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1.2. Visualiser l’information

1.2.2. La cartographie numérique

Nous avons jusqu'à présent défini les principes de la cartographie et ses différences avec une visualisation de données5, ainsi que son rapport à l'espace. Quelles évolutions de ses propriétés sont amenées par le langage numérique ?

Au cours de notre voyage dans l'histoire de la carte, nous avons identifié plusieurs principes, qui demeurent présents au sein de la cartographie numérique. Si les techniques de production de la carte, notamment au niveau de la captation des données, changent à travers le numérique6, les principes assurant l'organisation des informations cartographiées restent constants. Une carte numérique reste composée d'une échelle, d'un système de projection et d'un ensemble de symboles graphiques. Quels sont dès lors les apports du numérique ?

Selon Pierre Lévy : « numériser une information consiste à la traduire en nombres » [Lévy, 1997, p.59]. Ainsi, la traduction d'un grand nombre d’informations en une série de 0 et de 1 constitue un langage commun permettant de les traiter ensemble. Ce principe a été appliqué à la cartographie depuis de nombreuses années, créant les SIG, « une base de données géoréférencées associée à un logiciel permettant son interrogation » [Poncet, 2004]. Il s'agit ici de transposer les principes de la cartographie au sein de l'ordinateur, afin de bénéficier de ses capacités de traitement. On prendra pour exemple de SIG un logiciel à base cartographique fonctionnant comme aide à la décision en termes d'aménagement du territoire.

5 L’outil de représentation graphique de données numériques a fait l’objet d’une brillante étude par Pierre Lévy dans son livre : L’idéographie dynamique – Vers une imagination artificielle? [Lévy, 1991].

6 Ce travail se situant dans le champ des sciences humaines et sociales, n’allons pas ici détailler les apports du numérique dans les techniques de relevé cartographique du territoire : nous noterons seulement que le traitement automatique de l’information géographique a bouleversé les pratiques traditionnelles de géodésie et de topographie.

Toujours selon Pierre Lévy, « le numérique est une matière, si l'on veut, mais une matière prête à subir toutes les métamorphoses, tous les enveloppements, toutes les déformations » [Lévy, 1990, p.116]. Ainsi, accédant à un langage commun, des informations hétérogènes peuvent être traitées ensemble. Lorsque les images, les sons ou les mots sont constitués en bits, il est alors possible de les modifier et de travailler dessus très facilement.

En rapport à la cartographie, deux conséquences majeures se dégagent de la numérisation. On peut importer des données multimédias au sein des cartes, effectuant ainsi un croisement des informations avec des données purement géographiques. La carte permet de géoréférencer des images, des vidéos, entre autres informations. La facilité de traitement par le numérique se répercute au niveau de la facilité de transmission. Il est désormais très facile à travers le langage numérique de diffuser les données cartographiques sur une multitude de supports. La carte numérique se transmet alors très facilement, sans perte d'énergie ni transformations indésirables, et se prête à toutes sortes de manipulations.

Au-delà de ces propriétés spécifiques au langage numérique, une autre possibilité apparaît à travers la cartographie numérique. Elle acquiert de nouvelles capacités en ayant accès au réseau d'information global. À travers sa connexion à Internet, la cartographie prend place au sein des flux d'informations. Ainsi, reprenant les deux conséquences que nous venons d'énumérer, il est possible d'insérer des données directement issues d'Internet au sein de la carte ; il est de même possible de diffuser des cartes numériques sur le Web. Les deux avantages majeurs sont ici d'accéder à des bases de données disponibles seulement ou beaucoup plus facilement sur le réseau, mais également d'actualiser en temps réel les données affichées. La carte change dès lors de statut : d'une visualisation figée, elle devient un outil dynamique de représentation et de production de données, dont la forme évolue selon les informations qui y sont intégrées.

La cartographie bénéficie ainsi des apports du numérique en termes de capacités de traitement et de diffusion des données. Mais une conceptualisation des divers croisements des propriétés respectives à la

carte et au format numérique est nécessaire pour prendre conscience de la portée de ces transformations : nous allons ici utiliser le concept de virtuel.

Sans revenir sur le débat entre les catégories de l'actuel et du virtuel7, il est important, alors que nous parlons de numérisation, de penser toute carte comme résultant intrinsèquement d'un mouvement de virtualisation. « Est virtuelle une entité « déterritorialisée », capable d'engendrer plusieurs manifestations concrètes en différents moments et lieux déterminés, sans être pour autant attaché elle-même à un endroit ou à un temps particulier » [Lévy, 1997, p.56]. La cartographie contient en elle-même son mouvement de virtualisation : en tant que représentation d'un espace qui ne se confond pas avec sa représentation, de même qu’à travers son référencement par rapport à un espace qui la dépasse, la carte accomplit un mouvement de détachement par rapport à l' « ici et maintenant » de l'espace physique.

À ce premier mouvement vient s'ajouter la virtualisation mise en oeuvre par la numérisation. Celle-ci obéit en effet aux mêmes principes de déterritorialisation et de mise en potentialité, à travers le passage à un langage de traitement commun. Cette virtualisation d'une virtualisation va-t-elle se traduire par une plus grande abstraction de la carte ? Il s'agit davantage de penser ce double mouvement de déterritorialisation comme une augmentation de la complexité dans les manières de penser la relation entre la carte et le territoire.

À travers la numérisation se pose la question du choix de l'espace auquel la carte fait référence. Car si celle-ci se définit d'abord, comme nous l'avons vu, en fonction d'un espace qui la précède et la dépasse, que devient-elle en face des nouveaux espaces créés par les TIC ? Ainsi, l’intérêt de la cartographie numérique réside autant dans ses possibilités techniques que dans la remise en cause du concept d'espace. Quelles sont les nouvelles fonctions que doit remplir la carte pour rendre compte de la virtualisation des espaces dans nos sociétés contemporaines ? Avant de passer au coeur de

7 Une bonne description de ce débat est réalisée par Gilles Deleuze dans son livre Différence et Répétition (PUF, 1968) ; Pierre Lévy développe ces positions dans son livre Qu’est-ce que le virtuel ? (La découverte, 1998).

cette réflexion, nous allons traiter du dernier élément présent au sein de la relation entre espace et représentation : l’individu.