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Conclusion du Chapitre 2

Chapitre 3 : Portrait de la communauté nord-africaine en France

2. La scolarité des descendants d’immigrés

2.3. Être « enfant d’immigré maghrébin » : un statut qui induit des risques sur la scolarité

2.3.3. La contribution des caractéristiques individuelles

Deux types de variables propres à l’élève ont été mis en évidence par la littérature : les variables d’appartenance à une catégorie sociale (l’âge, le sexe, la nationalité…) ainsi que les variables individuelles qui correspondent aux représentations sociales, aux sentiments, à la personnalité, à la motivation, au comportement en tant qu’élève, aux difficultés d’apprentissage et/ou aux compétences (Fortin et al., 2013). Afin de comprendre les évolutions de vie et de carrière des sujets et plus précisément pour expliquer l’échec et le décrochage scolaire, Ferreira et al. (2018)

nous invitent à prendre en compte l’interaction dynamique entre les caractéristiques personnelles des individus et les situations au sein desquelles les personnes se développent.

Appartenir au sexe féminin ou masculin est un facteur de risque du décrochage scolaire des élèves issus de l’immigration, car il atténue ou renforce les inégalités de parcours scolaires. Cette affirmation est corroborée par l’enquête internationale sur les acquis scolaires des élèves de 15 ans PISA 2012 (OCDE, 2015)105 qui divulgue qu’en l’espace de dix ans, l’écart de performance scolaire entre les élèves issus de l’immigration et les autochtones s’est creusé. Diverses pistes peuvent être évoquées pour le justifier : le défaut de scolarisation des parents, souvent issus de régions agricoles, pauvres ou n'ayant jamais été scolarisés. Mais dans ce cas, le critère lié à l'origine devrait s'appliquer aux filles comme aux garçons, ce qui n'est pas totalement le cas. Pour rappel, ce n'est que vers la fin des années 80 que les inégalités de sexe ont commencé à susciter un intérêt croissant (Baudelot & Establet, 1992 ; Duru-Bellat, 2004) ; alors même que, dès le début des années 70, les filles avaient rattrapé leur retard scolaire sur les garçons et les avaient même dépassés pour ce qui est du nombre de bacheliers. Dans les années 1990, Vallet et Caille (1996) vont relever que les filles, toutes choses égales par ailleurs, connaissent à l'école primaire de meilleures scolarités que les garçons, mais sans croiser les dimensions sexe et origine nationale. D’autres études - qui quant à elles ont inclus ces deux paramètres - vont à leur tour confirmer que les jeunes femmes issues de l’immigration réussissent globalement mieux à l'école que leurs homologues de sexe masculin (CNESCO, 2015106 ; Lorcerie, 1998). En considérant les enfants d’immigrés âgés de 18 à 35 ans ayant suivi toute leur scolarité en France, nous pouvons noter que les filles avec une ascendance migratoire sont tout autant bachelières que les jeunes femmes de la population majoritaire (62% contre 65%). Cependant, des disparités surgissent entre immigrés, selon leur pays de provenance (Brinbaum, Primon & Moguérou, 2011). Ainsi, trois filles d’immigrés du Sud-Est de l’Asie sur quatre décrochent un bac et un tiers chez les filles issues de l'Afrique subsaharienne, notamment d'Afrique francophone, un score sensiblement identique à la population majoritaire. Mais ce taux est bien plus faible parmi les élèves féminines dont les parents sont venus de Turquie, (38 %) ou d'Algérie (51 %). Terrail (1992) note une connexion entre sexe et origine sociale : selon lui, cette sur-réussite des filles à tous les niveaux, exception

105 Consultable en ligne https://www.oecd.org/fr/education/Les-eleves-immigres-et-lecole-avancer-sur-le-chemin-de-lintegration.pdf

106 Rapport consultable en ligne https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2015/01/CP_Ecole-et-immigration-2201153.pdf

faite des derniers échelons et des voies les plus sélectives de l’enseignement supérieur, est d’autant plus marquée qu’elles proviennent d’un milieu défavorisé. Selon Auduc (2009), l'école joue un rôle émancipateur pour les jeunes filles en les reconnaissant comme étant égales aux garçons, ce qui n'est pas nécessairement le cas au sein de leur famille. Ceci pourrait expliquer un investissement plus élevé de leur part dans le contexte scolaire. Les travaux de Brinbaum et

al., (2011) confirment la relégation des garçons avec ou sans ascendance migratoire dans le système éducatif face à leurs alter ego filles et ce aux différentes étapes du cursus scolaire (CNESCO, 2015 ; Auduc, 2009). En effet, 57 % des garçons de la population majoritaire sont bacheliers (8 points en moins que les filles), mais seuls 48 % des enfants d’immigrés réussissent ce diplôme (13 points en plus pour leurs homologues féminines). Là encore, l'origine importe de manière significative avec 26 % seulement pour ceux dont les parents sont originaires de Turquie, 40 % pour l’Afrique sahélienne ou 41 % pour l’Algérie. Globalement, 55 % des descendants d’immigrés, ou immigrés arrivés avant six ans, sont aujourd’hui bacheliers soit sept points de moins que les adolescents du groupe majoritaire, pour l’obtention de ce diplôme incarnant dans notre société actuelle une norme. Malgré de meilleurs résultats scolaires que la population masculine, les filles s’orientent vers des voies moins sélectives et prestigieuses telles que les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (OCDE, 2012)107. Certaines filières leur apparaissent comme peu compatibles avec l’idée qu’elles ont construit - par transmission d’éléments - de la place et du rôle des femmes dans la société, notamment celui de devenir mère (De Boissieu, 2009 ; Petrovic, 2004a). La reproduction des élites au sein des familles immigrées se perpétue au profit des premiers (Brinbaum et al., 2011).

Outre le sexe, le critère de diplomation associé à l’origine migratoire, expose les élèves descendants d’immigrés à de multiples risques tant d’un point de vue personnel que professionnel. A partir des données issues de l’enquête TeO (2010), Brinbaum et al. (2011) apportent des précisions quant aux niveaux de diplôme des 18-35 ans scolarisés en France et ayant terminé leurs études initiales. En croisant leur analyse et la définition du décrochage scolaire donnée par le MEN depuis 2006, nous pouvons noter qu’il y a plus de jeunes issus de l’immigration en situation de décrochage – dans les faits cela signifie qu’ils n’ont pas atteints le niveau de qualification V ou IV, exigence minimale requise par la loi pour ne pas être comptabilisé comme ayant décroché - par rapport à ceux de la population majoritaire (21% contre 14%). Plus précisément, 13% des descendants d’immigrés sortent du système éducatif

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sans diplôme contre seulement 8% de la population majoritaire. Cependant, ce taux présente de forte variation selon le pays de naissance des parents : principalement élevé pour les descendants d’immigrés originaires de Turquie (27 %), il diminue en restant toutefois conséquent pour ceux issus du Maghreb avec respectivement 18 % pour ceux originaires d’Algérie, 15 % du Maroc et de la Tunisie. Le nombre de descendants d’immigrés d’Europe sans diplôme reste sensiblement proche de celui la population majoritaire. C’est le cas des descendants d’immigrés du Portugal (11%), d’Espagne et d’Italie (9%). En outre, un certain nombre sort du système éducatif avec le Brevet des collèges uniquement : de 5 à 11% en moyenne contre 6% pour les natifs, l’écart le plus important étant avec ceux dont les parents sont nés en Afrique du Nord et en Turquie (5 points de différence). De ces observations, nous en déduisons que 86% des élèves sans ascendance migratoire directe et 79% des descendants d’immigrés ont décroché au minimum un diplôme de niveau III ou IV et ne font donc pas partie de la population qualifiée de « décrocheurs » par la loi. Qu’ils aient ou non une origine migratoire, les élèves ayant été scolarisés en France se distinguent par un taux important d’obtention d’un CAP/BEP ou Baccalauréat puisqu’un élève sur deux a décroché l’un de ces deux diplômes. Cela est certainement l’expression d’une volonté de leur part d’intégrer rapidement le marché du travail mais aussi probablement liée à la fin de l’instruction théoriquement obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans en France.

Concernant les enfants descendants d’immigrés maghrébins, nous avons montré qu’il existait un fossé entre la culture acquise dans la sphère familiale et celle de l’école communément associée aux classes dominantes (Dubet & Martuccelli, 1996). Or, lorsque des individus sont pris entre deux cultures opposées, ils peuvent manifester diverses attitudes : un emprunt des éléments de la seconde culture sans remise en question de la culture d’origine ou à l’inverse un repli sur la culture d’origine (Belgacem, 2012) accompagné d’un rejet de l’école. Cette forme d’opposition peut être interprétée comme de la résistance, mais aussi, tel que le proposent Barrère (2003) ou Van Zanten (2000) comme « une adaptation non consciente à des contextes de scolarisation dévalorisés » (p.378). En effet, ces élèves enclins à travailler au début de leur scolarité finissent par dégrader le climat de classe en pratiquant un « chahut anomique » (Broccolicchi & Oeuvrard, 1993), aboutissement d’une série d’éléments aux effets préjudiciables : l’orientation non choisie, l’effet d’agrégation, la mauvaise relation avec les enseignants, les propos et comportements racistes et/ou discriminatoires. Pour Auduc (2009), ceci est d’autant plus observable chez les garçons issus de l’immigration d’Afrique du Nord dont la posture dominante de « petits rois » dans le milieu familial n’est pas reconnue à l’école.

Ce lieu peut alors devenir propice au développement d’une sous-culture délinquante du fait du décalage perçu par les élèves de milieu populaire entre le discours et la réalité des possibilités qui s’offrent à eux (Esterle-Hedibel, 2006). Ils pensent pouvoir réussir comme les autres alors que l’école contribue à perpétuer les inégalités sociales (Roché, 2001). Face à ce qu’ils perçoivent comme des situations leurrées, d’exclusion ou des pratiques discriminatoires (Mc Andrew, Ephraim, Lemire & Swift, 2004 ; Potvin, Moquet & Jones, 2010 ; Potvin & Leclercq, 2012), génératrices de désillusions et de frustrations, ces jeunes développent des réactions fonctionnant par paires opposées : fierté/révolte (Perroton, 2000 ; Zirotti, 2006), injustice/équité (Mc Andrew, Tardif-Grenier & Audet, 2013) ou encore persévérance/retrait. Les éloignant considérablement des normes scolaires, l’adoption de telles réponses a un réel effet négatif sur la poursuite des études (Beaud, 2002 ; Van Zanten, 2001) avec comme premier signe apparent, l’absentéisme. Or en France, le lien entre absentéisme et délinquance est clairement établi dans les textes officiels : « L’absentéisme scolaire peut être le signe d’un mal-être et d’une situation personnelle, familiale ou sociale fragilisée pouvant conduire, dans les situations les plus graves, à la marginalisation, voire à la délinquance ou la violence. »108 . Pour Becker (1985), l’absentéisme représente une forme de « déviance » au même titre qu’en Angleterre où la question de l’absentéisme scolaire serait étroitement liée à celle de la délinquance juvénile (Blaya & Hayden, 2004). D’après Roché (2001), les élèves peu investis sur le plan scolaire seraient plus exposés à la délinquance, car ils disposeraient de plus de temps pour cela. Cependant, comme le note Esterle-Hedibel (2006) ou Chamboredon (1997) tous les jeunes en échec scolaire ou désinvestis de l’école ne sont pas pour autant délinquants. L’interruption des études sans qualification ne signifie pas qu’un élève va embrasser une carrière de délinquant. De fait, le lien entre dérochage scolaire et délinquance est à relativiser : ceux ayant arrêté leurs études pour des raisons familiales par exemple ne commettent pas nécessairement d’actes délinquants par la suite (Jarjoura, 1993). Douat (2007) ajoute que l’absentéisme est une pratique singulière d’oscillation entre présence et absence, mais qui ne débouche pas nécessairement sur une rupture scolaire précoce. Dans ces conditions, il convient alors d’examiner ces éléments spécifiques aux élèves avec une ascendance migratoire d’Afrique du Nord non comme généralisables à l’ensemble de cette population, mais comme des suppositions de facteurs de risque qui - combinées à d’autres paramètres de leurs contextes de vie - peuvent influer sur leurs trajectoires scolaires allant jusqu’à les inciter à délaisser l’école.

108 Violence en milieu scolaire, lutte contre la violence en milieu scolaire et renforcement des partenariats, Circulaire n° 98-194 du 2 octobre 1998. JO du 11 octobre 1998, hors-série n° 11 du 15 octobre 1998.

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