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LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE

3. L’utilité des dispositifs et des événements

Les dispositifs de la R.A.P. peuvent être considérés comme les outils des acteurs pour répondre à leurs objectifs. Mais qu’est-ce qu’un dispositif dans la R.A.P. ? Si nous supposons que les dispositifs sont les outils des chercheurs - puisqu’ils sont les concepteurs et applicateurs de la R.A.P. - quels sont les outils des producteurs et des autres acteurs ? Dans un premier temps, les événements semblent être un outil en réaction aux dispositifs.

La démarche de R.A.P. est, à elle seule, un dispositif de recherche composé de plusieurs outils permettant d’optimiser les interactions et les actions locales pour atteindre des objectifs précis.

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Initialement, le dispositif de recherche est conçu par le chercheur à partir de ses propres représentations et de la programmation qu’il veut entreprendre dans le projet.

La mise en place de ces dispositifs crée une réaction de la part des acteurs concernés par celui-ci. En s’appuyant sur nos entretiens (cf. Annexe I : Questionnaire sur les dispositifs et les événements), nous supposons que ces réactions sont de l’ordre de l’évènementiel, c'est-à-dire

qu’elles surviennent suite à une vision ponctuelle des producteurs sur l’action quotidienne.

La lecture fine des différents dispositifs et événements apparus au cours de l’action du projet, nous permettra à la fois de mieux connaitre les acteurs et leurs intentions profondes, mais aussi, de voir en quoi les dispositifs et les événements créent des apprentissages. L’étude simultanée des dispositifs et des événements permet de relier le volet éthique et opérationnel de la démarche de R.A.P. Ils ponctuent l’histoire de la R.A.P. et permettent de définir un cadre d’analyse de la réalité, en décortiquant leur déroulement respectif.

L’usage sociologique du terme de « dispositif » apparaît dans les années 1970 avec Michel Foucault. Par la suite, les dispositifs sont définis différemment suivant les disciplines, les objets de recherche et leur application sur le terrain. On pourrait dire qu’il y a autant de dispositifs que de situations. Aussi, est-il impossible de donner une seule définition. En revanche, il est possible d’en dégager certaines caractéristiques communes inventoriées par nos prédécesseurs. Le dispositif vise à produire des normes pour la société, et peut être perçu comme un ensemble de moyens mis en œuvre en vue d’une finalité. Il instrumentalise le réel et cherche une certaine efficacité (Peeters et Charlier, 1999). « Un dispositif consiste donc en un cadre artificiel procédant à une mise en forme particulière de la réalité en fonction d'objectifs prédéterminés » (Vandendorpe, 1999 : 199). De plus, il serait toujours l’apanage d’agents ou d’experts chargés de faire fonctionner des ensembles organisés (Peeters et Charlier, 1999).

Michel Foucault (1975) donne un caractère plus dynamique à la notion de dispositif qu’il conçoit comme un « agencement » d’éléments matériels et immatériels servant à planifier un ensemble hétérogène (Beuscart et Peerbaye, 2006). Le dispositif serait donc un processus dynamique où se joueraient des stratégies et des rapports de pouvoir entre les acteurs (Agamben, 2007). La détermination de l’individu retrouve donc sa place dans ce cadre favorisant l’action et le changement (Peeters et Charlier, 1999). S’éloignant des définitions où le dispositif et les agents tirent les ficelles d’une situation en cours, il se définit également comme un cadre facilitant « […] la participation de porteurs d’intérêts de plus en plus diversifiés » (Chia et al., 2008 : 2). Enfin, d’autres auteurs considèrent que le dispositif a pour but de favoriser l’autonomie des acteurs

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(Vandendorpe, 1999 ; Peeters et Charlier, 1999). Le concept de dispositif serait passé d’une définition « hyper-normative » alimentant la dépendance des individus concernés, à une définition inverse, posant l’autonomie de l’acteur comme élément primordial de l’action et de l’innovation. Hugues Peeters et Philippe Charlier (1999) posent en effet que le concept de dispositifs se situe la plupart du temps dans l’entre-deux (op. cit. : 15-22), entre la dépendance et l’autonomie des acteurs, le dispositif et l’événement, le formel et l’informel. C’est par l’analyse de cet entre-deux (op. cit.) que nous cherchons à démontrer la pertinence de l’utilisation des dispositifs dans le but de rendre autonomes les acteurs.

Comment parler de la forme sans aborder l’informe qui en dépend ? Et pourquoi ne pas rapprocher la notion d’événement à celle de l’informel ? L’événement peut se situer dans l’informel et reste une notion que certains sociologues trouvent délicate à saisir. « […] l’événement est longtemps apparu comme le contraire de l’objet susceptible d’être pensé scientifiquement », il est perçu également comme singulier, unique, accidentel, aléatoire, (Delacroix, 2006). C’est à peu près le même discours qui ressort des analyses de Gilbert Renaud (1995) sur l’informe, disant qu’il est difficile de comprendre l’informe en utilisant nos cadres théoriques et nos discours analytiques (op. cit. : 142). Gilbert Renaud va même jusqu’à personnifier l’informe comme une entité échappant à toute loi et à toute tentative de formalisation et qui « […] contrecarre la pleine réalisation de toute planification et de toute programmation » (op. cit. : 146). Malgré cette vision destructrice de l’informe, celle-ci alimente la forme, l’un n’allant jamais sans l’autre. C’est en cela que la notion d’événement, perçue comme l’informe du dispositif paraît pertinente.

En revanche, pour les historiens, l’événement est un objet palpable qu’ils savent mobiliser pour questionner le passé. Selon eux, c’est un concept bien moins délicat qu’il n’y paraît. Il ponctue l’histoire quotidienne tel un marqueur du changement. « […] l’événement c’est tout ce qui arrive […] » (Ricœur, 1992 : 29). L’événement est construit autant que l’est un dispositif, il est donc palpable et explicable. Selon Paul Ricœur, il est possible d’identifier les événements suivant trois conditions. Premièrement, ils sont déclenchés par des humains. Deuxièmement, est événement tout fait suffisamment pertinent ou marquant pour les témoins oculaires et pour celui en charge de raconter l’histoire. Troisièmement, il faut prendre conscience du décalage épistémique entre l’événement tel qu’il s’est produit et l’événement tel qu’il est raconté et retranscrit. L’identification des événements que nous tirons de l’histoire de la R.A.P. au Cameroun s’effectue suivant la proposition méthodologique de Paul Ricœur.

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Pour conclure ce chapitre, l’anthropologie fait feu de tous bois et il est difficile de se cantonner à un cadre d’analyse unique. La diversité des interrogations qui apparaissent au contact du sujet et du terrain ne permet pas d’effectuer une sélection de la réalité observée assez satisfaisante.

Pourtant, jusque-là, le cadre d’analyse le plus pertinent en matière de réflexion sur les questions de développement en Afrique est celui de la socio-anthropologie du développement.

Nous essayons, à travers cette thèse, de reprendre ce cadre en l’enrichissant de notre expérience méthodologique acquise sur le terrain. Trois axes ont été retenus pour répondre à la question principale de la problématique de recherche.

L’éthique est le premier axe retenu car nous la considérons comme la première chose qui doit être prise en compte et traitée avant tout action à engager vers autrui. Même si l’éthique est déjà abordée dans les instituts agronomiques français (I.R.D., C.I.R.A.D., I.N.R.A. etc.) et qu’elle est une des motivations premières à développer le projet à l’étude, elle est relativement absente au détriment d’approches scientifiques visant la fonctionnalité. Nous proposons donc de prendre en compte plus largement la question de l’éthique, en initiant une réflexion qui peut se faire simultanément à toute recherche scientifique. Cette réflexion en amont et simultanée doit être d’autant plus exigeante lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des pays « lointains » tant culturellement que géographiquement.

Le cœur du cadre d’analyse réside indubitablement dans les interactions entre les acteurs du projet. Ce cadre permet également de délimiter le projet. C’est grâce à l’étude des interactions et des stratégies des acteurs qu’il est possible d’interroger la façon dont la R.A.P. peut atteindre ses objectifs collectifs.

Pour aller plus loin dans l’analyse et la rendre plus méthodique et applicable par la suite, un effort est fait dans la prise en compte des outils utilisés par les acteurs dans leurs jeux de stratégies. Ces outils ont été appelés les « dispositifs » et les « événements ». Ils sont pris alors comme des marqueurs d’analyse méthodologique socio-anthropologique destinés aux projets de développement.

Les trois volets de notre problématique prennent en compte les différents aspects qui permettent de répondre à la question principale de cette thèse. Ils sont indissociables et se traitent de préférence chronologiquement.

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- CHAPITRE III – Méthodologie

L’immersion au sein du projet - et tout particulièrement au Cameroun - pousse à poser quelques questions à propos de l’éthique et de la posture du chercheur en socio-anthropologie. La situation vécue, au sein du projet et sur le terrain, interroge également l’éthique des chercheurs et des étudiants du projet. La démarche de R.A.P. s’impose d’intervenir sur le terrain dans le but d’effectuer un changement. Cette position est peut-être évidente pour un technicien dont le but est d’améliorer le rendement de la pisciculture, mais elle l’est moins pour un socio-anthropologue qui - à cause de sa formation - peut avoir quelques scrupules à changer la réalité qu’il observe. Pour ce dernier, quelle est sa capacité d’action ? Et tout d’abord, est-il en droit d’impulser un changement local dans une société qu’il connaît à peine ?

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Extrait du journal de terrain. Lundi 21 avril 2009 « Une longue journée »

Ce matin, mon téléphone sonne à 7 heures. C’est le délégué de Santchou. Il est en colère car il m’attendait hier pour notre rendez-vous. Je me fais agresser au réveil, alors que c’est lui qui n’a pas compris que l’on avait rendez-vous aujourd’hui à 17 h ! À seize heures, je quitte Dschang en direction de Santchou. Sur le chemin désert qui mène au rond-point le plus proche, je marche en espérant croiser une moto qui voudra bien me déposer à la gare routière. Un homme en moto me dépasse, je lève le bras, il s’arrête. Je lui demande de me déposer à la gare routière qui va à Santchou. Il me dit qu’il veut bien me rendre ce service, mais qu’il ne me fait pas payer parce qu’il n’est pas taxi moto. Sur le trajet, il me dit qu’il travaille à l’hôpital, que c’est un homme de médecine. Il me demande ce que je fais dans la vie et de lui envoyer les livres que j’ai écrits. J’arrive à la gare. Suivant le nombre de personnes dans la voiture, on sait à peu près combien de temps on va attendre avant de partir. Là, il manquait deux personnes pour remplir la voiture. J’attends à l’arrière cette fois ! Patiemment. Par chance, il est 17h et la voiture part. Après des virages, et encore des virages à faire des efforts pour ne pas écraser ma voisine, j’arrive à Santchou. Je m’assois à la table de l’auberge, et j’attends que le délégué arrive. Complètement perturbé par le coup de fil de ce matin, il me fait mille excuses. Il s’est même demandé si j’allais venir. Je l’ai rassuré tant bien que mal, j’étais là ! J’étais finalement à l’heure pour mon rendez-vous avec un pisciculteur à 17h30. Le délégué et moi, nous attendons un ami du délégué qui a la moto pour s’y rendre. À 18h, son ami n’est toujours pas là. Le délégué prend mon téléphone pour l’appeler et me dit qu’il arrive d’un moment à l’autre. Très bien ! J’attends. J’ai soif, mais j’attends son ami pour commander à boire. Puis le délégué me propose de changer de table, et me dit qu’il va manger. 18h39, je n’ai pas faim, le délégué mange. Je le regarde manger et finalement je commande une limonade pour l’accompagner à ma façon. Le délégué finit son plat, il est 19 heures et nous attendons toujours. 19h30, je commence franchement à m’impatienter ! J’oublie le rendez-vous et j’attends finalement un autre producteur, pour un entretien, censé être là à 19 heures. Le producteur arrive, s’excuse du retard. Je demande au délégué de nous laisser seuls, et je commence le travail. Il commande deux bières sans me consulter, les gens ici l’appellent « le parisien ». Nous entretenons une conversation agitée et passionnante jusqu’à 23 heures.

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