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PARTIE II : ANALYSE POURQUOI CONSTRUIRE UNE COOPERATION CULTURELLE A PARTIR DU PCI ?

Chapitre 3 : Obstacles et prémisses à la construction d’une identité caribéenne

1) La Caraïbe perçue par ses habitants :

L’Association des Etats de la Caraïbe, pour la construction d’un bloc régional caribéen, suppose dans son ‘projet politique’ l’existence d’une identité culturelle dans la région qu’elle délimite comme la ‘Grande Caraïbe’103. Lorsqu’on interroge ses ressortissants, pourtant, les

limites de cette région, vécues et perçues de l’intérieur, sont toutes autres. Une enquête menée auprès d’étudiants des différentes universités régionales104 montre effectivement des

cartographies très différentes de l’espace caribéen selon la région de provenance des

102 JAFFE, Rivke. Penser la Caraïbe en tant que région. Dans : CRUSE et RHINEY (Eds.) Caribbean Atlas, 2013. 103 Cf. chapitre 1, partie 3.

104 Cet article présente « les visions cartographiques des étudiants de premier cycle de différentes universités

régionales. Les cartes qui sont ici présentées montrent une superposition des dessins de la Caraïbe réalisés par ces étudiants. Les échantillons sont généralement de l'ordre de 50 étudiants. » Dans : CRUSE Romain.

Introduction à la Caraïbe perçue. Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean Atlas, 2013. Plan du chapitre :

1) La Caraïbe perçue par ses habitants...46 2) Eléments de division ‘conspirant’ contre la formation d’une identité caribéenne

promouvant l’intégration dans la Grande Caraïbe...49 3) Des similitudes culturelles évidentes...54 Concusions...58 Bibliographie...59

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étudiants. Pour beaucoup, la Caraïbe se résume à la Caraïbe insulaire ou ethno-historique105.

Les étudiants cubains excluent même souvent les Guyanes de leurs définitions, trop loin de leurs réalités106. Il convient cependant de noter que si la Caraïbe continentale est souvent

absente des représentations données par les étudiants de la Caraïbe insulaire, les étudiants des régions caribéennes des pays continentaux, comme par exemple les étudiants de Carthagène, se considèrent, eux, comme appartenant à l’espace caribéen107.

J’ai pu observer une expérience similaire dans le cours d’Antonio Gatzambide sur

Puerto Rico y el Caribe : pour la première séance, il avait demandé à tous les étudiants de

définir la Caraïbe. Les résultats furent tout aussi divers. Même pour les habitants d’un même pays (mis à part moi, les étudiants étaient tous portoricains), la représentation psychique de l’espace caribéen était très différente, ce qui nous montre bien que la définition de la Caraïbe telle que donnée par l’AEC n’est pas encore bien intégrée dans le subconscient des ressortissants caribéens.

Beaucoup d’hispanophones s’identifient en effet davantage comme « latinos » que comme « caribéens »108. Les anglophones se considèrent caribéens mais peinent parfois à

s’identifier à leurs voisins hispanophones et francophones, leur vision de la caribéanité s’arrêtant souvent aux West Indies. L’enquête menée auprès des étudiants de l’Université des Antilles et de la Guyane montre également que peu de francophones se considèrent pleinement caribéens : « moins d’une personne sur deux se dit caribéen (31% en Guyane, 37% en Martinique et 52% en Guadeloupe) »109 et ceux qui revendiquent une identité plurielle se

sentent en général plus liés à la France qu’au reste de la Caraïbe (« moins de 15% de ces ‘Antillais’ se disent avant tout caribéens »110). « D'après leurs représentations

cartographiques, pourtant, [...] ces étudiants semblent conscients du fait que la Caraïbe les enserre. Mais ils lui tournent le dos. Conscients de différer culturellement grandement des Français de « France » (ou de « Métropole »), ils se trouvent tout aussi en porte-à-faux vis à

105 CRUSE Romain. Introduction à la Caraïbe perçue. Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean Atlas, 2013. 106 Idem

107 Idem

108 CRUSE Romain et Pascal SAFFACHE. Définir les frontières de la Caraïbe : Une Introduction. Dans : CRUSE et

RHINEY (Eds.), Caribbean Atlas, 2013.

109 CRUSE Romain et Ludjy SAMOT. Les "antillais" sont-ils caribéens ? Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean

Atlas, 2013.

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vis du reste de la Caraïbe. Ils sont étrangers aussi bien dans leur environnement national que dans leur environnement régional. Ils ont ainsi récréé une identité particulière qu'ils nomment « Antillaise » et qui est propre à la Martinique et à la Guadeloupe. »111

« Ces ‘Antillais’ considèrent d’ailleurs [également] leurs voisins de Dominique et de Sainte-Lucie comme des étrangers (pas des ‘Antillais’) qu’ils appellent les ‘Anglais’. »112 Peu de

temps en Guadeloupe suffisent également pour comprendre que les ‘Espagnols’ auxquels se réfèrent les Guadeloupéens sont des Dominicains. La même expérience se répète à Puerto Rico où les Guadeloupéens et les Martiniquais ne se font pas appeler ‘Guadalupeños’ o ‘Martiniquenses’ mais ‘Franceses’.

Force est donc de constater que le concept d’une région «Caraïbe» ou «Grande Caraïbe» n’est pas encore perçu ni vécu par la majorité de ses ressortissants et il est encore difficile de parler d’identité caribéenne. Je suis consciente que les étudiants ne représentent qu’une petite part de la population, ce sont néanmoins eux les plus enclins à se reconnaître dans cette identité caribéenne : ils sont en effet plus amenés à se déplacer dans la région (plus de moyens, avec les universités, etc.,) et à entrer en contact avec d’autres caribéens. Si les étudiants n’ont pas encore digéré le concept de « Grande Caraïbe », il y a fort à parier qu’une majeure partie de la population non plus.

La popularisation du concept de ‘Caraïbe’ n’est pas parvenue à effacer les emplois de ‘West Indies’ et d’‘Antilles’, marquant des séparations dans la Caraïbe. Les populations caribéennes entre elles se connaissent finalement très peu et sont plutôt divisées. « L’un des traits le plus évident de la Caraïbe est sa fragmentation. La convergence des pays européens vers le Nouveau Monde à travers les espaces insulaires de son archipel fut accompagnée de modèles de domination qui eurent pour résultat la création de sociétés - aux formes diverses mais d’essence identique – au sein desquelles, entre autres, la langue devint la cause de la suppression de l’instauration de possibles canaux de communication entre les ensembles de populations articulés autour d’un modèle culturel spécifique. Fragmentation linguistique qui persiste comme une barrière aujourd’hui encore. »113 La fragmentation linguistique n’est

111 CRUSE Romain. Introduction à la Caraïbe perçue. Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean Atlas, 2013. 112 CRUSE Romain et Ludjy SAMOT. Les "antillais" sont-ils caribéens ? Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean

Atlas, 2013.

113 CHAILLOUX Laffita Graciella. "La Caraïbe, espace culturel" Dans CRUSE et RHINEY (Eds.), Caribbean Atlas,

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cependant pas le seul obstacle à la construction de cette identité caribéenne. Il convient maintenant d’examiner ces éléments de division d’un peu plus près ; éléments qui devront être surmontés pour réussir une approche réaliste de l’intégration dans le contexte de la réalité hétérogène de la Grande Caraïbe.

2) Eléments de division ‘conspirant’ contre la formation d’une identité caribéenne