• Aucun résultat trouvé

PARTIE II : ANALYSE POURQUOI CONSTRUIRE UNE COOPERATION CULTURELLE A PARTIR DU PCI ?

Chapitre 4 : Le Patrimoine Culturel Immatériel à la base de la construction de l’identité

1) La culture, facteur de la cohésion sociale :

Lors du Séminaire des acteurs institutionnels et associatifs de la Guadeloupe sur la coopération culturelle à partir du PCI, Georges Brédent stipulait que « la culture participe quelque part à la cohésion de la société, elle fait le lien social, elle apporte ce supplément d’âme. Au niveau même de l’équilibre d’une société, la culture a son sens. »141

Ma première visite aux cours de Bomba142 organisés par Restauración Cultural, sur la place

de Carolina à Puerto Rico, m’avait grandement surprise. Je fus d’abord étonnée de la diversité de personnes réunies sur cette place : enfants, étudiants, adultes, personnes âgées... Et puis je m’attendais à danser, mais ce ne fut pas le cas. Lors de cette séance, Pablo Luis Rivera, responsable de l’association, nous réunit tous et commençait alors un grand débat sur ce qu’était la Bomba, son histoire, sa place dans la société, sa marginalisation au fil de l’histoire...

La Bomba est née dans les plantations, où étaient réunis des africains d’origines variées, déportés sur l’Île et réduits en esclavage. Ils arrivèrent chacun avec leur langue, leur histoire, leurs traditions et leurs croyances. Pour les rendre dociles, les colons essayèrent d’effacer leur identité, par assimilation forcée de la culture colonisatrice. Au sein des plantations, le tambour prit un peu la fonction d’une nouvelle langue de communication. Ce fut d’abord un moyen de se ressourcer, de se divertir et de s’exprimer, face aux conditions de vie inhumaines auxquelles ils devaient faire face. La Bomba devint rapidement un moyen pour organiser des soulèvements, des rebellions. Aussi, les Maîtres s’en rendirent compte et la Bomba fut

141 Cf. Annexe n°1 Séminaire des acteurs institutionnels et associatifs de la Guadeloupe sur la coopération

culturelle à partir du Patrimoine Culturel Immatériel, p. 136

142 Avec ‘Los Gigantes de la Bomba’, cf. introduction, p. 4

Plan du chapitre :

1) La culture, facteur de la cohésion sociale...62 2) La définition de l’UNESCO et la Convention de 2003 pour la Sauvegarde du

Patrimoine Culturel Immatériel...64 3) Construire la coopération culturelle à partir du PCI...69 Conclusions...73 Bibliographie...74

63

interdite à maintes reprises. La Bomba était pratiquée à toutes les occasions dans les communautés de nègres libres. Après l’abolition de l’esclavage, les gens organisaient des

bailes de Bomba dans leurs jardins. Mais cette pratique, toujours marginalisée, catégorisée

comme « musique de nègres » et subversive, tombait en décadence dans les années 1940143.

Ces genres ont historiquement été dépréciés par les colons, justement pour leur fort pouvoir de cohésion et donc leur capacité à remettre en cause l’ordre établi. Dans toute la Caraïbe, les populations natives et les africains durent déguiser leurs traditions dans celles de la culture dominante, pour pouvoir faire perdurer une certaine part de leur identité. Ainsi, ces connaissances, rythmes, langues, religions syncrétiques furent transmises oralement de génération en génération, et évoluèrent quasi dans la clandestinité, au fur et à mesure des rencontres des différents peuples habitant aujourd’hui la Caraïbe, pour arriver jusqu’à nous en véritable exemple de résistance culturelle. Ils témoignent de la lutte des ancêtres pour conserver leur histoire, leurs racines, leur identité. Transmettre ces valeurs aujourd’hui, c’est faire prendre conscience des richesses et des erreurs du passé. Longtemps laissés pour compte au niveau de l’éducation, ces connaissances, langues, genres musicaux y ont pourtant toute leur place. Ce sont finalement les meilleurs témoins de l’histoire de la Caraïbe.

Lors de mon immersion avec Los Gigantes de la Bomba, j’ai pu observer en pratique ce fort pouvoir de cohésion abordé par Georges Brédent. C’est en effet une véritable communauté qui s’est créée autour du genre, développant une grande solidarité entre ses membres. Los Gigantes de la Bomba fonctionne comme une grande famille. Il faut voir comment ces personnes s’identifient à la pratique de la Bomba, qui devient alors un mode de vie : on devient «bombero»144. Chacun se sent directement concerné par la valorisation et la

transmission de ces éléments dans la société. La communauté s’organise et construit des projets autour de la Bomba, par exemple pour se rendre à des manifestations aux quatre coins

143 C’est grâce aux efforts des familles « bomberas » comme les Cepada ou les Ayala, à ceux de grandes figures

de la salsa qui inclurent la Bomba dans leurs compositions, comme Rafael Cortijo et Ismaël Rivera, et grâce à un mouvement de réappropriation de la Bomba dans les années 90 que le mouvement de la Bomba est aussi fort aujourd’hui. Pour plus d’information se référer à la thèse de Pablo Luis Rivera, ‘Orígenes Culturales y Desarrollo de la Bomba en Puerto Rico’

144 On peut également utiliser le terme « bombeador » pour ne pas confondre avec le ‘pompier’ (qui se traduit

‘bombero’ en espagnol) (Cf. RIVERA RIVERA, Pablo Luis. Orígenes Culturales y Desarrollo de la Bomba en Puerto

64

de l’île, ou encore les rencontres-discussions avec des porteurs de tradition ou des chercheurs qu’elle organise à chaque fin de mois.

Tout comme la Bomba, d’autres genres musicaux et d’autres aspects de la culture fédèrent des communautés un peu partout dans la Caraïbe. Félix Cotellon soulignait le caractère essentiellement immatériel des cultures caribéennes.145 Il nous faisait effectivement

remarquer que la vie culturelle de la Guadeloupe (et cette réflexion est également valable pour l’ensemble des pays caribéens) est rythmée par un certain nombre de manifestations conviant la population à se réunir autour des traditions : la Toussaint, Noël, Carnaval, Pâques... A chacun de ces temps forts de l’année sont associées un certain nombre de traditions que la population identifie et reconnait comme guadeloupéennes146. Longtemps marginalisés au

sein des nations, ces éléments culturels commencent à être valorisés au point, dans certains cas, d’être maintenant considérés comme « l’âme de la nation »147.

Ainsi, ce que l’on appelait péjorativement folklore, puis culture populaire prend aujourd’hui un nom beaucoup plus valorisant et aujourd’hui de plus en plus répandu dans les vocabulaires : la notion de Patrimoine Culturel Immatériel, institutionnalisée par l’UNESCO en 2003, par la Convention pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel.

2) La définition de l’UNESCO et la Convention de 2003 pour la Sauvegarde du