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La connaissance humaine des intelligences supérieures

6. Analyse et jugement

1.3. La connaissance humaine des intelligences supérieures

Ayant touché superficiellement, dans les deux dernières sections, au mode de connaissance humaine de Dieu et des anges, nous allons le présenter ici clairement. Tout d’abord, Thomas n’est pas en accord avec Averroès111 qui allègue que l’homme peut connaître les intelligences qui lui sont supérieures par le biais d’un intellect agent unique fournissant tous les hommes en espèces intelligibles. Dans la réponse du premier article de la question 88, Thomas donne six arguments en sa faveur:

(1) Toute chose agit selon qu’elle est en acte. Suivant cela, il faut qu’en l’intellect humain même quelque chose soit mis en acte par la forme qu’il reçoit d’un intellect agent séparé, ce qui prouve qu’un intellect est bien en acte à l’intérieur de l’homme lorsqu’il intellige.

                                                                                                               

108 ST, 1, q. 87, a. 1 co., p. III.

109 ST, 1, q. 55, a. 2, co. Tous ne connaissent pas les mêmes espèces parce qu’ils sont tous d’un mode d’être

unique et ne connaissent donc que la ou les espèces intelligibles qui leur sont proportionnées selon la noblesse et la quantité.

110 DV, q. 8, a.10, co.

(2) Même si un intellect agent séparé existait, ce n’est pas sa substance qui serait unie à nous, mais sa lumière qui nous permettrait de voir les choses intelligibles, ainsi que le fait le soleil pour que nos yeux voient la couleur.

(3) Suivant que les philosophes, croyant en un intellect agent séparé, croient aussi que tous les intelligibles peuvent être octroyés aux hommes par lui, Thomas affirme que ces intelligibles sont relatifs aux choses matérielles, par lesquelles nous ne pouvons connaître les substances séparées.

(4) À la suite du troisième argument, puisque l’homme ne peut à peine arriver à intelliger toutes les choses matérielles dans une vie, ce qui représente la félicité selon les philosophes susmentionnés, il en résulterait qu’un nombre restreint d’individus parviendraient à réaliser la fin de leur espèce, ce qui serait inconvenant.

(5) Aristote pose, dans le premier livre de l’Éthique, que la félicité est une opération selon la parfaite vertu, c’est-à-dire selon la connaissance des intelligibles les plus nobles. C’est donc que la connaissance des substances séparées, intelligibles les plus nobles, s’acquiert par la pratique des sciences spéculatives.

(6) Les substances immatérielles ne peuvent être connues en elles-mêmes puisque l’intellect agent, qui s’étend activement vers les choses matérielles, est une faculté de l’âme humaine et non une substance séparée.

En somme, le premier article de la question 88 vise à faire voir que la seule connaissance que l’âme humaine unie au corps puisse avoir des substances séparées est celle qu’elle est à même d’acquérir à l’aide de concepts obtenus par inférence à partir de ce qu’elle connaît de son propre esprit, procédé avec lequel nous nous sommes familiarisée en traitant de l’auto-connaissance par analyse abstraite. Thomas tient à montrer que les substances séparées

ne sont pas proportionnées à l’intellect humain, car ce dernier est fait pour intelliger directement les choses matérielles. L’homme n’en a donc qu’une connaissance abstraite ou indirecte. Mais parce qu’elles ont un certain commun avec l’homme, il peut en connaître une certaine portion, à savoir qu’elles sont des intelligences pures subsistant par elles-mêmes.

L’article 2 présente la culmination d’une argumentation très riche. Thomas donne ici quatre arguments pour justifier que l’intellect humain ne puisse connaître parfaitement les substances séparées à partir des choses matérielles qu’il peut connaître parfaitement:

(1) Bien qu’une certaine immatérialité puisse être saisie à partir de l’abstraction des choses matérielles, l’intellect humain abstrayant à l’infini n’atteindrait jamais les substances séparées elles-mêmes, puisqu’elles diffèrent des choses matérielles quant à leur nature.

(2) L’intellect humain peut saisir quelque chose des substances séparées parce qu’il partage avec elles de différer de son être, trait commun appartenant au genre logique.

(3) Les méthodes de la distance et de la négation des propriétés des corps inférieurs peuvent être utilisées pour supposer les natures des choses incorporelles et ainsi constituer une science de ces choses.

(4) Que l’âme humaine puisse se connaître elle-même parfaitement, étant immatérielle, n’est pas un argument pour soutenir qu’elle puisse connaître parfaitement toutes les choses immatérielles. Il est dans sa nature de connaître son acte d’intellection, qui est son opération propre, tandis que son intellect n’est pas proportionné à la connaissance des choses immatérielles. Qu’elle soit présente à elle-même est plutôt un contre-argument à la possibilité de connaissance des substances séparées, puisque celles-ci ne sont pas présentes à l’homme.

En définitive, bien qu’elles partagent le même genre logique, les substances matérielles et immatérielles ne partagent pas le même genre naturel. Il est impossible pour les

premières de connaître les deuxièmes parfaitement. Toutefois, comme l’intellect humain peut poser ce qui est supérieur à lui grâce au raisonnement et à la méthode de négation, il peut avoir une connaissance abstraite, imparfaite et indirecte des substances séparées.

1.4. La connaissance humaine de Dieu

Il découle de ce que nous venons de voir que l’intellect divin n’a pas de genre. Parce qu’il ne possède aucun genre naturel ou logique, Dieu n’a rien en commun avec aucune autre intelligence et ne présente donc aucune emprise à celle-ci pour qu’elle l’atteigne. D’après les conclusions auxquelles nous venons d’arriver et par les mêmes arguments, il n’est pas davantage possible de connaître Dieu, la substance incréée. Cependant, l’article 3 donne trois pistes quant à la possibilité d’une connaissance de l’intellect divin, c’est-à-dire qu’elle est possible, mais que Dieu n’est pas ce qui est d’abord connu par nous:

(1) Parce que la lumière de l’intellect humain est une impression de la vérité première, lumière divine, par laquelle nous intelligeons toutes choses, Dieu n’est pas premièrement ce qui est intelligé par nous, mais ce par quoi nous intelligeons.

(2) Dieu est la première cause de notre faculté cognitive, mais pas le premier objet connu. (3) Une image de Dieu est présente en nous, mais son imperfection est telle que ce n’est pas ce que l’on intellige premièrement.

De ces pistes, nous pouvons déduire que Dieu est ce qui est secondairement connu par nous. Mais nous poserons plus loin qu’il est ce qui est connu troisièmement puisque l’homme connaît d’abord les choses matérielles, puis lui-même et finalement Dieu. Donc, l’intellect