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CHAPITRE 2. Approches théoriques de la durabilité et de l'agriculture

1) La durabilité et les modèles de développement

La notion de durabilité se réfère à celle de développement durable, traduction de l'expres-sion « sustainable development ». De nombreux travaux d'expertise et écrits scientifiques ne s'attardent plus sur le lien entre les deux termes et retiennent seulement celui de durabi-lité, abordé le plus souvent à partir d'indicateurs. Par commodité, nous parlerons également de durabilité, celle des exploitations agricoles, avec l'idée que celle-ci est ce qui répond aux principes et objectifs d'un développement durable.

1.1) Développement durable : des principes très généraux

Nous ne reviendrons pas ici sur l'histoire de la notion de développement durable26. Retenons seulement deux étapes décisives souvent mises en avant, celle du rapport sur l’environnement et le développement remis en 1987 à l’Assemblée générale des Nations Unies par une commission présidée par Madame Gro Harlem Brundtland, et celle de la conférence des Nations unies qui a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992. Ces deux évènements et ceux qui les ont prolongés ont contribué à forger progressivement la notion de développement durable autour d'une définition générale – «Satisfaire les besoins des générations actuelles sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs » – et autour de quelques grandes notions :

Les ressources et leurs limites.

L'idée centrale est de préserver et conserver les ressources (naturelles, culturelles...) de manière à ce qu'elles puissent bénéficier non seulement aux générations actuelles, mais aussi à celles à venir. On prend en compte le fait que les ressources sont limitées, donc épuisables, et que certaines ne sont pas remplaçables. Deux visions de la durabilité s'affrontent cependant à ce sujet. L'une, la durabilité faible, considère que les ressources sont substituables, une ressource épuisée peut être remplacée par une autre, de nature identique ou différente (par exemple, la technologie peut compenser la destruction des ressources naturelles). L'autre, la durabilité forte, postule que les ressources ne sont pas substituables, et qu'il faut donc toutes les préserver impérativement.

L'articulation entre niveaux spatiaux.

Le développement doit se conjuguer de l'échelle locale à l'échelle globale. L'articulation entre des temporalités différentes.

La prise en compte du long terme (échelle intergénérationnelle) est essentielle, ce qui suppose une articulation entre l'action à court terme et celle à long terme.

Les idées d'intégration, de décloisonnement et d'approche globale.

Le développement durable est souvent résumé par l'exigence d'articuler trois dimensions (économique, sociale et environnementale). Il s'agit donc de prendre en compte conjointe-ment des domaines habituelleconjointe-ment considérés de façon indépendante. Le principe peut en être défini, comme le propose Olivier Godard, comme « une forme de développement dont la durabilité écologique, la viabilité économique et l'équité sociale seraient les composantes nécessaires résultant du mouvement interne aux processus de développement considérés. De plus les trois composantes seraient reliées par un lien nécessaire : on ne pourrait pas avoir l'une sans l'autre, la durabilité écologique sans l'équité sociale, l'équité sociale sans la durabilité écologique, par exemple... » (Godard, 2001).

Le principe de précaution.

Un développement durable doit obéir à un principe prenant en compte la nécessité de l'action même dans des conditions d'incertitude. Les définitions du principe de précaution sont nombreuses, retenons celle, à titre d'exemple, de la loi 95-101 du 2 février 1995 relative au sur le renforcement de la protection de l'environnement27 : principe « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût écono-miquement acceptable ».

L'éthique et la responsabilité.

Le développement durable pose la question de l'éthique et de la responsabilité des acteurs dans leurs prises de décisions et leurs actions. Ceux-ci doivent avoir le souci de prendre en compte les conséquences de leurs actions sur autrui, dans le temps et dans l'espace.

Ces quelques grandes notions dessinent, de manière non exhaustive, la trame des principes auxquels le développement doit répondre pour être durable. Ceux-ci sont assez généraux et flous, mais cette limite constitue dans le même temps un intérêt dans la mesure où cela permet d'utiliser la notion de développement durable dans des domaines très variés et à des échelles très différentes. Chaque tentative d'utilisation nécessite alors un travail d'opérationnalisation des principes, c'est à dire d'explicitation des différentes dimensions qui le constituent et de formalisation de méthodes d'évaluation. Ceci a été fait dans le domaine agricole dès le début des années 90, aussi bien dans le milieu scientifique que professionnel.

1.2) La durabilité des exploitations agricoles

1.2.1) Une approche globale

L'approche de la durabilité des exploitations agricoles reprend bien sûr les principes du développement durable (articulation entre échelles spatiales et temporelles différentes, préservation des ressources, etc), et l'approche globale avec les trois dimensions classiques du développement durable : économie, social et environnement. Les définitions de l'agri-culture durable sont nombreuses, toutefois un consensus semble se faire autour de la définition synthétique de Francis et Youngberg (1990, in Bonny, 1994) : « L’agriculture durable est une agriculture écologiquement saine, économiquement viable, socialement juste et humaine ».

Hill et Mac Rae proposent une synthèse des principales caractéristiques de l'agricul-ture durable, en mettant celle-ci en opposition avec une agricull'agricul-ture conventionnelle (tableau 2.1).

Agriculture durable Agriculture conventionnelle

Causes, prévention Symptômes

Holisme Réductionnisme

Coûts internalisés dans les choix Coûts environnementaux et sociaux ignorés

Long terme Court terme

Complexe, pluridisciplinaire Unique, simple

Solutions permanentes Solutions temporaires

Risques potentiels faibles Risques potentiels élevés

S'adapter Éliminer les parasites nuisibles

Écologique (naturel) Physique et chimie (de synthèse) Solutions et matériels locaux Importation

Biens transformés, services Biens produits, matières premières Importance de la connaissance, compétence Technologique, intensive

Auto-régulatrice Dépendante

Initiative Intégrative

Adaptable Rigide

Coopérative Compétitive

Tableau 2.1 : Principales caractéristiques d'une agriculture durable et de l'agriculture convention-nelle selon Hill et Mac Rae, 1995 (in Hansen 1996)

Du côté des réseaux professionnels agricoles, un des principaux acteurs ayant porté la notion d'agriculture durable, le Réseau Agriculture Durable (RAD), définit celle-ci comme une « agriculture à taille humaine, liée au sol, économe en intrants comme en moyens de production. », ou bien comme l'agriculture des « systèmes de production

agricole plus économes et plus autonomes »28. L'autonomie et l'économie sont les deux aspects régulièrement mis en avant par le RAD. Le premier concerne principalement l'autonomie en ressources (eau, éléments fertilisants et matière organique pour les sols, eau, énergie, alimentation des animaux), ce qui exclut les systèmes hors-sol. Il peut aussi être comprise comme l'autonomie décisionnelle des agriculteurs, dimension fondamentale dans la démarche du RAD (Deléage, 2004). Le deuxième aspect, l'économie, est aussi abordé sous des angles différents : réduction des intrants et donc des charges, efficience (du niveau des intrants jusqu'au niveau du système de production), économie en moyens de production par travailleur, par unité de moyen de production, etc.

La plupart des approches de la durabilité des exploitations agricoles reprennent l'entrée par les trois dimensions du développement durable (économie, sociale et environ-nementale), avec parfois certaines spécificités. On y retrouve la plupart des aspects mentionnés plus haut dans les définitions de l'agriculture durable. Quelques grilles d'ana-lyse explicitent les objectifs auxquels doivent répondre les systèmes agricoles durables, comme par exemple la méthode IDEA (objectifs de cohérence, d'autonomie, de bien-être animal, de qualité des produits, d'éthique, de développement humain, de développement local, de qualité de vie, de citoyenneté, d'adaptabilité, d'emploi, et enfin de protection et gestion de la biodiversité, des paysages, des sols, de l'eau, de l'atmosphère et des ressources non renouvelables). La déclinaison de ces dimensions et objectifs de l'agricul-ture durable en indicateurs sera abordée dans le chapitre méthodologie.

Par rapport aux approches de la durabilité dans les entreprises non agricoles, deux points sont par contre peut-être davantage présents : la dimension environnementale et la transmissibilité de l'exploitation.

Le premier point se justifie par la nature de l'activité agricole, en prise directe avec l'environnement naturel. Celui-ci ne représente pas seulement des ressources, à travers les intrants ou matières premières utilisées, et un environnement qui pourrait être dégradé par les rejets ou impacts divers de l'entreprise, il constitue aussi l'outil de production de l'exploitation – si l'on met à part le cas de l'agriculture entièrement hors sol. La durabilité ne se traduit pas seulement en termes de risques de pollution ou d'épuisement des ressources naturelles, mais aussi par les caractéristiques des processus biologiques et écologiques sur lesquels reposent le processus de production. On parlera alors, dans certains systèmes d'évaluation de la durabilité des exploitations agricoles, de la dimension agro-écologique, et non uniquement écologique ou environnementale. Les réflexions sur l'agriculture durable rejoignent d'ailleurs celles sur l'agriculture agroécologique. L’agroéco-logie se définit29 comme « l’application des concepts et principes de l’écologie à la concep-28 Extrait du site du RAD : http://www.agriculture-durable.org/, (29 mai 2013)

29 Citations extraites de la page web de l'INRA « Les mots de l'agronomie. L'agroécologie ». DAVID C.,

agroéco-tion et à la gesagroéco-tion d’agroécosystèmes durables » (Gliessman, 1998), ou comme « la recherche des moyens d’améliorer les performances environnementales et techniques des systèmes agricoles en imitant les processus naturels, créant ainsi des interactions et syner-gies biologiques bénéfiques entre les composantes de l’agroécosystème » (De Schutter, 2011). L'appellation d'agroécologie désigne aussi bien aussi bien un courant scientifique, des pratiques agricoles, qu'un mouvement social (Wezel et al., 2009).

Le deuxième point, la transmissibilité, avait été mis en exergue par Landais (1998), qui en faisait une composante à part entière de la durabilité. Il est particulièrement sensible dans le secteur agricole, dans la mesure où l'absence d'un successeur familial entraîne souvent la dislocation de l'exploitation, et où la succession peut être rendue difficile par l'importance des capitaux à apporter par rapport au revenu dégagé. Ce point est souvent intégré dans les dimensions économique et sociale.

Mais hormis ces différences, l'originalité de l'approche de la durabilité des exploita-tions agricoles tient en la prise en compte simultanée d'une durabilité auto-centrée et de la contribution de l'entreprise agricole à la durabilité des territoires. Ceci est une particularité de l'approche française de la durabilité de l'exploitation agricole, par rapport à l'approche anglo-saxonne, introduite par Godard et Hubert (2002) : « nous proposons de distinguer deux composantes, également essentielles de la durabilité :

– la viabilité ou durabilité auto-centrée d’une agriculture qui entretient les fonds (sols, foncier, espaces de proximité, ressources en eau, paysage, ...) et les capacités (formation professionnelle, incorporation continue des progrès techniques passés au crible de la durabilité, entretien de la légitimité sociale des activités et des techniques, stockage et assurance pour faire face aux surprises, ...) dont elle dépend. Cela concerne le niveau de l’exploitation, mais aussi les filières de l’appro-visionnement en intrants, jusqu’à l’offre de produits industriels (cultures indus-trielles) ou alimentaires au consommateur final. (…)

– la contribution de l’agriculture à la durabilité des territoires et des collectivités auxquelles elle appartient : insertion dans l’économie locale ; production d’un milieu physique aménagé et ouvert, et offre de services de proximité (tourisme rural) ; insertion dans l’économie régionale et nationale (emplois, répartition de la population sur le territoire (...) » (Godard, Hubert, 2002).

Cette deuxième composante fait écho à la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, apparue dans les années 90. La multifonctionnalité « correspond à l’idée que l’agriculture, outre la production d’aliments et de fibres, fournit toute une série de produits autres que les produits de base, tels que les aménités rurales et environnementales ou la sécurité des approvisionnements, et contribue à la pérennité des zones rurales. » (OCDE, 2005). Cette composante vient enrichir la dimension sociale de la durabilité, comme dans le système d'évaluation IDEA (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles), pour

aboutir à une dimension socio-territoriale. Ainsi on peut retenir avec Zahm et al. (2004) que « l'agriculture durable « repose sur trois grandes fonctions essentielles : la fonction de production de biens et services, la fonction de gestionnaire de l’environnement et la fonction d’acteur du monde rural. » (Zahm et al., 2004).

1.2.2) La durabilité de l'agriculture biologique

En France, certains acteurs proposent de faire de l'AB un prototype de l'agriculture durable (voir chapitre 1). Dans le monde scientifique, la relation entre agriculture biologique et agriculture durable fait l'objet de débats. Certains auteurs considèrent que les deux termes sont équivalents ou du moins très proches, d'autres pensent que les principes et la régle-mentation de l'AB ne suffisent pas pour qu'elle soit durable (Rigby et Càceres, 2001a). Mais ces débats se focalisent surtout sur les aspects agronomiques et environnementaux, aspects que les chercheurs ont le plus explorés. En effet, l'impact des pratiques de l'AB sur l'environnement a déjà fait l'objet de nombreux travaux scientifiques, que ceux-ci prennent ou non pour cadre d'analyse l'approche de la durabilité. Ils ont été repris sous forme de synthèses (Stoze et al., 2000, Lötter, 2003, Modelaers et al., 2009) montrant les atouts et les marges de progrès de l'agriculture biologique. Fleury et al (2011) examinent ces diffé-rents travaux et confirment que les performances environnementales de l'AB sont globale-ment meilleures que celles de l'agriculture conventionnelle, notamglobale-ment pour la conservation de la fertilité physique et biologique des sols, la qualité de l'eau, la biodiver-sité, la consommation d'intrants. Ils jugent cependant que des améliorations seraient possibles et souhaitables, concernant la gestion des matières organiques, les risques de toxicité de certains produits comme le cuivre, le travail du sol, l'émission de gaz à effet de serre.

L'approche globale de la durabilité reste l'aspect le moins exploré de tous ces travaux. Quelques uns intègrent dans leur approche de la durabilité de l'AB les dimensions économiques et sociales (Vereijken, 1997 ; Rigby et al., 2001b), mais ils restent toutefois largement focalisés sur les aspects agronomiques et environnementaux. Et surtout, la part accordée à la dimension socio-territoriale est très ténue. Dans une approche originale, celle de la résilience des systèmes socio-écologiques, Milestad et Darnhofer (2003) livrent toute-fois une analyse de la durabilité de l'AB faisant une place importante aux aspects sociaux (autonomie organisationnelle des associations de producteurs en AB, indépendance vis à vis de la grande distribution, apprentissages, etc).

L'absence d'outils d'évaluation de la durabilité globale spécifiques aux exploitations agrobiologiques se fait également sentir dans les milieux du développement agricole. Les outils existants sont conçus pour être appliqués à tous les types d'agriculture, et ce faisant, ils permettent de faire des comparaisons agriculture conventionnelle / agriculture biolo-gique. Mais, comme le suggèrent certains auteurs (Rigby et Càceres, 2001a), l'usage de la notion de durabilité gagne aussi à se détacher d'une approche trop générale et à prendre en

compte les spécificités des contextes locaux ou organisationnels. Des outils spécifiques à l'AB permettraient de prendre en compte et de mettre en évidence des aspects particuliers, et de comparer les exploitations en AB entre elles avec davantage de finesse.

La question de la durabilité de l'AB est aussi fortement liée à celle des modèles de développement, puisque la notion de durabilité est indissociable d'une vision du développe-ment. Le débat sur la conventionnalisation est venu rappeler que l'AB peut suivre plusieurs voies en la matière, et donc même la voie d'une agriculture de type conventionnel. En effet, même si les chartes de l'IFOAM ou de la FNAB offrent une certaine idée de ce que devrait être le modèle de développement de l'AB, le règlement européen n'est contraignant que sur les aspects techniques et laisse donc le champ libre aux agriculteurs dans de nombreux domaines (taille des exploitations, mode de commercialisation, intensification, etc). Analyser la durabilité de l'AB nécessite donc de prendre en compte la diversité des modèles de développement dans lesquels les exploitations agricoles s'inscrivent.

1.3) Des modèles de développement de l'AB pluriels

La diversité des modèles de développement est une question ancienne et récurrente dans le milieu professionnel de l'AB. A la fin des années 90, l'attribution d'aides à la conversion a fait naître la crainte que de nombreux agriculteurs adoptent l'AB davantage par opportu-nisme économique que par conviction. S'est ajoutée à cela la peur que des opérateurs de la grande distribution, du négoce ou de la coopération prennent peu à peu le contrôle des filières et d'un marché alimenté par ces nouveaux entrants. Le débat sur la conventionnali-sation de l'AB, est apparu d'abord aux Etats-Unis à la fin des années 90 (Buck et al., 1997). Guthman (2004 a, 2004 b) traduit ces inquiétudes en montrant qu'une partie des exploita-tions en AB deviendraient davantage intensives en intrants, productivistes, spécialisées, dominées par de grands groupes (grande distribution), gourmandes en capitaux. Une conception binaire oppose alors d'une part agriculteurs pionniers convaincus, fidèles aux principes de l'AB, insérés dans des filières courtes ou locales, et d'autre part des agricul-teurs opportunistes, peu attentifs aux principes de l'AB, se limitant à l'application au sens strict de la réglementation, insérés dans des filières longues. Le débat porte sur la nature de cette nouvelle forme d'AB, sur sa cohérence avec les principes de l'AB, mais aussi sur la capacité des producteurs pionniers à résister à ces évolutions. Guthman se demande par exemple si l'essor d'une AB conventionnelle ne va pas porter préjudice aux petits produc-teurs, notamment en les soumettant à une concurrence trop forte sur les marchés. Le phénomène de conventionnalisation de l'AB s'observe également en Europe, mais reste néanmoins limité (Kratochvil et Leitner, 2005 ; De Wit et Verhoog, 2007).

L'analyse de certains aspects de la conventionnalisation, essentiellement dans le domaine agronomique, est faite par quelques auteurs à partir de la distinction entre deux paradigmes de gestion des process de production agrobiologique : "input substitution

paradigm" et "system redesign paradigm". Cette dernière approche est empruntée aux

travaux de biologistes (Hill, 1985 ; Hill and Mac Rae, 1995 ; Altieri and Rosset, 1996), qui avaient développé la grille d'analyse appelée ESR à partir des trois notions : Efficience, Substitution, et Reconception. Le premier paradigme, dans une approche réductionniste, fait de la pratique de l'AB l'application d'une réglementation interdisant ou autorisant certains produits, et aboutit à la substitution d'intrants chimiques par des intrants organiques. Le deuxième, dans une approche holistique, envisage les pratiques agrobiolo-giques d'une exploitation comme un système global basé sur les interactions entre ses composants, la diversité, la valorisation des processus naturels. L'efficience vise à réduire l'usage d'intrants et leurs impacts négatifs par des solutions technologiques. Elle peut être comprise de deux façons, ou s'observer à deux phases : soit comme le passage du conven-tionnel à l'AB, soit après la conversion comme la réduction des intrants autorisés en AB par une meilleure valorisation des processus et des équilibres biologiques.

A partir des années 2000, différents travaux de recherche ont battu en brèche cette lecture basée sur l'opposition de deux pôles. Ainsi, sans nier le phénomène de convention-nalisation, Darnhofer et al. (2009) remettent en cause la solidité méthodologique et scienti-fique des études réalisées ; celles-ci ne permettraient pas de rendre compte de l'hétérogénéité et de la complexité des changements à l'œuvre dans le milieu de l'AB. Le choix de critères de structure, notamment la taille des exploitations, est discuté, dans la mesure où ils ne sont pas toujours corrélés avec les autres aspects de la conventionnalisa-tion. Les auteurs prennent acte du fait que l'AB se transforme, mais jugent que les pratiques des producteurs les plus anciens dans le métier ne devraient pas être considérées comme une norme immuable ; comme par le passé l'AB évolue, du fait des connaissances nouvelles, de l'évolution des moyens techniques et organisationnels, des changements dans le contexte socio-économique, etc. Ika Darnhofer et al. (2009) proposent alors de distin-guer les changements de premier ordre, qui ne remettent pas en cause les principes de l'AB