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Conclusion du Chapitre 2

Chapitre 3 : Portrait de la communauté nord-africaine en France

2. La scolarité des descendants d’immigrés

2.1. L’origine des élèves, une controverse surexploitée

Apparus à la fin des années 1960, les premiers travaux ont d’abord considéré l’échec des enfants de migrants comme « naturel » et non « contradictoire » au regard de la manière dont ce public était représenté : ils sont marqués d’une différence d’appartenance culturelle établie sur des critères ostentatoires - la couleur de peau, le nom, l’ethnie d’origine - qu’il est impossible de ne pas les voir. Pour Chomentowski (2009) « L’enfant, bien qu’élève de notre école est d’abord l’enfant d’une famille et d’une culture » (p.100). De ce point de vue, ressort l’idée que cette frange de la population scolarisée était pourvue d'un certain nombre de caractéristiques prétendues, ancrées et préalables à l’entrée à l’école : autrement dit, la culture. Par culture, nous reprenons la définition donnée par Moro (2002) : « La culture devient ainsi un ensemble dynamique de représentations mobiles, en continuelle transformation, s’emboîtant les unes dans les autres ; un système ouvert et cohérent avec lequel le sujet est en constante interaction. À cette dimension de l’appartenance culturelle, il faut adjoindre la dynamique de l’événement migratoire, ses conséquences potentiellement traumatiques pour l’individu et, toujours,

l’acculturation secondaire à cette migration. » (p.160). Elle constitue donc une frontière, une délimitation entre le « dedans » et le « dehors ». Les enfants dont les parents ont migré sont porteurs d’une double identité avec laquelle ils ont la nécessité de négocier : celle de leur identité la plus ancienne et celle de leur identité de Français. Selon Moro (1998), les enfants de migrants ont « à reconstituer seul, en l’espace de quelques années ce que des générations ont lentement élaboré et transmis. » (p.15). L’origine de ces enfants était fortement peinte comme une entrave à leur scolarisation : il s’agissait avant tout de leur échec, « comme s’il y avait un lien de causalité entre l’appartenance des enfants à des familles immigrées et l’échec scolaire

» (Zeroulou 1993, p.142). Le paradigme du « handicap socio-culturel » va venir étayer ce point de vue en postulant que la réussite des élèves est déterminée par la culture de la famille. Les enfants des classes plus aisées ayant un capital culturel plus proche de celui véhiculé par l'école accèdent plus facilement aux valeurs scolaires (Bourdieu, 1966). A contrario, les enfants des classes populaires - dont est issue la quasi-totalité des enfants descendants d’immigrés - manquent de moyens culturels, de conditions de vie correctes ce qui les désavantagerait à l’école, car ils ne sont pas en mesure de répondre aux exigences de la culture scolaire. Ogbu (1978) propose trois manières de théoriser ce paradigme comme suit :

Ø La théorie de la « déprivation » est ce qui manque à l'enfant ou à l'adolescent pour réussir sur le plan scolaire.

Ø La théorie du conflit culturel représente le désavantage subit par l’élève lorsque sa culture familiale ne s'accorde pas à celle supposée nécessaire pour réussir à l'école.

Ø La théorie de la déficience institutionnelle symbolise le désavantage produit par l'institution scolaire dans sa façon de traiter l'élève qui provient d'un milieu populaire ou d'une culture différente.

Les enfants de familles immigrées - sous prétexte qu’ils sont nés en France - sont considérés par l’école comme locuteurs natifs et détenteurs des mêmes compétences et savoirs de la langue française que leurs pairs dont le français est réellement la langue maternelle (Chomentowski, 2008). Cependant, la possession de ce « droit du sol » ne suffit pas à elle-seule à une attribution « naturelle » de la langue française à ces élèves comme langue première. « Bien des élèves poussent pour la première fois la porte de l’école avec un bagage linguistique aussi léger que désordonné. » (Bentolila, 2007, p.9). Pour accéder à la norme, les élèves devront abandonner en grande partie leur langue maternelle, cette langue relevant de la sphère privée, de l’intime, pour laisser place à la langue publique, scolaire. Le fait de parler une langue autre que celle employée par la population majoritaire - les enfants sans ascendance migratoire directe - à

l’école peut être considéré comme un handicap, un frein aux apprentissages. D’après Zirotti (2006), « Le prestige de la langue est lié au statut du groupe qui la porte ; de ce point de vue, un premier clivage oppose immigrations européennes et non européennes, l’italien, le portugais et l’espagnol, langues valorisées, à l’arabe et au turc, par exemple » (p.75). Certaines langues comme l’anglais ou l’allemand représenteraient donc une plus-value aux yeux de l’institution scolaire quand d’autres - l’arabe par exemple - seraient perçues au contraire comme génératrices de difficultés pour les élèves. La distance entre ces deux milieux - école et maison - constitue l’une des valeurs prédictives de réussite ou d’échec scolaire. Les travaux de Boulot et Boyzon-Fradet (1984) vont montrer, à classe sociale identique, des résultats scolaires similaires entre élèves d’origine étrangère et français d’origine. De vives critiques vont remettre en question le concept de handicap socioculturel – entre autres sa vision trop réductrice et pas assez globalisante empêchant une réelle prise charge d’autres types de problèmes - puis laisser place à une série de recherches allant à contre-courant de celles précédemment menées sur ce thème dans le but de dévoiler une image plus positive de l’immigration. C’est dans ce contexte qu’émergent les travaux de Zeroulou (1985) qui, à partir d’une comparaison de deux groupes originaires d’Algérie, va révéler des « réussites paradoxales » d’une partie des élèves. De son analyse portant sur des entretiens avec 26 familles immigrées, Lahire (1995) va parler de « belles réussites ». Les nombreuses recherches ayant pour objet le couple immigration/école traité à travers la réfraction de la réussite (Charlot, Bautier & Rochex, 1992 ; Laacher, 1990 ; Santelli, 2001) vont avoir pour conséquence d’entrainer un inversement de l’effet d’origine. Les théories sur les enfants de migrants vont alors être généralisées et la migration présentée comme « un facteur de réussite » et comme « une chance contre l’échec scolaire » (Laurens, 1995) pour cette population scolarisée. Dans la poursuite de cette lignée, l’enquête de Vallet et Caille (1996) va conclure que les enfants d’immigrés ont un parcours scolaire moins favorable que celui de la population majoritaire, mais que ce constat s’inverse « toutes choses égales par ailleurs ». A la fin du collège, les élèves avec ascendance migratoire auraient une probabilité plus élevée que leurs camarades français d’accéder à une seconde générale ou technologique. Au-delà d’une volonté de donner une image positive de l’immigration, ces résultats vont également être utilisés à des fins politiques avec pour objectif d’éviter de porter toute accusation de discrimination de la part de l’école en lui assénant au contraire une représentation de « fabrique » facilitatrice de la scolarité de ces élèves : ainsi « l'école intègre et ne discrimine pas » (Richard, 1999)99. Malgré ce basculement, les conclusions des travaux menés ces

dernières années génèrent un sentiment de répétition et stagnation en partie dû à une faible variation des angles choisis pour traiter la question de l’origine des enfants d’immigrés dans le contexte scolaire (Payet, 1995).

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