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Chapitre 2 : la dyscalculie, un trouble controversé

3. L’origine de la dyscalculie et la nature des difficultés

3.2. L’approche neuropsychologique

3.2.2. La dyscalculie, un trouble secondaire

Une recherche d’Isaacs et al., (2001) reprise par Molko et al., (2004), s’est également intéressée aux enfants présentant une dyscalculie nés prématurément. Leur étude par imagerie par résonnance magnétique6 (IRM) réalisée sur ces enfants a révélé une réduction de la densité de leur matière grise dans la région du cerveau dédiée au calcul en comparaison d’enfants nés prématurément non dyscalculiques.

L’origine neurobiologique ainsi que génétique du trouble est soulevée par différents auteurs tels que Molko, et al., 2004, 2005), ainsi que Wilson (2005, 2006).

Afin d’aborder la question de la contribution génétique, Wilson reprend les travaux de Gross-Tsur (1996) réalisés auprès de jumeaux homozygotes. Les résultats révèlent un important facteur génétique du trouble : si l’un des jumeaux est atteint de dyscalculie, l’autre l’est aussi dans 70% des cas. De plus, le trouble est relativement présent dans des pathologies d’origine génétique comme l’X-fragile7, le syndrome de Williams8 et le syndrome de Turner9. D’après une étude de Kopera-Fry et al., (1996) reprise par Wilson (2005), les enfants nés prématurément ainsi que ceux exposés à l’intoxication alcoolique de leur mère pendant la période fœtale, sont plus enclin à développer une dyscalculie.

Les facteurs génétiques joueraient alors un rôle important dans l’apparition du trouble.

Bien que l’approche neurocognitive soit de plus en plus considérée par le monde de la recherche elle n’a actuellement reçu que peu de confirmations empiriques. L’atteinte d’un

« module numérique » reste alors une hypothèse.

Au sein même de la neuropsychologie certains chercheurs ne partagent pas la théorie d’une dyscalculie qui serait un trouble à part entière, ils défendent alors l’idée d’un trouble secondaire.

3.2.2. La dyscalculie, un trouble secondaire

Plusieurs auteurs considèrent que la dyscalculie est une manifestation secondaire de certains déficits cognitifs généraux et/ou élémentaires (Geary, 2005, INSERM, 2007, George, 2010,

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'!Permet d’identifier la présence et l’abondance de molécules essentielles à la machinerie cellulaire telles que la choline, la créatine ou le N-acetyl-asparate (Molko, et al., 2004, p.45).!

7 Se caractérise chez les garçons par un retard mental associé à des troubles de l’attention, une hyperactivité et, parfois des traits autistiques (Molko et al., 2004, p. 43).

8 Se manifeste par des déficits importants de la perception visuospatiale et de l’arithmétique, et a contrario des performances verbales très développées (Molko et al., 2004, p. 43).

9 Affecte uniquement les filles et se manifeste par des désordres physiologiques et des troubles cognitifs modérés (Molko et al., 2004, p. 43).

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Sousa, 2010). Différentes habilités cognitives déficitaires pourraient engendrer une dyscalculie. Deux déficits généraux sont souvent mentionnés : un déficit mémoriel lié essentiellement à de faibles ressources en mémoire de travail et un trouble des habilités visuo-spatiales. D’autres déficits, dits élémentaires, comme les fonctions exécutives, l’attention et les gnosies digitales sont aussi cités comme facteurs liés à la dyscalculie.

La mémoire de travail

La mémoire de travail (MDT) permet de maintenir et de traiter simultanément de l’information (George, 2010). Un grand nombre d’études révèlent que les enfants présentant une dyscalculie ont des capacités de mémoire de travail réduites (Barrouillet et al., 1997, Geary et al., 2004, cités par l’INSERM, 2007). Selon Geary (1993, cité par l’INSERM, 2007), cette atteinte provoque deux déficits fondamentaux étroitement liés : un retard développemental dans l’utilisation des procédures de calcul qui sont immatures et de grosses difficultés à stocker, maintenir et retrouver les faits arithmétiques en mémoire à long terme.

Concernant les procédures mises en œuvre dans les calculs de base tels que 4+3, les enfants présentant une dyscalculie utilisent des stratégies plus primitives et immatures que leurs pairs du même âge. En effet, ils procèdent bien souvent à un comptage complet (1,2,3,4,5,6,7) plutôt que de partir de 4 pour ajouter 5, 6 et 7 (Svenson & Broquist 1975, cités par l’INSERM, 2007). Geary et al., (1991, cités par l’INSERM, 2007) ajoutent que, contrairement aux autres enfants qui remplacent progressivement leurs stratégies de comptage par la récupération directe en mémoire du résultat associé au problème posé, les enfants présentant une dyscalculie persévèrent dans l’utilisation de stratégies primitives telles que le comptage verbal et le comptage sur les doigts et produisent beaucoup d’erreurs s’ils tentent la récupération en mémoire. Ils ne parviennent alors pas, ou difficilement, à associer en mémoire les résultats des problèmes obtenus grâce aux procédures algorithmiques de comptage. De plus, leurs procédures de comptages sont très lentes puisque leurs faibles capacités en MDT réduisent leur vitesse de traitement et induisent de grosses difficultés à mémoriser les faits arithmétiques. Barrouillet et al. (1997, cités par l’INSERM, 2007) ajoutent que de faibles capacités en mémoire peuvent rendre compte de difficultés à inhiber les mauvaises réponses lors de la récupération en mémoire. Autrement dit, il leur serait difficile de résister aux interférences. Cela altérerait alors l’étape de sélection de la réponse et provoquerait de nombreuses erreurs.

Ces retards ont aussi un impact sur les activités plus complexes de résolution de problèmes.

En résumé, à cause de capacités réduites en MDT, ces enfants commettraient plus

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fréquemment des erreurs dans leur mise en œuvre de procédures de comptage et auraient de grandes difficultés à mémoriser les faits numériques.

Les habilités visuo-spatiales

Les fonctions visuo-spatiales permettent l’organisation spatiale dans les activités de géométrie, de mesure, de calcul, etc. (George, 2010). Selon Badian (1983, cité par l’INSERM, 2007) un trouble des habilités visuo-spatiales pourrait avoir un effet négatif sur la résolution des opérations posées en colonnes se traduisant par un mauvais alignement des chiffres ou encore des sauts de colonne, mais aussi sur le transcodage (passage du code verbal aux chiffres et inversement) avec des difficultés à maîtriser l’écriture positionnelle (apprentissage de la base 10). Certaines études plus récentes suggèrent que :

Des troubles de l’espace perturberaient la construction et l’utilisation de la représentation spatiale analogique et orientée, la ligne numérique, qui selon Dehaene coderait la magnitude du nombre et en fournirait le sens. Un tel trouble aurait ainsi une répercussion sur l’ensemble des activités numériques (Von Aster, 2000). Une mauvaise représentation spatiale des nombres pourrait même expliquer selon Jordan et al. (2003a et b) les difficultés d’apprentissage des faits numériques. Les difficultés de manipulation perturberaient les procédures de comptage à la source des associations en mémoire entre problème et réponses. (INSERM, 2007, p. 322)

Selon Sousa (2010) il semblerait que ce trouble soit lié à une déficience du lobe pariétal droit qui est justement spécialisé dans les tâches visuo-spatiales. Les déficits visuo-spatiaux semblent caractériser uniquement les garçons (Share et coll, 1988, cités par l’INSERM, 2007).

Les fonctions exécutives et l’attention

Les fonctions exécutives et l’attention sont chargées de la planification, du contrôle, de l’évaluation, de l’élaboration de stratégies, mais aussi de l’inhibition de comportements inappropriés.

Ces fonctions couplées avec une attention contrôlée permettent à l’individu de résoudre des problèmes de façon organisée, de considérer plusieurs pistes de solution à la fois et de respecter et de suivre les étapes planifiées d’une activité en inhibant les réponses plus impulsives (George, 2010, p. 80).

Ces fonctions jouent un rôle important dans la résolution de problèmes mathématiques. En effet, elles permettent une résolution ordonnée et contrôlée de l’individu. Sans cela, il risque

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de se perdre dans la tâche et de commettre de nombreuses erreurs.

Les gnosies digitales

Elles correspondent aux habilités impliquées dans la manipulation des doigts (Desmet &

Mussolin, 2012). Selon Molko et al., (2004), certains enfants auraient des difficultés dans l’utilisation des doigts pour compter. Le problème, selon ces auteurs, est que le comptage sur les doigts constitue une étape indispensable pour apprendre à calculer. En effet, ils soutiennent la thèse selon laquelle un déficit dans les compétences visuo-tactiles (plus précisément dans la reconnaissance des doigts), serait la cause de déficits en arithmétique.

Cette idée est également soutenue par Desmet et Mussolin (2012) qui affirment que les doigts jouent un rôle primordial dans le développement des capacités numériques puisqu’ils représentent un support pour l’acquisition du comptage verbal, qu’ils facilitent la compréhension du système en base 10 et soutiennent la réalisation des opérations arithmétiques de base.

Pour certains chercheurs, la dyscalculie serait alors un trouble secondaire de déficits généraux ou élémentaires, toutefois il est possible que ces troubles ne jouent aucun rôle causal avec la dyscalculie. Les auteurs du rapport de l’INSERM (2007) évoquent à ce propos que les aires cérébrales, mentionnées par Dehaene, actives lors des traitements numériques ne sont pas à coup sûr responsables de la dyscalculie lorsqu’elles sont déficientes.

Comme nous l’avons montré, l’approche neuropsychologique et piagétienne ont proposé diverses explications de la dyscalculie. Leurs conceptions se sont opposées jusqu’à ce jour recevant l’une de l’autre de nombreuses critiques et remises en question. Aujourd’hui, elles restent toutes deux d’actualité et font toujours l’objet de nombreux débats. Comme nous l’avons déjà mentionné, le terme même de dyscalculie est remis en question par certains auteurs d’influence piagétienne qui lui préfère celui d’innumérisme (Guedin, 2012, Vigier, 2012). Toutefois, dans un souci de faciliter la compréhension de nos lecteurs, nous conserverons le terme de dyscalculie qui reste le plus connu et le plus utilisé dans la littérature scientifique.