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Conclusion du Chapitre 2

Chapitre 3 : Portrait de la communauté nord-africaine en France

2. La scolarité des descendants d’immigrés

2.3. Être « enfant d’immigré maghrébin » : un statut qui induit des risques sur la scolarité

2.3.1. L’école, un lieu facilitateur du décrochage scolaire

Si les facteurs personnels et familiaux pèsent, conjointement à d’autres facteurs, sur les processus de décrochage scolaire, bien des auteurs s’interrogent sur le rôle de l’école elle-même dans les arrêts de scolarité.

En 2008, le Haut Conseil de l’éducation définissait le critère d’une orientation réussie : «

permettre à chacun d’exploiter tout son potentiel et de s’insérer professionnellement » (p.9). La finalité de l’orientation serait donc d’être professionnellement inséré sans obligation d’obtenir de diplôme, exigence émanant de l’école pour « diplômer [les élèves] au bon niveau et dans des secteurs qui offrent des débouchés » (p.9). Dardier, Laïb & Robert-Bobée (2013) ont révélé qu’une partie des élèves ayant décroché ont refusé les vœux d’orientation qui leur avaient été proposés essentiellement au moment du passage en seconde ou du choix de la spécialité professionnelle. Ces parcours « contraints » sont souvent à l’origine d’une rupture de

parcours. Ce processus d’orientation - souvent incohérent et brusque - se résume bien souvent à une suite de décisions ponctuelles basées sur les notes obtenues parfois conjuguées au comportement de l’élève pour davantage les légitimées, mais souvent prises sans réel réflexion ni recul, à l’occasion des classes « palier » que sont les classes de troisième, de seconde voire de terminale. Dans ce processus, l’élève et sa famille ne sont pas invités à exprimer leurs points de vue, leurs choix, leurs envies et apparaissent malgré eux comme inactifs, indifférents à cette affection non désirée. L’orientation est encore fréquemment perçue « comme une sanction des résultats scolaires, et non (...) comme la construction du choix d’un parcours de formation » (Cour des comptes, 2012, p.12)102. Le système scolaire français qui se caractérise par une hiérarchie forte entre les différentes voies, propose des orientations par défaut. A l'issue du collège, les descendants d’immigrés sont moins souvent orientés en seconde générale et technologique : 49 % d'entre eux connaissent cette orientation contre 60 % des jeunes dont la famille n'a pas connu l'immigration. Les choix et les décisions d’orientation restent de surcroit fortement associés à l’origine sociale des élèves et au niveau de qualification de leurs parents. La Cour des comptes (2012) relève ainsi : « Un enfant d’ouvrier non qualifié a cinq fois moins de probabilités d’obtenir un baccalauréat général qu’un enfant de cadre, mais en revanche trois fois plus d’obtenir un baccalauréat professionnel, six fois plus d’obtenir un CAP ou un BEP, et neuf fois plus de n’avoir aucun diplôme » (p.132). Les biais sociaux dus aux stratégies et à l’arrière-plan socio-économique des familles ne sont que faiblement corrigés par l’institution scolaire qui se prononce « davantage sur l’adéquation entre le choix de la famille et les capacités de l’élève qu’il ne recherche l’orientation la plus adaptée aux performances scolaires du jeune. » (DEPP, 2013, p.6)103. Une orientation non choisie peut être pénalisante pour l’élève, notamment au moment de son entrée dans la vie professionnelle (Blaya, 2010 ; DEPP, 2013). En effet, le taux d’emploi serait inférieur de 14 à 20 points pour ceux qui n’auraient pas préparé et/ou choisi leur orientation. Les conséquences d’un tel choix dépasseraient donc le cadre scolaire pour s’établir plus largement dans celui de la société. Une orientation subie a un impact sur la scolarité de l’élève et in fine sur son entrée dans la vie active, car au cœur de cet enjeu, se trouve la question de la motivation, nettement affectée dans un processus imposé. Pour les élèves présentant des difficultés scolaires importantes - comme cela est souvent le cas pour ceux issus de l’immigration maghrébine - trois options en matière

102 Cour des comptes, L'orientation à la fin du collège : la diversité des destins scolaires selon les académies, septembre 2012.

103DEPP, Le déroulement de la procédure d'orientation en fin de troisième reste marqué par de fortes disparités scolaires et sociales, note d'information n°13.24, novembre 2013.

d’orientation sont envisageables : le redoublement, le passage en classe supérieure ou l’affectation en classe spécialisée. En France, la filière SEGPA, relevant de l’enseignement spécialisé, est très étanche par rapport au reste du système éducatif. Or, les enfants immigrés sont sur-représentés dans ces classes (Ichou, 2013 ; 2018) avec une probabilité plus élevée de se retrouver scolarisés en classe spécialisée au cours de leur scolarité que ceux de la population majoritaire (Vallet & Caille, 1996) concourant davantage à leur échec qu’à leur réussite scolaire. Bien qu’elles offrent un environnement scolaire adapté et individualisé à ces élèves, ces classes feraient partie des facteurs de risque de décrochage scolaire (Janosz & Leblanc, 1997 ; Rutter, 1983), car elles constituent une certaine forme de ségrégation au sein de la population scolarisée et participent au risque de marginaliser davantage les élèves issus de l’immigration maghrébine, compromettant ainsi leur scolarité et par extension leur intégration sur le marché du travail.

Par ailleurs, le fait pour un élève d’être « à l’heure », « en avance » ou « en retard » conditionne fortement la scolarité des jeunes comme ont pu le montrer Rumberger (1995), Paul et Troncin (2004) ou Blaya et Hayden (2003) pour qui « Le redoublement est une des caractéristiques communes chez les jeunes en désaffiliation scolaire ou en décrochage » (p.14). A partir des panels de 1978 et 1998 portants sur les carrières scolaires des élèves, Caille et Rosenwald (2006) ont pu analyser l’ampleur des évolutions survenues en 20 ans et conclure que les enfants d’immigrés constituent globalement une population fortement exposée au risque d’échec scolaire. Parmi ceux entrés au CP en 1997, seulement 72 % contre 83 % des enfants de familles mixtes et 84 % de ceux de familles non immigrées parviennent à l’heure ou en avance en 6ème. Depuis la rentrée 2018, le recours au maintien dans la même classe doit rester exceptionnelle. Les politiques éducatives visant à limiter les redoublements pendant la scolarité élémentaire ces vingt dernières années ont tout de même permis aux élèves, en particulier les enfants d’immigrés d’en bénéficier. En témoigne l’analyse faite à partir du Panel de 2007 constitué d’élèves du second degré recrutés en septembre 2007 et suivis depuis cette date par la DEPP du MENESR. Cet échantillon comprend 35 000 élèves entrés pour la première fois en 2007 en sixième dans un collège public ou privé de France métropolitaine ou des Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM) dont 3 910 enfants d’immigrés, c’est-à-dire les élèves qui vivent dans une famille dont les deux parents sont immigrés – ils sont eux-mêmes nés étrangers à l’étranger – ou famille monoparentale dont l’unique parent est immigré. Afin d’éviter tout biais, les enfants de familles mixtes ont été exclus du champ du fait de leurs caractéristiques sociales et des comportements scolaires proches de ceux des enfants de familles non immigrées

(Brinbaum & Kieffer, 2009). Les données indiquent que près des trois quarts d’entre eux parviennent aujourd’hui à la classe de sixième sans avoir connu de redoublement dans le primaire. Mais force est de constater que quatre ans plus tard, ils ne sont plus que 49,5% à atteindre la classe de seconde générale et technologique sans avoir redoublé au collège. Les élèves dont les parents sont originaires du Maghreb présentent un risque d’être « en retard » à leur arrivée en 6ème légèrement supérieur à la majeure partie des autres élèves d’immigrés : ils sont 27,8% pour les Algériens, 26,4% pour les Marocains et 30,1% pour les Tunisiens contre 25,2% pour l’ensemble de la population d’immigrés. Le constat est identique lorsque nous comparons l’arrivée en 2nde générale et technologique des élèves issus de l’immigration maghrébine à celle des autres élèves ayant une origine migratoire : la probabilité d’être à l’heure à ce niveau d’étude pour les premiers est inférieure à celle de la moyenne. Ces chiffres restent supérieurs à ceux des élèves étrangers puisque 67,9% d’entre eux n’ont pas connu de redoublement dans le primaire (contre 74,8% pour ceux nés en France) et 41,8% dans le secondaire (contre 49,5%). En revanche, par rapport aux autres élèves, leur réussite est moindre : respectivement 82 % et 57 % de l’ensemble des collégiens du panel 2007 n’ont pas redoublé. Ces redoublements - souvent plus fréquents chez les enfants d’immigrés que la population majoritaire - sont le reflet d’un déficit assez marqué en matière d’acquis cognitifs (Jimerson, Egeland, Sroufe & Carlson, 2000). En effet, nombreux sont ceux possédant des difficultés sur le plan scolaire notamment en français et en mathématiques comme le dévoilent systématiquement les résultats issus des tests PISA. L’examen des niveaux d’acquis dans ces disciplines rendent compte d’inégalités de parcours selon l’existence ou non d’une origine migratoire. Près d’un élève de 15 ans issu de l’immigration sur deux (46%) n’atteint pas le niveau 2 en mathématiques - niveau auquel ils sont déjà considérés en difficulté sévère - et connaît donc des difficultés qui entravent ses chances de poursuivre des études et de s’insérer dans la vie professionnelle. Par rapport aux collégiens issus de familles non immigrées, les écoliers dont les parents sont immigrés réussissent neuf items de moins sur 100 en français et 11 de moins en mathématiques à l’évaluation nationale de 6ème. Plus exactement, un peu plus d’un tiers seulement des enfants d’immigrés obtient un score égal ou supérieur à la médiane à l’évaluation nationale à l’entrée en sixième, (36,6% en français et 35,1% en mathématiques). Si nous nous en référons à la définition de la médiane, ces élèves font donc partie des 50 % de collégiens qui réussissent le mieux dans ces deux disciplines. Les descendants d’immigrés du Maghreb ont globalement des résultats inférieurs à ceux des autres enfants ayant également une origine migratoire. Ceux dont les parents sont de Tunisie obtiennent de meilleurs résultats à l’examen d’entrée en 6ème que leurs pairs dont les parents viennent d’Algérie ou du Maroc en

français. Néanmoins, cet avantage se perd complètement quatre ans plus tard avec pour les premiers une baisse nette de leur niveau d’acquis dans cette discipline (-5 points) et à contrario

une hausse pour les enfants d’immigrés Algériens. En ce qui concerne les mathématiques, le constat est le même : les scores obtenus en début de collège par les enfants de toute ascendance migratoire confondue sont supérieurs à ceux du Maghreb (35,1% contre 31,3%). En fin de collège, le retard dans cette matière persiste pour redescendre à 29,6% pour les descendants d’immigrés Maghrébins contre 31,6% de l’ensemble de la population scolarisée ayant des parents immigrés. Parmi les élèves entrés en sixième en 1995, seulement 22 % d'entre eux obtiennent le baccalauréat général et technologique sans avoir redoublés contre 32 % des jeunes de familles non immigrées.

Souvent invoquée par les décrocheurs, la mauvaise relation avec l’établissement participerait au processus de décrochage scolaire (Potvin, Paradis & Pouliot, 2000). Plus qu’une question de culture ou d’origine, la qualité des relations avec le personnel enseignant et les élèves issus de l’immigration est l’un des éléments les plus souvent cités comme déterminant des trajectoires scolaires de ces élèves (Mc Andrew, Tardif-Grenier & Audet, 2013). Plusieurs études majoritairement québécoises (Potvin & Leclercq, 2012 ; Vatz Laaroussi, Kanouté & Rachédi, 2008) renseignent sur les perceptions d’élèves en situation d’échec ou en décrochage et mettent en exergue que les élèves avaient le sentiment que les professeurs étaient peu disponibles, se souciaient peu de leurs progrès et avaient des attentes inferieures à leur égard, ce qu’indiquent précisément les travaux de recherche de Blaya, Gilles, Plunus et Tièche-Christinat (2011) portant sur le poids des facteurs scolaires dans le processus de décrochage scolaire : « Le sentiment que les enseignants ne sont pas suffisamment à l’écoute, qu’ils sont peu aidants, le manque de confiance en leurs capacités d’innovations pédagogiques sont autant d’éléments qui distinguent les élèves qui sont à risque de décrochage » (p.232). Qribi (2016) tend pour sa part à montrer que le relationnel noué avec l’enseignant, les interactions avec les pairs ainsi que la dynamique et l’ambiance d’établissement sont des éléments décisifs affectant l’expérience scolaire de lycéens descendants d’immigrés maghrébins. Son étude a révélé qu’un élève sur deux se sentait considéré par son enseignant comme plutôt mauvais élève ou élève moyen. Or, l’enseignant est le plus en mesure de créer les situations ou contextes les plus favorables pour la performance de ses élèves (Duru-Bellat, 2002) comme ont pu le démontrer Rosenthal et Jacobson (1968) avec l’« effet Pygmalion », prophétie auto-réalisatrice qui suggère que le comportement d’une personne peut être influencé par ce que son entourage pense et attend d’elle (ou la façon dont elle-même se perçoit). Dans les faits, les élèves concernés se retrouvent

enfermés dans le jugement négatif dont ils pensent être l’objet tout en accentuant les traits (Palmer & Humphrey, 1990). A terme, ces « prédictions » produisent une détérioration de l’image de soi de ces élèves (Walgrave, 1992, p.43) qui répondront à cette « injonction » en abandonnant le système scolaire (Esterle-Hedibel, 2007, p.164). Le regard de l’enseignant - qu’il soit positif ou négatif - affecterait donc la relation pédagogique et le rapport aux apprentissages et plus globalement l’intérêt porté pour une matière (Dubet & Martuccelli, 1996). Par ailleurs, Qribi (2016) révèle qu’un nombre préoccupant d’élèves de familles immigrées (estimé entre 26% et 38%) a également vécu une expérience de discrimination ethno-raciale. Cette « vérité » rend compte de la porosité de l’école face aux logiques de fonctionnement de la société dans laquelle elle s’inscrit puisqu’elle-même n’est pas à l’abri de pratiques discriminatoires. La question de l’origine ethnique semble poser problème dans le système éducatif français, constat soutenu par les travaux de Zéphir (2007) qui évoque le racisme des professeurs dénoncé par des élèves orientés vers des filières dévalorisées. La qualité de la relation enseignant-élève, du fait des attitudes et des comportements qui peuvent en résulter, contribue à favoriser ou non la réussite scolaire des jeunes (Fortin et al., 2004) et influence la façon dont les élèves perçoivent l’établissement scolaire et l’école (Blaya & Hayden, 2003).

Le contexte social et la composition ethnique des établissements sont peu interrogés au regard de la progression des élèves (Duru-Bellat, 2003) alors même que les travaux s’y intéressant mettent en exergue leurs influences sur les apprentissages ainsi que les inégalités entre élèves. Felouzis et Perroton (2007) rappellent que la sociologie de l’éducation anglo-saxonne - qui aborde ce sujet par l’emploi du terme school mix - a largement contribué à montrer de quelle manière ces variables se révèlent décisives pour saisir des situations entre élèves qui au départ sont identiques, mais arborent des différences à l’arrivée. Plus prégnant pour les élèves de milieu défavorisés, ce constat a également été mis en évidence par Coleman, Campbelle, Hobson, MPartland, Mood, Weinfeld et York (1966) : « Les caractéristiques des autres élèves rendent compte de plus de variations dans la réussite des élèves issus des minorités que n’importe quelle caractéristique des équipements scolaires et un peu plus que les attitudes du corps enseignant » (p. 303 cités par Cherkaoui, 1979, p. 60). Les conclusions de Mayeske, Wisler, Beaton, Weinfeld, Cohen, Okada, Proshek et Tae (1972) qui analysent plus finement les données précédemment produites conduisent à ne pas négliger les effets d’agrégation qui correspondent à la somme des actions individuelles, qui par agglomération, deviennent des effets émergents (ou systèmes d’action). Adaptée au contexte scolaire par Monseur et Crahay

(2008), cette expression désigne les effets spécifiques produits sur les performances scolaires par le regroupement d’élèves d’une même catégorie sociale ou ethnique au sein d’un même établissement. Pour ces auteurs, l’affectation des élèves dans les écoles ne relève donc en rien du hasard : les enfants des familles de statut socio-économique supérieur fréquentent les meilleures écoles et celles-ci sont meilleures parce qu’elles sont précisément fréquentées par des élèves issus de milieu aisé. Ce qui laisse entendre qu’à l’inverse ceux provenant de familles ayant un statut socio-économique bas fréquentent les moins bonnes écoles et que réciproquement ces établissements sont les moins bons parce qu’ils accueillent les élèves possédant cette spécificité commune. Il est important de souligner que le contexte de scolarisation - défini par une pluralité d’éléments - s’inscrit avant tout dans un contexte social lui-même déterminé par les caractéristiques des élèves (Duru-Bellat, 2002). Par cette reconnaissance, il s’agit de prendre en considération le fait que les classes sont contenues dans une structure plus vaste qu’est l’école, elle-même nichée dans un périmètre social plus large, que ce soit la communauté, le quartier, la ville, le village ou le pays (Teddle & Reynolds, 2000 ; Pons, 2011). Le phénomène d’agrégation toucherait de nombreux systèmes éducatifs (Husén, 1975 ; Keeves, 1992 ; Vandenberghe, 2001) avec toutefois des conséquences variables selon les pays (Crahay & Monseur, 2006). Provenir d’un milieu social défavorisé (Battin-Pearson et

al., 2000 ; Zvoch, 2009) et/ou appartenir à une minorité visible (Dalton, Glennie & Ingels, 2009) - catégories dont font partie les élèves issus de l’immigration maghrébine - augmenteraient ainsi le risque d’abandonner les études.

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