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3 L'urbanisme orthogonal en Mésopotamie ( et ses influences ).

a - CHEZ LES ASSYRIENS :

L'urbanisme orthogonal des Assyriens - habitants du nord de la Mésopotamie - repose essentiellement sur des exigences militaires. DOUR-SHARROUKIN ( 7 0 0 avant J.-C. environ ) semblait représenter pour son fondateur SARGON II , la ville royale idéale. Son plan est constitué d'un rectangle de 1700 mètres par 1800, et la reconstitution du réseau des voies les plus importantes, d'après les portes de la cité, laisse supposer que celles-ci se coupaient effectivement à angle droit.

Ceci, alors que les peuples du sud du pays construisaient leurs villes dans une vaste enceinte ovale, à l’intérieur de laquelle, les rues sinueuses et étroites contrastaient étonnamment avec l'organisation orthogonale qui constituait le centre de la cité : il s'agissait des bâtiments religieux et du palais.

b

- CHEZ LES BABYLONIENS

L'urbanisme Babylonien peut se résumer en une ville : BABYLONE, où l'ordre géométrique semble constituer une des caractéristiques essentielles de la ville.

Fondée en 2000 environ avant J.-C. par HAMMOURABI, elle aussi prend la forme d'un vaste rectangle de 2500 mètres sur 1500, divisé en deux par l'Euphrate. A l'intérieur, les rues sont droites, de largeur régulière, et se coupent à angle droit. La ville n'a pas été orientée vers les points cardinaux, mais plutôt en fonction du fleuve qui la traverse. L'enceinte extérieure suit d'ailleurs l'orientation du mur encerclant la ville intérieure, celle-ci étant implantée parallèlement à l'Euphrate.

Babylone a subi de nombreuses modifications au cours des siècles, et voici la description qu'en fait Hérodote en 450 avant J.-C.; elle fut d'ailleurs confirmée ensuite par les fouilles.

" ... Voici la description de cette ville . Elle se trouve dans une vaste plaine et forme un carré de 120 stades de côté, ce qui fait une enceinte de 480 stades au total 1- Telle est l'étendue de la cité de Babylone; pour l ’ordonnance, aucune des villes que nous connaissons ne pouvait lui être comparée. Elle est entourée, d'abord, d'un fossé profond, large et plein d'eau, puis d'un mur large de cinquante coudées royales et haut de deux cents 2. (... ) Cette enceinte a cent portes qui sont en bronze, les montants et les linteaux aussi. (... ) Tels étaient les remparts de Babylone . La ville

elle-même comprend deux quartiers; un fleuve la coupe en deux, l'Euphrate, un grand fleuve profond et rapide qui vient d'Arménie et se jette dans la mer Erythrée. ( ... ) La cité elle même est une agglomération de bâtiments à 3 ou 4 étages, coupée de rues qui, parallèles au fleuve ou transversales, sont toutes rectilignes. Les rues menant au fleuve aboutissaient à autant de poternes ouvertes dans le mur. Ces poternes

étaient en bronze, elles aussi, et donnaient directement sur le fleuve... 1 * 3

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C - CHEZ LES HITTITES

Ils semblent, à l'origine, avoir hérité d'une tradition où l'urbanisme orthogonal n'a pas lieu d'être. En effet, des impératifs militaires et religieux inhérents à leur civilisation préconisaient plutôt des contours circulaires; la cité était ainsi plus facile à défendre, et elle n'était pas à orienter sur les mouvements du soleil, puisqu'elle était la représentation même du disque solaire.

Cependant, sous l'influence des Egyptiens et des Mésopotamiens, leur conception de la ville va être modifiée, et on retrouvera, par la suite, quelques organisations rectangulaires orientées, toujours en accord avec les quatre points cardinaux.

En conclusion, pour que l'on retrouve la même organisation spatiale, à la même époque, dans plusieurs endroits aussi différents et éloignés les uns des autres, on peut supposer que celle-ci donne des réponses satisfaisantes à des problèmes communs à ces civilisations, même si ceux-ci ne sont pas explicités de la même façon.

Or, un élément majeur intervient à chaque fois : l'orientation de la cité. Une orientation conçue de façon différente selon les cas, s'adaptant à des exigences religieuses, ou relatives au paysage, ou bien s'appuyant simplement sur les quatre points cardinaux ( ce qui le plus souvent n'est pas indépendant de toute idée religieuse ). Orienter revient à déterminer un axe fixe, auquel pour obtenir un repère stable, il suffit d'ajouter une perpendiculaire. L'espace est alors défini, et peut être délimité facilement .

1 . Environ 86 km 2. 25 km de large

3 . Vers 550 avant J.-C., NABONIDE fit élever le long de l'Euphrate un mur de 8 m environ de large. Les voies correspondant aux portes de la ville se croisaient effectivement à angle droit. Les principaux quartiers des cités mésopotamiennnes étaient construits en " damier ".

Les Etrusques, soucieux de ne rien laisser au hasard, fondaient leurs villes d'après des principes très stricts. ( Ils seront repris dans un traité très précis - les recueils des GROMATICI - dans lequel sont définies leurs techniques d’arpentage.)

Chez eux, le territoire urbain et rural est divisé selon une théorie dont l'ensemble des principes constitue la limitatio ( ou science des divisions ). Elle n'intervenait dans la création de la ville que lorsque l'on avait déterminé au préalable, le tracé de la cité ( à l'aide d'une charrue de bronze, attelée d'une vache et d'un taureau blanc ). Elle consistait à délimiter quatre régions, ( quartiers ) à l'aide de deux axes, deux grandes voies perpendiculaires, le cardo et le decumanus . Ceux-ci étaient déterminés grâce à un instrument géodésique, la groma , à l'aide duquel on pouvait définir leur orientation, lorsqu'on visait le soleil.

Le decumanus était orienté Est-Ouest, le cardo lui était perpendiculaire, il avait donc une direction Nord-Sud. Ainsi, la ville était créée à l’image du monde.

Ses concepteurs pouvaient alors, à partir des deux axes, tracer tout le réseau de rues. Celles-ci s'inscrivaient parallèlement et perpendiculairement aux deux voies, dans les quatre quartiers, délimitant ainsi des blocs d'habitation ou insulae rectangulaires. La ville conservait ainsi une très grande régularité, et formait elle-même, le plus souvent, un rectangle tout aussi précis que les blocs qu'elle enfermait.( voir CAPOUE, MARZABOTTO )

Nous aurons l'occasion de revenir sur ces principes, en constatant combien ils ont influencé l'urbanisme romain, qui s'en inspirera pour composer son empire. Nous observerons également, que nous pouvons retrouver certaines de ces références dans la conception des villes du Moyen-Age, notamment anglo-saxonnes.

Nous allons aussi remarquer des faits semblables chez les Grecs (mode d'orientation, de limitatio, ... ). Or, si certains de ces principes peuvent effectivement trouver leur origine en Grèce, il est cependant plus juste de penser que ces civilisations contemporaines ont su profiter, de la même façon, d'une conception courante héritée d'asie ( comme nous l'avons exposé brièvement précédemment dans le chapitre sur la Mésopotamie).

Une autre idée s’est également répandue pendant très longtemps, celle admettant que les Grecs, par l'intermédiaire d'Hippodamos de MILET, étaient les inventeurs du plan orthogonal.

Nous venons de démontrer qu'il n'en était rien, et que cet urbanisme leur est bien antérieur. L'étude de l'urbanisme archaïque de l'Hellade permet d'ailleurs d'affirmer qu'alors, l'agencement n'avait rien de géométrique, et qu'au contraire, il suivait la topographie du site sans aucune contrainte, s'étendant librement dans le paysage. La création de la polis est alors plus l'œuvre du synœcisme, plutôt que la conséquence d'une volonté d'urbanisation définie à l'avance. Et ce n'est que devant la nécessité de se défendre que la cité va évoluer.

Chaque ville constitue en effet, à cette époque, une véritable autarcie, et pour assurer sa protection, la cité va s'entourer d'une enceinte; or celle-ci, tout en préservant son indépendance, va engendrer en un même temps un besoin irrémédiable d'organisation spatiale interne.

Ainsi, nous pouvons observer qu'au VI ®me siècle avant J.-C., Ioniens et Eoliens ordonnaient leurs cités en traçant un réseau de rues orthogonales, indépendant des remparts et du site ( on les retrouve même sur les pentes raides des reliefs, ce qui contredit la tradition méditerranéenne ancienne ).

Cependant, si Hippodamos de Milet n'a pas inventé le plan orthogonal, il faut reconnaître qu'il a apporté à celui-ci de nouvelles motivations. En effet, l'urbanisme orthogonal va au V eme siècle connaître une étape importante dans son évolution. Jusqu'alors, il n'était, essentiellement, qu'une émanation d'un principe religieux; or, Hippodamos de Milet, penseur, scientifique, grand amateur de géométrie et de nombres, va s'en inspirer pour fonder une théorie où la politique, principalement, tient lieu de fil conducteur à l'organisation de l'espace urbain.

" J'imaginai une ville de 10.000 habitants, divisée en trois classes, l'une composée d'artisans, l'autre d'agriculteurs, la troisième de guerriers; le territoire y serait divisé également en trois parties, une consacrée aux dieux, une à la vie publique et une réservée à la propriété privée. " (12)

Nous sommes là, à l'articulation du pratique et du théorique.

Ainsi, à défaut d'être l'auteur du plan orthogonal, Hippodamos de Milet semble être, par contre, à l'origine d'une théorie, " la division régulière de la ville ", que nous pourrions apparenter à l'ancêtre du zoning.

Le plan de la cité grecque n'est pas assujetti, comme celui de la ville égyptienne, à l'organisation de ses monuments et palais. Ceux-ci s’inscrivent comme le reste des bâtiments, dans la grille fixée non pas en fonction des temples mais plutôt en réponse aux exigences des habitations. ( Les temples sont d’ailleurs très fréquemment érigés avant la ville, et ne sont pas nécessairement inclus dans l’ensemble urbain, on les retrouve en effet très souvent hors du périmètre des constructions. )

Cette organisation Milésienne présente malgré tout quelques caractéristiques remarquables. Toutes les rues parallèles et orthogonales, ont une largeur constante, uniforme, et les blocs eux mêmes ont une géométrie régulière. Ce sont eux, d'ailleurs, qui constituent l'élément premier, ' le module ', et non les voies, et qui déterminent la division du site grâce à leurs dimensions régulières. Les places ou les cours des édifices publics sont constituées par des vides laissés dans la grille ou les constructions; Ainsi, la grille n'est à aucun moment perturbée et peut donc poursuivre sa logique inflexible.

Même l'enceinte ne vient pas troubler son ordonnance. En effet, celle-ci est conçue indépendemment, en relation avec le site, et en profitant des possibilités défensives que lui offre le relief, mais sans aucun rapport avec le plan. L'espace bâti de la ville étant très souvent, plus réduit que la surface inscrite à l'intérieur des remparts, on peut observer presque à chaque fois, autour des bâtiments, une couronne de terrains vierges, servant d'espace intermédiaire, d'espace ' tampon ', entre la cité même et la campagne ' extra-muros '.

Les portes ne coïncident d'ailleurs que très rarement avec les voies de la ville. On peut d'ailleurs remarquer l'absence d'axe dominant, pouvant servir d'épine dorsale à son organisation, et auquel pourraient correspondre les entrées dans la cité ( toutes les rues ayant une largeur uniforme ). Si une direction est privilégiée, elle l'est le plus souvent par rapport à des circonstances topographiques particulières ( nous aurons l’occasion de le constater lorsque nous évoquerons la ville de Priène ).

Alors que la ville égyptienne, fixée une fois pour toute, restait inchangée, immuable au cours des siècles, la cité grecque répond, elle, à une situation précise, sur un lieu donné, à un moment déterminé. Et tout cela va être nécessaire pour organiser le plan de la ville. L'espace grec n’est pas figé, ni homogène. Il est composé d'entités , autant de réponses individuelles à des conjonctures particulières . Et si l'orientation du plan est fixée le plus souvent en fonction des points cardinaux, elle n'obéit cependant pas toujours à cette règle. On peut remarquer qu'elle s'adapte très souvent à la topographie du site ( cependant, le plan orthogonal sera conservé même sur les pentes les plus abruptes ).

De nombreux penseurs grecs s'étaient penchés - déjà - sur les problèmes que soulève l'urbanisation, et tous ont estimé que la ville devait être soumise à des principes d'organisation précis, ce qui reflète d'ailleurs parfaitement l'esprit grec. Ce sont des principes relatifs, en un premier temps, à un ordre pratique ( qui n'a rien de comparable avec l'ordre universel égyptien ).

une division des espaces correspondant à leur affectation. Cela deviendra une théorie résumée en quelques mots : à des fonctions différentes, s'accordent des espaces différents.

Platon, également, soutiendra qu'une organisation du plan de ville est nécessaire:

"Tout ce qui se fait dans la cité selon l'ordre et sous la direction de la loi ne peut avoir que de bons effets, tandis que ce qui n'est pas réglé ou l'est mal, fait tord à la plupart des autres réglements les plus sagement établis. " (13)

S'ajouteront à ces notions pratiques, des principes d'ordre esthétique. Le plan orthogonal donne à l'esprit grec la possibilité d'accomplir des effets qui lui sont très précieux; il permettra des divisions précises et symétriques, une grande régularité, et favorisera les grandes perspectives vers le paysage ou sur les temples.

L'urbanisme Hellénique met donc en place un système, un mode d'organisation de la cité, plus qu'il n'invente une nouvelle méthode de planification. Le plan orthogonal, qui n'était jusqu'alors que la conséquence d'un évènement métaphysique - d'un mode de pensée, le plus souvent relatif à la religion et à l'image que l’on se faisait de l'univers - va être, avec les Grecs, à l'origine d'études intéressantes sur la cité, son organisation, ses besoins, ses relations avec le paysage environnant. Il se métamorphose ainsi, à cette époque, de l'état de symbole à celui d'outil, pratique, maléable, que l'on adapte aux circonstances. ( Le symbolisme se transpose ailleurs, notamment au niveau de l'articulation et la plastique des temples. )

Pour conclure, on pourrait se donner comme source de réflexion les propos de Roland MARTIN - sur lesquels nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir dans le chapitre suivant - lorsqu'il déclare :

"En conclusion, l'urbanisme Milésien se caractérise par sa simplicité, son sens du pratique et sa recherche des principes fonctionnels; il ne vise nullement à de grands effets esthétiques; il procède par plans juxtaposés, par extension de surfaces et déroulement de lignes; il est peu sensible aux grandes compositions monumentales et ne recherche pas les volumes. Il en résulte une architecture urbaine quelque peu écrasée, qui manque de relief, quand ce relief n'est pas fourni par le paysage. C'est une leçon de réalisation pratique, rapide, très rationalisée dans la ligne que certains modernes préconisent actuellement par l'uniformisation de plus en plus poussée des types d'édifices et l'application des plans trames