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La fondation des succursales et des sociétés

MAILLER LA SUISSE OCCIDENTALE

2. L A CRÉATION D ’ UNE CHAÎNE SUPRARÉGIONALE (1920-1933)

2.1. La fondation des succursales et des sociétés

En 1920, Charles Gonset fonde sa première succursale : il reprend le Sans Rival à

Neuchâtel, un bazar vendant des articles bon marché544. Deux ans plus tard, Louise

Gonset tombe gravement malade. D’entente avec elle, Charles décide de transformer

l’affaire en société par actions545. Le 23 septembre 1922, la société anonyme P.

Gonset-Henrioud est constituée à Yverdon. Les statuts stipulent que la nouvelle entité « a pour objet l’exploitation d’un commerce de tissus et confections et, d’une façon générale, toutes opérations se rattachant au but principal.

La Société continuera le commerce précédemment exploité par Monsieur P. Henrioud, aujourd’hui décédé et son successeur Vve. P. Gonset-Henrioud. Elle reprend notamment la clientèle, l’agencement des bureaux et magasins et le stock des marchandises de la maison Vve. P. Gonset-Henrioud pour le chiffre global de f.227.794.-, suivant inventaire du 23 septembre 1922. »546

541 Ibid., p. 6. 542 Ibid., p. 6. 543 Ibid., pp. 5-6. 544 Ibid., p. 51. 545 Ibid., p. 6.

Charles Gonset prend la tête de la nouvelle société : il assume les fonctions de président

du conseil d’administration et d’administrateur délégué547. Le conseil compte deux

autres membres, recrutés parmi le personnel de l’entreprise : Joseph Luternauer, voyageur de commerce, est élu vice-président, et le comptable Ernest Oberhänsli

devient secrétaire548.

Ces deux administrateurs sont aussi actionnaires de la société, dont le capital s’élève à 120 000 francs divisés en 240 actions de 500 francs. Le premier en possède trente, le second vingt. Les 190 titres restants sont détenus par trois membres de la famille

Gonset : Louise, Charles et Charles junior549. La répartition variera, notamment après le

décès de Louise en septembre 1924550 ; mais les Gonset continuent de contrôler la

majeure partie du capital (Annexe 2 p. 348).

Lorsque Charles fonde la SA P. Gonset-Henrioud, il a des projets d’expansion : les statuts de 1922 indiquent que la société peut « s’adjoindre, même hors d’Yverdon,

d’autres magasins et même des succursales, agences, etc. »551 Ce programme se

concrétise dès l’année suivante : l’entreprise, déjà propriétaire du Sans Rival à Neuchâtel, reprend une mercerie à Genève en 1923. Elle s’établit à Delémont en 1925, à

Fleurier en 1926, à Orbe en 1928 et à Château-d’Œx en 1929552.

C’est aussi à cette époque que la troisième génération commence à prendre part aux affaires : Charles a besoin de forces vives pour gérer sa société en plein essor. En 1926, il engage son fils cadet André, âgé de vingt-trois ans. Celui-ci est diplômé de l’École de commerce de Neuchâtel. Il a effectué des stages dans deux maisons milanaises (un constructeur automobile, Isotta Fraschini, et un fabricant d’appareils électriques), ainsi que chez Ludwig Meier, un commerce de Cologne. En 1928, il retourne dans cette ville où il travaille durant une année pour les grands magasins Tietz, afin de parfaire ses

connaissances553.

547 Ibid., p. 2.

548 AGO, A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., p. 4. 549 AGO, SA Yverdon, A2/E5/C10, PV de l’assemblée constitutive, 23.09.1922, pp. 1-2. 550 AGO, SA Yverdon, A2/E1/C3, PVAG, 14.02.1925, p. 1.

551 AGO, SA Yverdon, A2/E5/C10, PV de l’assemblée constitutive, 23.09.1922, p. 3.

552 AGO, A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., pp. 7-8. 553 BCUL, Richard Gonset, « Cent ans Gonset (1875-1975) », s.l., s.n., 1975, p. 7.

En 1930, l’aîné Richard, docteur ès sciences, quitte son poste d’ingénieur chimiste dans

un laboratoire de recherche pour rejoindre à son tour l’entreprise familiale554. Charles

junior suit une voie différente de ses frères. Après des études de droit555, il exerce dans

une société fiduciaire556.

Suite à l’arrivée de ses deux fils, Charles délègue une partie de ses activités. S’il

continue d’acquérir les tissus, « sa spécialité depuis l’apprentissage »557, Richard et trois

autres acheteurs s’occupent du reste des marchandises. André est chargé du contrôle des succursales et, accessoirement, des achats pour quelques rayons.

Quant à l’épouse de Charles « senior », Elsa (surnom d’Élisabeth), elle est membre du conseil d’administration de la société d’Yverdon depuis la démission d’Ernest

Oberhänsli, parti en 1928 pour reprendre un commerce à Gossau558. Elle dirige

également l’atelier de couture et de tailleurs d’Yverdon, fondé la même année. Lorsque les retouches à apporter aux vêtements ne sont pas trop nombreuses, l’établissement fabrique des tabliers. Il supervise aussi la production de layettes, tricotées par des

ouvrières à domicile559.

Grâce à cette réorganisation, Charles a davantage de temps à consacrer à la direction et à l’expansion de la chaîne. Il s’attache à en étendre le maillage malgré – ou grâce à – l’éclatement de la crise économique mondiale. De fait, la bonne situation financière du groupe lui permet de fonder des succursales, et surtout de reprendre des petits

commerces mis en difficulté par l’érosion des chiffres d’affaires560.

C’est ainsi qu’en 1930, Gonset s’implante à Martigny et à Sainte-Croix561. La même

année, Charles et sa famille s’associent à d’autres entrepreneurs pour ouvrir des points de vente supplémentaires. En septembre, la société Francina & Cie est constituée : elle reprend un commerce de tissus à Nyon, propriété de Célestin Ferraris et de Louis et

554 BCUL, Richard Gonset, « Cent ans Gonset (1875-1975) », s.l., s.n., 1975, p. 7. 555 AGO, SA Yverdon, A2/E5/C10, PV de l’assemblée constitutive, 23.09.1922, p. 3. 556 BCUL, Richard Gonset, « Cent ans Gonset (1875-1975) », s.l., s.n., 1975, p. 12. 557 Ibid., p. 8.

558 AGO, SA Yverdon, A2/E1/C3, PVAG, 04.06.1928. A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., p. 4.

559 AGO, SA Yverdon, A2/E1/C3, PVCA, 01.09.1934. A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., pp. 8-9.

560 Sur l’impact de la crise sur le commerce de détail, cf. infra, p. 155 sq.

Anselme Francina562. Tous trois cèdent leur affaire, qui comprend aussi un atelier de

tailleurs et deux voyageurs (Hermann Baenziger, beau-fils d’Anselme, et M. Meyer)563.

Ils reçoivent en contrepartie des actions de la nouvelle société. Ensemble, ils détiennent un tiers du capital (cent actions sur trois cents) qui se monte à 300 000 francs. Les deux autres tiers se répartissent entre la SA P. Gonset-Henrioud et la famille Gonset, soit Charles, Elsa et leurs fils Richard et André (Annexe 3 p. 349). Les Gonset, actionnaires majoritaires, dominent aussi le conseil d’administration : Charles en est le président.

Les deux autres membres sont André Gonset et Louis Francina564. Louis et Anselme

continuent d’assumer différentes tâches au sein du magasin, pour lesquelles ils sont

salariés565.

En novembre 1930, la famille s’intéresse à un commerce situé à Monthey, qui

comprend deux petites succursales dans les villages voisins d’Ollon et d’Evionnaz566. Il

appartient à Yvonne Musy et à Raphaël Pernollet. Les Gonset et les propriétaires

décident de s’associer pour exploiter l’affaire conjointement567. Le 5 mars de l’année

suivante, ils créent la SA Hoirie Pernollet, dont le capital s’élève à 135 000 francs568.

Mme Musy et M. Pernollet reçoivent chacun une dizaine d’actions en échange de leur fonds de commerce. Le reste du capital est aux mains de la société d’Yverdon P. Gonset-Henrioud et de la famille Gonset (Annexe 4 p. 350). Le conseil d’administration est composé de Charles Gonset, président, d’André Gonset et de

Raphaël Pernollet569.

En 1932, la société d’Yverdon établit un magasin à Vallorbe570. Cette année, une

quatrième société voit le jour, la SA P. Gonset à Martigny. Elle « a pour but la reprise et

562 AGO, SA Nyon, A2/E1/C9, Statuts, 05.09.1930, pp. 1-2.

563 AGO, SA Nyon, A2/E1/C10, PVCA, 28.07.1931 ; Bail à loyer entre Monsieur Célestin Ferraris et la SA Francina & Cie, 01.10.1931, p. 1. A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., p. 67.

564 AGO, SA Nyon, A2/E1/C9, PV de l’assemblée constitutive, 05.09.1930, pp. 7-8. A2/E1/C10, PVCA, 05.09.1930.

565 AGO, SA Nyon, A2/E1/C10, PVCA, 07.03.1932, 08.06.1934, 14.12.1934. 566 AGO, SA Monthey, A1/E4/C2, PVCA, 04.08.1931, 28.03.1932.

567 AGO, SA Monthey, A1/E4/C1, Contrat entre P. Gonset-Henrioud Yverdon SA et Hoirie Pernollet Monthey Société en nom collectif, 05.11.1930.

568 AGO, SA Monthey, A2/E1/C13, PV de l’assemblée constitutive, 05.03.1931, p. 1.

569 AGO, SA Monthey, A1/E4/C1, Contrat entre P. Gonset-Henrioud Yverdon SA et Hoirie Pernollet Monthey Société en nom collectif, 05.11.1930, p. 2.

la continuation des affaires de la succursale » de ce village571. Elle est dirigée par Charles, président du conseil, et par André. Si l’on excepte les deux actions dévolues

statutairement à chaque administrateur572, la totalité de son capital est détenue par la

société d’Yverdon (Annexe 5 p. 351).

Tableau 2. Les succursales de Gonset (1871-1933)

Ouverture Succursale 1871 Yverdon 1920 Neuchâtel 1923 Genève 1925 Delémont 1926 Fleurier 1928 Orbe 1929 Château-d’Œx 1930 Martigny 1930 Sainte-Croix 1930 Nyon 1931 Monthey 1931 Ollon 1931 Evionnaz 1932 Vallorbe 1933 Laufon 1933 Saxon 1933 Sion 1933 Brigue 1933 Viège

Source. AGO, A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., pp. 1 sq.

En 1933, la chaîne compte cinq nouveaux points de vente. Le premier est fondé à Laufon par la société d’Yverdon. Les autres sont créés par la société de Martigny à

Saxon, Sion, Brigue et Viège573. L’ouverture de ces quatre magasins dans le canton du

Valais est directement liée à une nouvelle disposition législative574 : les 13 et 14 octobre

571 AGO, SA Martigny, A1/E2/C3, Canton du Valais, Bureau du Registre du commerce, Extrait du Journal, 22.10.1932.

572 AGO, SA Martigny, A1/E2/C3, Statuts, 10.08.1932, p. 6.

573 AGO, SA Martigny, A2/E1/C14, Extrait PVAG, 30.03.1933 ; PVAG, 29.12.1933, p. 1. A2/E5/C16, Richard Gonset, « Une maison se penche sur son passé », op. cit., pp. 10, 84.

Figure 3. Les sociétés anonymes de Gonset et leurs succursales (1922-1933) 1922 P. Gonset-Henrioud Yverdon Yverdon, Neuchâtel 1923 Genève 1924 1925 Delémont 1926 Fleurier 1927 1928 Orbe 1929 Château-d’Œx 1930 Martigny (jusqu'en 1932),

Sainte-Croix Francina & Cie Nyon

Nyon

1931 Hoirie Pernollet Monthey

Monthey, Ollon, Evionnaz

1932 Vallorbe P. Gonset Martigny

Martigny

1933 Laufon Saxon, Sion, Brigue, Viège

1933, les Chambres parlementaires fédérales votent un arrêté urgent qui entrave

l’expansion des grands magasins et des maisons à succursales en Suisse575. Le texte

prend effet immédiatement576. Les magasins valaisans sont inaugurés juste avant : ayant

eu vent des discussions du Parlement durant les mois précédents, les Gonset se sont

hâtés de les ouvrir577.

À l’entrée en vigueur de l’arrêté, la maison Gonset comprend dix-neuf succursales (Tableau 2). Celles-ci sont exploitées par quatre sociétés basées à Yverdon, Nyon, Monthey et Martigny (Figure 3). Ces sociétés forment un tout : la famille Gonset contrôle l’essentiel des capitaux (Annexe 2 à Annexe 5 pp. 348-351) et dirige les affaires (Annexe 6 à Annexe 9 pp. 352-355). Malgré le nombre d’entités, on peut donc parler d’une seule et même entreprise familiale. Cette notion est invoquée par la

business history quand « une famille possède assez de capitaux pour pouvoir exercer un

contrôle sur la stratégie et [quand elle] est impliquée dans des postes de direction »578.