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appréhender la réalité

4. La discrimination : un passage à l’acte

Les premières recherches sur le thème de la discrimination ont été développés à l’issue de la seconde guerre mondiale ainsi que dans la période post-colonialiste avec pour objectif de mieux comprendre le foisonnement des thèses racistes et antisémites (Allport, 1954 ; Levi-Strauss, 1952). À cette période, les débats étaient nettement orientés vers l’étude de la discrimination en lien avec l’appartenance ethnique, raciale et culturelle. Étymologiquement, le mot « discrimination » indique le fait d’établir une séparation ou une distinction entre les personnes et de les traiter différemment ; crimen en latin faisant référence au point de séparation : il est par conséquent neutre à l’origine. Il prend une connotation péjorative lorsque ce traitement est injuste ou illégitime. Sur le plan juridique, une discrimination se définit comme une distinction de droit ou de fait entre individus ou groupes aboutissant à une inégalité (Soulier, 1993). Cette atteinte de la norme d’égalité (Bereni & Chappe, 2011) est au cœur du rapport produit par le Haut Conseil à l’Intégration en 1998 qui pour la première fois reconnaît l’existence des discriminations liées aux origines. D’après ce rapport, la discrimination est entendue comme «

toute action ou attitude qui conduit, à situation de départ identique, à un traitement défavorable de personnes du fait de leur nationalité, origine, couleur de peau ou religion, qu’une intention discriminante soit, ou non, à l’origine de cette situation » (p.10). Il s’agit d’un tournant dans l’expérience discriminatoire que peuvent vivre les immigrés puisque désormais les difficultés pouvant en découler ne sont plus considérées comme relevant d’un « problème d’intégration », mais du fonctionnement structurel de la société française (Fassin & Fassin, 2006). Dans la littérature scientifique, notamment dans le rapport sur les mobilités sociales produite par Dhume

et Hamdani (2043), la discrimination est définie comme étant « un processus sociopolitique par lequel l’on traite en pratique différemment et inégalement les personnes vues comme membres de groupes moins légitimes ou de moindre qualité sociale et politique. » (p.11) ou peut aussi être entendu comme le fait pour tout individu de ne pas pouvoir accéder à un bien, un service ou un espace en raison de son appartenance à un groupe stigmatisé (De Rudder, 1995 ; Lochak, 2004). La différentiation des groupes induit des rapports de force, des pressions sociales qui entretiennent les actes discriminatoires afin qu’un groupe puisse préserver une position dominante par rapport à un autre qui lui sera maintenu en position subalterne (Sidanius & Pratto, 1999) ce que confirme également Ben Ayed (2011) : « La discrimination désigne une opération de séparation volontaire d’un groupe de personnes en fonction d’un attribut spécifique en vue de lui appliquer un traitement inférieur ou d’entraver son accès à différents biens, services, espaces, statuts ou droits. À ce titre, les discriminations sont aussi l’expression d’une domination ; cumulées, elles produisent des inégalités » (p.66). Outre le fait d’être une dévalorisation sociale, les discriminations sont des actes en chaîne qui s’inscrivent dans un temps et une société donnée et (co)produites par des acteurs individuellement ou collectivement, consciemment ou non. Établir une discrimination suppose trois conditions : c’est un acte ou un processus de traitement différencié qui est basé sur un critère prohibé77 par la loi dans le domaine de l’emploi, du logement, de l’éducation et de l’accès aux biens et services. Les critères prohibés par la loi s’inscrivent à un même niveau de traitement alors même qu’ils sont de nature différente (donnée immuable/comportement social) ce qui nous amène à nous interroger sur leur sélection.

En droit français78 et européen,79 mais aussi du point de vue de la sociologie, la discrimination peut revêtir de multiples formes. Elle peut tout d’abord être directe. Il s’agit d’une situation dans laquelle les critères de discrimination prohibés sont avérés : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de

77Ces critères prohibés par la loi - au nombre de 20 - sont : l’âge, l’apparence physique, l’appartenance ou non à une ethnie, l’appartenance ou non à une nation, l’appartenance ou non à une race, l’appartenance ou non à une religion déterminée, l’état de santé, l’identité sexuelle, l’orientation sexuelle, la grossesse, la situation de famille, le handicap, le patronyme, le sexe, les activités syndicales, les caractéristiques génétiques, les mœurs, les opinions politiques, l’origine et le lieu de résidence. La Commission Européenne inclut dans les discriminations ce qui relève du harcèlement et de l’injonction à pratiquer la discrimination (Deubel, 2013), dans le but d’offrir une protection plus étendue aux individus.

78Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le

domaine de la lutte contre les discriminations, consultable en ligne

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000034110511/2017-03-02/#LEGIARTI000034110511 79Directive 2000/43/CE, consultable en ligne https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000330443

sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable ». Par exemple, le refus de location opposé à une personne pour un motif avoué ou non, (l’origine sociale ou ethnique par exemple) et se fondant sur un critère interdit par la loi, constitue une discrimination au logement. Lorsque les effets globaux d’une situation sont discriminatoires sans que l’on puisse attribuer spécifiquement cette différenciation de traitement à un groupe ethno-racial (Safi, 2013), on parle de discrimination indirecte. La loi considère que « constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entrainer, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés »80. Il peut s’agir par exemple d’une société qui, sans refuser de candidatures féminines, ne s’équipe pas pour autant de vestiaires exclusivement pour elles. Les discriminations indirectes sont nombreuses et plus difficiles à prouver. Parmi cette grande diversité, une troisième catégorie se distingue : la discrimination systémique. Rebeyrol (2010) la considère comme « un processus qui met en jeu un système d’acteurs dans lequel personne ne manifeste directement d’intention discriminatoire, mais dont le résultat sera de produire une situation de discrimination » (p.5). Dit autrement, cette perception de la discrimination s’émancipe d’une certaine manière de l’interconnexion entre les préjugés et l’acte discriminatoire (Bonilla-Silva, 1997 ; Safi, 2013). Un règlement qui préciserait qu'une personne ne peut exercer les fonctions de pompier à moins de mesurer 1,80m constituerait une mesure discriminatoire envers la majorité des femmes et relèverait par conséquent pleinement de cette catégorie. Lippert-Rasmussen (2006) interroge le champ de l’acceptable (ou pas) d’un point de vue moral en prenant pour base les caractéristiques relatives à l’âge, au sexe et à la race ce qui le conduit à définir deux catégories : les p-based discriminations (age-based, sex-based, race-based discriminations) sont moralement acceptables dans la mesure où la volonté n’est pas de porter préjudice à telle ou telle catégorie. C’est le cas lorsque des femmes sont embauchées à un poste de surveillant dans une prison de femmes par exemple. Les p-ist discriminations

(racist, sexist, ageist discriminations) sont à contrario moralement inacceptables, car elles ont pour but de catégoriser les individus pour établir des droits différents. Dans les deux cas,

l’auteur estime qu’elles ont des conséquences néfastes pour les personnes discriminées. Wieviorka (2016) fait une distinction entre marginalité subie et choisie : dans le premier cas, elle est la conséquence de logiques de domination, d’exclusion, poussant certains groupes hors de la vie en société. Les individus n’y ont pas leur place, se heurtent à des barrières, sont enfermés dans des rôles aux effets limités. D’après ce chercheur, il existe également une marginalité « choisie » qui correspond à la formation de groupes pour des raisons religieuses, politiques ou encore économiques avec pour volonté la constitution de communautés solidaires face à la domination et à la société « classique ». La dénomination de cette catégorie peut être remise en question dans la mesure où elle ne décrit pas la réalité : ce choix reste contraint par les rapports de domination. Enfin, Feagin (1991) propose de classer en cinq catégories les discriminations selon les comportements des individus par ordre croissant d'intensité.

Tableau 1: Typologie des comportements discriminatoires selon leur niveau d’intensité

Niveau d’intensité

Type de discrimination

Exemple

Niveau 1 Évitement Changer de place dans un bus pour ne pas être assis à côté de certaines personnes

Niveau 2 Rejet Ne pas servir une personne dans un restaurant du fait de sa couleur de peau

Niveau 3 Attaques verbales Proférer des insultes à caractère raciste, sexiste ou homophobe

Niveau 4 Persécutions Contrôler de façon récurrentes l’identité d’une frange de la population

Niveau 5 Attaques physiques Agresser physiquement les membres d’un groupe identifié

Outre son contenu, l’intérêt de cette classification réside dans le rapport qui se joue entre l’auteur et la victime de discrimination. Dans les cas d’évitement, il n’y a pas de confrontation entre les deux acteurs, c’est l’auteur qui s’adapte à la situation au regard de ses choix. Dans le niveau supérieur, le rejet, l’acte discriminatoire est plus difficilement repérable, car la personne discriminée l’est, mais de façon plus sournoise. Quant aux trois derniers niveaux qui regroupent les attaques verbales, les persécutions et les attaques physiques, les comportements discriminatoires sont explicites, visibles et directement orientés vers les individus discriminés. Les discriminations nécessitent une vigilance permanente, car elles sont susceptibles d’être nuisibles à un niveau macro, micro et méso en raison de la pluralité de ses manifestations visibles et/ou invisibles et intensités plus ou moins fortes.

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