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La culture inversée

2. Dédifférenciation de l’adipocyte mature

2.1 La culture inversée

Le terme ceiling culture, communément appelé la culture inversée en français, a été introduit pour la première fois en 1986 par l’équipe de Yun. Cette dernière a développé ce système de culture pour contrecarrer les problèmes associés à la culture des adipocytes matures et pour étudier les aspects biologiques et métaboliques des adipocytes matures isolés des tissus adipeux entiers En raison de leur haute teneur en lipides, lorsqu’ils sont ensemencés dans des conditions normales de culture, les adipocytes flottent à la surface du milieu de culture et ne survivent que quelques heures. Ces problèmes techniques font en sorte qu’il est difficile d’étudier in vitro la biologie de ces cellules. La culture inversée consiste à incuber des adipocytes isolés de tissus adipeux dans un flacon de culture complètement rempli de milieu de culture enrichi en sérum (généralement entre 10% et 20% de sérum) et à le cultiver en position inversée pendant quelques jours avant de le retourner et de poursuivre la culture de façon conventionnelle (Figure 9). Lorsque le flacon est en position inversée, les cellules adipeuses adhèrent à sa paroi supérieure. Le groupe de Yun a observé des changements morphologiques importants lorsque des adipocytes épididymaux provenant de rats et des adipocytes sous-cutanés provenant d’humains (nouveau-nés, enfants et adolescents) ont été maintenus en culture inversée pendant quelques jours. Ils ont été les premiers à démontrer qu’une fois qu’elles ont adhéré à la paroi du flacon de culture, la majorité des cellules deviennent multiloculaires et/ou elles acquièrent une apparence fibroblastique (168). Ces chercheurs ont nommé ces cellules des adipocytes dédifférenciés.

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Figure 9. Représentation schématique du modèle de culture cellulaire inversée

Les adipocytes matures sont séparés de la fraction stroma-vasculaire du tissu adipeux par une digestion à la collagénase. Les adipocytes isolés sont ensemencés dans un flacon de culture qui est complètement rempli de milieu de culture contenant une quantité importante de sérum (entre 10% et 20%). Les adipocytes adhèrent à la surface supérieure du flacon qui est cultivé à l’envers pour une durée d’environ 7 jours. Le flacon est ensuite retourné et les cellules sont cultivées dans des conditions conventionnelles- Figure adaptée de Sugihara et al. (168)

En raison des changements morphologiques observés, les auteurs ont suggéré que la dédifférenciation est le processus développemental au cours duquel des cellules spécialisées pour certaines fonctions (par exemple les adipocytes matures qui se spécialisent dans le stockage des lipides) deviennent des cellules précurseurs non différenciées d’aspect fibroblastique. Dans cette même étude, certaines observations laissaient cependant croire qu’un autre phénomène puisse être à l’origine de la dédifférenciation. Les résultats de cette étude ont en effet démontré qu’au jour 4 du processus de dédifférenciation, environ 2% des adipocytes uniloculaires étaient marqués à la thymidine tritiée (TH3), suggérant qu’ils répliquaient leur ADN. De plus, les auteurs ont suggéré que certains adipocytes se divisaient et transféraient leur gouttelette lipidique aux cellules filles résultantes. Ces observations ont soulevé un grand questionnement et ont remis en considération l’hypothèse selon laquelle chez les mammifères les cellules différenciées ne peuvent se diviser (169). Des résultats semblables ont été obtenus par d’autres équipes. Zhang et al. ont aussi démontré qu’environ 2% des adipocytes mis en culture inversée incorporaient le bromodésoxyuridine (BrdU) confirmant le potentiel de division de ces cellules. Ils ont aussi observé, par microscopie, le bourgeonnement d’une cellule fille à partir d’un adipocyte mature (170). En 2007, Matsumoto et al. ont effectué des expériences de microscopie en temps réel. Ils ont suggéré que les cellules fibroblastiques obtenues durant le processus de dédifférenciation soient directement dérivées des adipocytes par un processus de division asymétrique. Au jour 3 du processus de dédifférenciation,

Culture inversée (7 jours) Adipocytes matures Fraction Stroma-vasculaire Tissus adipeux Inversion du flacon Digestion à la collagénase Prolifération (7 jours) Cellules adipeuses dédifférenciées DMEM-20% sérum

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les auteurs ont observé des adipocytes binucléiques marqués positivement au BrdU. Qui plus est, au jour 7 de la dédifférenciation, 50% des adipocytes ayant adhéré à la surface de plastique du flacon avaient incorporé le BrdU (171). Dans une étude élégante effectuée en 2016, Maurizi et al. ont suggéré que la dédifférenciation ne soit pas attribuable à une perte graduelle de lipides par le processus de lipolyse, mais plutôt à un phénomène qu’ils ont nommé la délipidation. Des expériences de microscopie en temps réel et de microscopie à balayage électronique ont effectivement suggéré que les adipocyte sécrètent leur gouttelette lipidique lorsqu’ils sont ensemencés en culture inversée, ce qui résulte en la formation d’une cellule fibroblastique ne contenant plus de lipides. Les auteurs ont également suggéré que ce phénomène puisse survenir dans des explants de tissus adipeux sous-cutanés (172). À la lumière de ces observations, il apparaît que le terme dédifférenciation puisse faire référence à différents évènements cellulaires. Ce phénomène a reçu beaucoup d’attention au cours des dernières décennies. En effet, plusieurs groupes de recherche ont utilisé la technique de culture inversée développée par le groupe de Yun pour obtenir des populations de cellules adipeuses dédifférenciées provenant de rats, de souris, de cochons, de boeufs et d’humains (170, 173-176).

Certaines équipes ont également développé des techniques que nous pouvons qualifier de non- traditionnelles pour dédifférencier des cellules adipeuses. En 2004, le groupe de Boström a obtenu une population de cellules dédifférenciées provenant d’adipocytes de souris et d’humains en utilisant une technique alternative à la culture inversée. Cette technique consiste à ensemencer les adipocytes isolés dans un puits de culture contenant un filtre (70 µm) et à les incuber pendant cinq jours. Les cellules dédifférenciées passent à travers le filtre et adhèrent au fond du puits, alors que les adipocytes demeurent dans le filtre qui est subséquemment retiré (177). Par ailleurs, Fernyhough et al. ont dédifférencié des adipocytes matures d’origine bovine en combinant la culture inversée et une méthode d’ensemencement différentiel, afin d’obtenir une population cellulaire plus homogène (178). Le modèle de culture inversée développé par Yun demeure toutefois le plus utilisé pour la dédifférenciation des adipocytes matures. Dans notre laboratoire, nous avons développé une approche de culture cellulaire inversée qui permet de traiter les cellules durant le processus de dédifférenciation avec différentes drogues et ce, à différents temps au cours du processus. Cette méthode de culture s’effectue dans des plaques de six puits. Une lamelle de verre est déposée au fond de chacun des puits d’une plaque de 6 puits et un anneau de plastique est placé dans chacun de ces puits. Ensuite, 8 mL de milieu de culture enrichi en sérum (20%) est ajouté dans chacun des puits. Une lamelle de verre traitée à la polylysine est apposée sur chacun des anneaux et les adipocytes sont ensemencés en-dessous de cette lamelle. Les cellules flottent et adhèrent à la

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lamelle supérieure (179). Cette méthode de culture sera décrite plus en détails au Chapitre 3 de cette thèse