presse en rachetant tout d’abord en 1917 un petit journal, Le Pays, puis en 1924 Paris-Midi, feuille boursière tirée à 80 000 exemplaires en 1930, il utilise sa fortune personnelle et fait appel au concours des proprié- taires des papeteries et sucreries BEGHIN pour acquérir Paris Soir auquel il donne le sous-titre de « quotidien d’information illustré ». Celui-ci se dit « apolitique » et consacrera, sous l’impulsion de Gaston BÉNAC, transfuge de L’Auto, une place de plus en plus importante au sport. En juillet 1935, il lance un hebdomadaire sportif illustré de 16 pages, intitulé Sprint. En- fin, il rachète en juillet 1938 Match, un autre illustré sportif au directeur de L’Intransigeant Léon BAILBY, dont les tirages sont multipliés par 5 en 4 mois, passant de 80 000 à 450 000 exemplaires. Voir Yves Guillauma, La presse en France, Paris, La Découverte, 1988, pp. 16 et 17 et C. Bellanger & alii, op. cit., 1972.

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Issu d’une famille de modestes artisans-commerçants de Saint-Ciers-sur-Gironde, J. DUPUY monte à Paris en 1865 pour y exercer comme petit clerc d’avoué, après avoir brillamment pour- suivi des études primaires et acquis « sur le tas » sa formation en droit. Il ouvre ensuite sa pro- pre étude d’huissier qu’il transforme en cabinet d’affaires et devient avocat-conseil dans le do- maine des stratégies d’entreprises et des placements financiers. Par ailleurs, il participe au dé- veloppement du Petit Parisien à partir de 1879-1880 pour lequel il est bailleur de fonds et ac- tionnaire. Huit ans plus tard, à la mort de son directeur en juillet 1888, il devient son principal actionnaire, son seul propriétaire, son directeur et son rédacteur en chef. En intégrant sa propre usine à papier dans le processus de production de son journal, il diversifie ses produits en pro- posant de nouveaux quotidiens littéraire, scientifique et sportif, dont Le Miroir des Sports. Pa- rallèlement, il entame une carrière politique puisqu’il est d’abord élu par la gauche républicaine sénateur des Hautes-Pyrénées en 1890. En 1899, il est ministre de l’Agriculture, en 1909 minis- tre de l’Industrie et trois ans après ministre des Travaux publics. Il est même candidat à la Pré- sidence de la République en 1906 et 1913. Entre temps, grâce à l’appui de quotidiens régionaux, il facilite l’élection de ses deux fils, Pierre et Paul devenus cogérants du journal en 1909, res- pectivement comme député de la Gironde en 1902 et de la Haute-Garonne en 1910. Données biographiques tirées de Jean-Marie Charon, La presse en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 1991, pp. 44, 45 et 46 et C. Bellanger & alii., op. cit., Tome 3, 1972, pp. 304, 307, 308 et 512.

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Ancien international de l’AS Française et de l’US Tourcoing, G. Hanot est l’un des journalis- tes les plus influents au sein des instance fédérales jusqu’à la fin des années 1940. Licencié en

parlementaire Léon BAILBY, l’un des premiers à faire une place aux informations spor-

tives dès la fin de la guerre, inspirent la création d’autres journaux spécialisés tel que

Match (1926-1938)1.

Symboliquement déconsidérés et institutionnellement sous-représentés2, dès leur apparition jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les journalistes de la presse sportive spécialisée portent, précisément au milieu des années 1920, un intérêt particulier aux débats sur la professionnalisation du football auxquels ils prennent part en défendant des positions selon les organes de publication dont ils dépendent. L’affranchissement de l’élite par sa professionnalisation sert incontestablement leurs intérêts en reléguant défi- nitivement, et à divers degrés, les amateurs de football au rang de « (pro)fans ». Cette nouvelle catégorie d’individus constitue à la fois une masse de pratiquants de plus en plus éloignés du haut niveau et des spectateurs susceptibles de constituer un plus large lectorat. D’autre part, grâce à un jeu de meilleure tenue et toujours perfectible, cette rupture nécessiterait de manière encore plus évidente la création sinon la reconnaissance d’un corps de journalistes spécialistes du football. Sans qu’ils soient nécessairement issus de son univers, les compétences et les connaissances spécifiques à l’égard d’une pratique de moins en moins accessible au premier venu leur permettraient de construire une nouvelle position dans le champ journalistique. La question de la professionnalisa-

anglais et agrégé d’Allemand, il débute sa carrière de journaliste en 1919 à L’Auto et la poursuit à L’Équipe et à France Soir au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

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Sur les publications touchant aux sports, voir C. Bellanger & alii., op. cit., Tome 3, 1972, pp. 384, 480 et 585, et pour le football en particulier P. Delaunay & alii., op. cit., 1994.

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L’association des journalistes sportifs, créée en 1905, est dirigée par Tristan BERNARD. Elle regroupe 43 adhérents en 1918, alors qu’ordinairement les associations de « généralistes » en dénombrent entre 150 et 350. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1924, à la faveur de la scission des organisations patronales au sein du tout puissant Comité général des associations de la presse française (CGAPF), que dix associations spécialisées dont celle de la Presse sportive y sont pour la première fois admises. Érigée en syndicat, celle-ci quitte le CGAPF pour soutenir et participer à partir de 1936 à l’unité du nouveau Syndicat national de la presse, le SNJ, dont la première organisation remonte à 1918. Cf. C. Delporte, op. cit., 1999, pp. 220, 297 et 298.

Comme le démontrent Bertrand Dargelos et Dominique Marchetti, la discrimination envers les journalistes sportifs est, sous des formes moins visibles, encore très présente de nos jours. Voir le paragraphe « À la recherche d’une légitimité professionnelle » in B. Dargelos & D. Marchetti, Les « professionnels » de l’information sportive. Les évolutions du journalisme sportif depuis les années Quatre-vingt à travers les exemples du football et du cyclisme, in Regards sociologi- ques, à paraître au second semestre 2000. Je tiens ici à remercier Dominique Marchetti pour les nombreuses indications et les documents fournis concernant le champ journalistique en général et celui du journalisme sportif en particulier.

tion du métier de journaliste sportif à travers celle du sport collectif le plus populaire est pour eux l’occasion d’être enfin considérés par les journalistes « généralistes ». L’enjeu est donc de démontrer explicitement le bien-fondé de professionnaliser le métier de footballeur pour faire accepter, de manière détournée, la nécessité de professionnaliser le leur. Ainsi, les luttes pour instaurer cette séparation nette dans le football, même si les frontières entre « amateurs » et « professionnels » s’avéreront finalement aussi floues que celles établies entre « journalistes » et « non-journalistes », ne peuvent se compren- dre qu’à la lumière de celles qui agitent à la même période et sur un sujet identique le champ journalistique.

Effectivement, lorsque pour des pertes relatives d’audience les journaux de la « mouvance DUPUY », de tradition plutôt littéraire et politique, tout comme ceux inspi- rés par le « groupe PROUVOST », jusqu’alors tournés vers les informations à sensation

systématiquement accompagnées de photos, entrent sur le marché des actualités sporti- ves et celui du patronage de compétitions1, le syndicat de la presse sportive finit par dénoncer en 1933, deux ans avant l’adoption définitive de la loi sur les nouveaux statuts des journalistes, la concurrence déloyale de la presse généraliste, effective depuis le milieu des années 1920, dont ils estiment être les victimes. En effet, ce projet de loi dé- finit le journaliste professionnel comme « celui qui a pour occupation principale, régu- lière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une publication quotidienne ou pério- dique en France, ou dans une agence française d’information, et qui en tire le principal de ses ressources nécessaires »2. Ce n’est évidemment pas le cas de ceux qui, engagés occasionnellement par les grands quotidiens pour leur connaissance pratique du sport et

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À partir de 1924, Le Petit Parisien subventionne la Coupe de France. En 1926, par exemple, sa participation s’élève à 20 000 francs [65 620 frs]. En supplément, il distribue gratuitement une édition spéciale consacrée à cette compétition. Il soutient aussi, avec le journal l’Excelsior, le Tournoi international de football organisé par le RC France et le Club Français, qui a lieu sur la piste municipale du Bois de Vincennes du 6 au 14 juin 1931, à l’occasion de l’Exposition Colo-