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LA DOCUMENTATION : UNE DISCIPLINE SCOLAIRE EN CONSTRUCTION

Dans le document L'éducation à la culture informationnelle (Page 71-74)

UN POINT DE VUE « INFORMATIQUE »

LA DOCUMENTATION : UNE DISCIPLINE SCOLAIRE EN CONSTRUCTION

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D’abord, la notion d’information est en partie commune. Cette notion est toutefois particulièrement difficile à circonscrire et on ne peut se conten-ter d’une dichotomie par trop simpliste entre une vision mathématique de l’information et une vision sciences humaines. Elle invite à des synthèses plus complexes [voir par exemple S. Leleu-Merviel et P. Useille, 2008] et l’informatique pourrait également être vue comme une science de la nature [P. Denning, 2007], compte tenu de l’importance du concept d’information dans nombre de sciences expérimentales.

Ensuite, s’agissant de documentation, on pourrait également identifier des visions ou des approches différentes, ne se confondant pas avec les questions de redocumentarisation [R. Pédauque, 2007] ou de grandes périodes sur les documents16. La documentation est en pleine mutation, mutation qui n’est d’ailleurs pas terminée. C’est d’abord un champ de pratiques et ces pratiques sont instrumentées et largement collectives, ce qui invite à rechercher des cadres pour penser la discipline autour de l’activité collective instrumentée et des théories associées [Y. Engeström, 1987 ; V. Kaptelinin et B. Nardi, 2006].

Mais comment construire la documentation comme discipline, reven-diquée par nombre d’enseignants-documentalistes ? Différentes défini-tions ou descripdéfini-tions de ce que peut être une discipline au sens scolaire du terme, tout au moins dans l’organisation actuelle de l’enseignement en France, ont été proposées. On pourrait dire qu’une discipline, c’est un corps d’enseignants, une matrice pour ses contenus, un territoire à

négo-16. Voir sur le blog : Bloc-notes de Jean-Michel Salaün. Les quatre âges de l’imprimé. [En ligne]

< http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/post/2006/10/13/94-les-quatre-ages-de-l-imprime > (consulté le 28 juin 2009).

cier vis-à-vis d’autres, des examens, des formes d’exercisation et d’éva-luation, propres ou adaptées. Les enseignants-documentalistes ont un territoire « physique », dont ils ont la responsabilité, mais un territoire disciplinaire moins affirmé. Il y a certainement un enjeu important à pré-ciser les contenus propres à la documentation, contenus sur lesquels elle pourrait asseoir sa légitimité ou conquérir cette légitimité face aux auto-rités et aux autres champs disciplinaires.

S’agissant de ce qui est enseigné par les disciplines scolaires, on réfère souvent soit à la transposition didactique soit aux pratiques sociales de référence. Or, lorsque l’on regarde l’informatique comme discipline, on s’aperçoit qu’aucun des deux modèles ne fournit de cadre bien adapté [G.-L. Baron et E. Bruillard, 2001]. D’un côté, les savoirs « savants » ou

« experts » sont largement en construction ou en évolution et ne sont pas susceptibles d’être apprêtéspour la formation des élèves. D’un autre côté, les pratiques de secrétariat (pour la bureautique) ou de l’entreprise sont des références très partielles et ne fondent pas un enseignement. Aussi bien côté informatique que documentation, les évolutions sont très rapides, elles sont imbriquées aux évolutions des techniques, mais également aux usages qui se construisent, elles ne sont pas indépendantes de questions économiques. Elles conduisent à prendre en compte les pratiques fami-lières qui se développent largement en dehors de l’école et sont associées à la culture des jeunes.

Une approche par d’éventuels « savoirs » n’est pas aisée à mettre en œuvre et aboutit trop souvent à mettre la technique à distance. En parti-culier, la dimension processus, essentielle, est mal captéepar des concepts.

Ainsi, s’agissant d’informatique, on s’est aperçu que certains concepts, celui de mémoire par exemple, devenaient délicats en raison des environ-nements techniques disponibles. Alors qu’il y a quelques années, on dif-férenciait simplement mémoire morte et mémoire vive, les publicités actuelles attestent d’autres types de mémoires, comme les mémoires cache, plus difficiles à expliquer. De même, la notion d’arborescence apparais-sait centrale (pour l’organisation des fichiers), elle est beaucoup moins opérante que la notion de table ou celle de graphe (on peut trouver un fichier en interrogeant certaines de ses caractéristiques sans se préoccu-per de l’« endroit » où on l’a rangé). Les processus mis en œuvre dépen-dent ainsi des offres sociotechniques.

Poursuivant le parallèle entre documentation et informatique, on s’aper-çoit qu’on a tendance à les confiner dans des rôles de disciplines de ser-vice, n’ayant d’existence que dans ce qu’elles procurent aux disciplines

scolaires installées, dans des dispositifs qualifiés de pluri- ou d’inter-dis-ciplinaires sacrifiant à la mode des compétences : des référentiels, des brevets dont le sérieux est pour le moins en question. En effet, l’approche par compétences ne dit pour le moment pas grand-chose sur les proces-sus d’acquisition des compétences (si ce n’est qu’elles sont censées s’ac-quérir par la simple pratique, ce qui est certainement en grande partie faux), se limitant aux questions d’évaluation, recommandée en contexte de réalisation de tâches. Considérant la question didactique comme l’ex-pression d’une responsabilité sur des contenus, les brevets comme le B2i instaurent une responsabilité collective un peu factice, non assumée par une discipline. Quelle légitimité peuvent donc revendiquer ceux qui construi-sent des référentiels ou valident des compétences ?

Une vision « discipline de service » tend à conférer aux enseignants le rôle de « technicien de service ». D’ailleurs, dans les rapprochements entre informatique et documentation, on peut voir les similitudes dans les modèles positifs, ceux qui parlent aux oreillesdes machines (ou des cata-logues), modèles souvent incomplets et ambivalents (le programmeur ou le bibliothécaire), et négatifs (les repoussoirs), les gardiens intraitables, ceux qui voient les utilisateurs au mieux comme des intrus, au pire comme des vandales dont il faut se protéger.

Pour une discipline d’enseignement, l’importance de l’exercisation est à souligner. En effet, les caractéristiques des exercices canoniques tra-duisent le cœur d’une discipline : la dissertation, les travaux pratiques des sciences expérimentales… On peut séparer l’exercice, les gammes de l’instrumentiste ou le déchiffrage des partitions, et les réalisations (les œuvres) comme l’interprétation d’un morceau, l’exercice de calcul et le problème en mathématiques. Mais l’exercisation est essentielle : il faut entraîner les élèves et la répétition est souvent utile. Prescrire unique-ment des tâches « authentiques » (si tant est qu’elles puissent exister dans un contexte scolaire) ou répondant à des besoins conscients des élèves n’est pas réaliste. Scolarisation implique exercisation, même si la pratique des cotations d’ouvrages ou la réalisation de notices documen-taires ne sont pas forcément à conseiller : il ne s’agit pas de scolariser la totalité du spectre d’activités d’un documentaliste.

L’exercisation dans la pratique des instruments est nécessaire pour être bien préparé à affronter des tâches complexes. Cela ne veut pas dire qu’il faille systématiquement procéder du simple au complexe mais que différents niveaux de complexité sont à articuler. En tant que discipline

instrumentée, la documentation scolaire a une responsabilité sur la maî-trise acquise par les élèves des instruments qu’elle met à leur disposition.

Dans le document L'éducation à la culture informationnelle (Page 71-74)