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Chapitre 2. La justice organisationnelle

2.2 La justice procédurale

La deuxième dimension de justice identifiée par les recherches est la justice procédurale. Cette dimension a été mise en évidence grâce aux travaux de Thibaut et Walker (1975) sur des simulations de verdict qui montrent des effets de perceptions liées aux procédures qui sont indépendants du sentiment lié au résultat d’une décision (outcomes). En effet, les auteurs constatent que lorsque des individus « accusés » ont le contrôle du processus décisionnel (sentiment de contrôler le processus) d’un verdict c'est-à-dire qu’ils peuvent s’exprimer avant la prise de décision (sentiment de contrôler la décision) mais aussi si la décision finale est prise par une personne neutre, les individus sont plus satisfaits et cela indépendamment du verdict final qui peut leur être défavorable. Folger (1977) va nommer ce phénomène lié au sentiment de contrôler le processus décisionnel « la voix ».

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Ainsi, ces premières recherches montrent que les procédures et pas seulement les résultats des décisions peuvent conduire à des attitudes favorables et cela est lié selon Thibaut et Walker (1975) aux procédures qui permettent aux individus d’avoir le sentiment de contrôler le processus décisionnel. Pour Leventhal (1976, 1980) la théorie de l’équité ne permettant pas d’expliquer les effets de justice procédurale identifiés par Thibaut et Walker (1975), il va identifier les effets de justice procédurale comme étant d’une autre origine et provenant d’une règle de justice indépendante de la règle d’équité et il va chercher à en définir tous les critères qui s’y rattachent. Leventhal identifie ces critères qui fondent les perceptions de justice des procédures. Ces règles de justice procédurale sont : la consistance de l’application identique des procédures à tous et tout le temps, l’absence de préjugés ou biais personnels, l’exactitude (utilisation d’informations correctes, et valides), la possibilité de correction de la décision en cas d’erreur (permettre les révisions, et les doléances), la représentativité de tous les critères pertinents et l’adéquation des procédures avec la morale et les valeurs éthiques en vigueur. Ensuite, Greenberg et Folger (1983) vont décrire les effets de la voix sur la réaction des salariés permettant l’introduction de la justice procédurale dans le milieu organisationnel et plus particulièrement pour des applications aux ressources humaines. Ces auteurs avancent que la justice procédurale définie par Thibaut et Walker (1975) et l’utilisation des règles de justice de Leventhal (1980) peuvent rendre les évaluations des performances ou le système de compensation plus juste en permettant aux salariés de participer davantage aux décisions. Lind et Tyler (1988) vont contribuer aussi à introduire le concept de justice procédurale dans la recherche en psychologie du travail en proposant de nouvelles méthodes de recherche et aussi pour des applications possibles afin d’augmenter la satisfaction au travail, la conformité aux règles de l’organisation, la performance au travail, et améliorer des aspects importants dans les organisations.

Ensuite, des études empiriques (Greenberg, 1986) ont permis de montrer que les salariés discriminaient bien les deux dimensions de justice (distributive et procédurale) et que les règles de justice procédurales selon Thibaut et Walker (1975) et Leventhal (1980) étaient bien opérationnelles. Par exemple, Greenberg (1986) a demandé à des managers d’évoquer ce qui pouvait être juste et injuste dans des évaluations professionnelles, et d’identifier les facteurs les plus importants qui contribuent à ces évaluations. Après avoir validé ces réponses auprès de deux autres échantillons, il a mis en évidence plusieurs catégories d’expériences de justice dont les deux grands facteurs de justice : procédurale qui est composée du contrôle du processus de la possibilité de correction, de la consistance, et de l’exactitude, et le facteur « justice distributive » composé des questions d’équité. Ensuite, Tyler et Caine (1981) ont montré aussi les effets uniques de la justice procédurale sur les évaluations des enseignants

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mais aussi la satisfaction envers les politiques lorsque les effets de la justice distributive sont contrôlés. De plus, les effets de la justice procédurale dans cette étude étaient plus forts que ceux de la justice distributive. Alexander et Ruderman (1987) arrivent aux mêmes conclusions que Tyler et Caine (1981) avec une enquête sur 2800 agents publiques. Enfin, Folger et Konovsky (1989) en menant une enquête sur 217 salariés d’une usine, montrent que la justice distributive est le premier prédicteur de la satisfaction avec l’augmentation du salaire tandis que la justice procédurale prédit davantage l’attachement à l’organisation et la confiance envers les autorités (Sweeney et Mc Farlin, 1993). Cela signifie qu’il est fort probable que la satisfaction est plus fortement associée à la justice distributive alors que l’attachement organisationnel est plus fortement associé à la justice procédurale. Sweeney et Mc Farlin (1993) ont montré aussi que la justice procédurale prédit plutôt les attitudes globales envers le système comme l’attachement envers l’organisation ou l’équipe et la justice distributive prédit plutôt les attitudes spécifiques (satisfaction avec la paye ou le travail), c’est le modèle en deux facteurs qui a été validé par les méta-analyses de Cohen-Charash et Spector (2001) et Colquitt et al. (2001). Ces méta-analyses montrent aussi que la performance au travail est davantage reliée à la dimension procédurale que distributive. Au niveau du retrait (absentéisme, turnover ou négligence) la méta-analyse de Colquitt et al. (2001) montre qu’il n’y a pas de différence entre les deux dimensions distributive et procédurale. Au niveau des comportements de citoyenneté (entraide, civisme, comportement au-delà du rôle prescrit et favorable à la performance) les résultats sont mitigés (cf. Moorman, Blakely et Niehoff, 1998) même si quelques recherches montrent que la dimension procédurale est plus fortement reliée aux comportements de citoyenneté que la dimension distributive (Ball, Trevino et Sims, 1994 ; Moorman, 1991). Enfin, les recherches ont montré que les effets défavorables liés à l’injustice distributive s’atténuent lorsque la justice procédurale est élevée (Brockner et Wiesenfeld, 1996, Greenberg, 1987), tandis que la justice distributive a plus d’impact quand le niveau de justice procédural est faible (Brockner et Wiesenfeld, 1996, Folger et Corpanzano, 1991, Greenberg, 1990). Ainsi, la dimension de justice procédurale se base sur les sentiments des salariés forgés à partir de la façon dont sont prises les décisions pour distribuer les récompenses (cf. Bagger, Cropanzano et Ko, 2006). Sentir que l’on peut s’exprimer avant une décision (avoir la « voix »), participer directement à la décision finale ou savoir que l’on décide des rétributions sur des critères objectifs et justes au sens de Leventhal (1980) forgent des perceptions de procédures justes. Donner la « voix » est perçu comme plus juste et plus important que le fait de contrôler directement une décision finale même si celle-ci doit être finalement négative.

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Enfin, après avoir centré leur attention sur les caractéristiques de la justice procédurale, les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux aspects interpersonnels des jugements de justice. C’est avec les études de Bies et Moag (1986) que la dimension interactionnelle a commencé à prendre de l’importance. Nous allons voir les travaux sur la dimension de justice interactionnelle, puis ceux liés à la dimension informationnelle. La dimension informationnelle était dans les premiers travaux confondue avec la dimension interactionnelle. Puis, avec les travaux de Greenberg (1993) et Colquitt (2001) la dimension informationnelle a pu être distinguée comme une dimension indépendante de justice comme nous allons le voir.