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I Les groupements orthogonaux à la préhistoire ( en Europe )

II est maintenant communément admis que le plan orthogonal n'a pas été inventé par les urbanistes modernes, comme on l'a très souvent laissé entendre, et ses origines archaïques sont aujourd’hui incontestées.

On reconnait effectivement de nos jours, pour l'avoir observé à plusieurs reprises, que dès la préhistoire, certains groupements d'habitations ont fait l'objet d'une indubitable recherche d'orientation. Les fouilles ont en effet révélé, que lorsque le logis abandonne la conformation de la cabane circulaire - pour évoluer vers une forme plus géométrique, carrée ou rectangulaire - l’ensemble s'oriente alors sur les quatre points cardinaux ( l'alignement des rues se fait le plus souvent d'Est en Ouest) et le tout a tendance à former un carré lui même orienté.

En Italie du Nord, à l'âge du bronze, cela a donné naissance aux terramares, villages construits sur pilotis, dominant les plaines marécageuses. La Terramare de Castellazo di Paroletta est caractéristique . Elle a la forme d'un trapèze, et est divisée en îlots réguliers de 75 mètres sur 50, par des voies orthogonales. Et on trouve déjà à cette époque un élément important : la voie principale longitudinale qui sépare cet échiquier en deux moitiés égales est deux fois plus large que la transversale qui la coupe perpendiculairement en son milieu. Ce sont là les mêmes proportions que l'on remarquera plus tard au cardo et au decumanus lors de la fondation des villes romaines.

On retrouve ce phénomène dans toute l'Europe, et plus particulièrement en Belgique, en Italie du nord, et dans les pays danubiens ( où il est beaucoup mieux développé ); ceci alors que près de la méditerranée, les groupements ne suivent pas du tout cette orientation; ils s'adaptent au contraire, au hasard, selon la configuration du terrain.

Dans de nombreux ouvrages, il est admis que le premier tracé orthogonal connu à ce jour, serait vieux de plus de 2000 ans avant J.-C., et serait égyptien : il s'agirait de la cité ouvrière égyptienne de KAHUN .

Nous avons vu qu'à la préhistoire, une ébauche d'échiquier faisait déjà son apparition; cependant, il est vrai qu'avec les Egyptiens, le plan orthogonal prend une dimension qu'il n'avait jamais eu jusqu'alors, et qu'il ne retrouvera jamais , à aucun moment.

En effet, l'urbanisme - de même que l'architecture ou l'art égyptien - était alors entièrement dominé par des préoccupations religieuses, et toute conception devait être conforme à l'idée que les Egyptiens se faisaient de l'ordre du monde, immuable devant l'éternité.

C'est la raison pour laquelle, la ville égyptienne est en fait composée de deux cités, qui étaient établies selon le même principe : la cité des vivants, et la cité des morts. La mort n'étant considérée en Egypte que comme une entrée dans la vie éternelle, la cité des morts était conçue à cet effet : faire face à l'éternité .

"...la cité divine - la seule que nous puissions voir et étudier aujourd'hui -

est une fidèle copie de la cité humaine, où tous les personnages et les

objets de la vie quotidienne sont reproduits et rendus immuables . ..." (4)

C'est pourquoi il nous est plus facile, à l'heure actuelle, de parler de la cité des morts ( ou cité divine ). Les recherches ont de toute façon révélé que les deux étaient conçues de façon identique, symbolisant l'une comme l'autre l'ordre de l'univers; et celui-ci n'était pas modifié d'une vie à l'autre.

Les Egyptiens, considérés par Hérodote " comme de beaucoup les plus religieux

des hommes " (5), structuraient leur vision du monde grâce aux deux éléments

essentiels de leur paysage, ceux qu'ils connaissaient le mieux car ils régissaient leur existance, régulièrement, depuis la nuit des temps : le Nil et le Soleil .

Le Nil en effet, en fécondant toute la vallée grâce à ses inondations régulières, était le bienfaiteur qui parvenait à nourir tout son peuple; et il agissait en étroite collaboration avec le soleil, puisque les crues avaient lieu en fonction de celui-ci. (6)

Or, ce fleuve bénéfique, qui coule du Sud au Nord, donne déjà la direction d'un premier axe. Le second suivra la course du soleil, autre ' acteur ' important dans la vie matérielle et religieuse de l'Egyptien.

" Lorsque tu te couches à l'occident, la terre sombre dans l'obscurité comme cela se fait pour la m ort... ( mais ) lorsque le jour apparaît quand tu pointes à l'horizon ... (le s mortels ) se réveillent et se mettent debout... ils reprennent vie parce que tu es leur destin. " (7)

Ces deux éléments du paysage vont donc influencer toute l'organisation spatiale de la cité égyptienne, celle-ci devenant le symbole de l'ordre naturel.

Ils vont définir une division, agraire et urbaine, orthogonale "expression pratique d'une idée religieuse " (8). La découverte de la géométrie par les Egyptiens, nous dit Hérodote, provient du fait qu'après chaque crue du fleuve, il fallait démarquer à nouveau tous les champs. Or, ceci ne pouvait se faire qu'à partir d'un repère fixe, auquel on pouvait se référer, de quelque endroit que se soit.

L'Egypte était ainsi entièrement divisée en lots géométriques réguliers, rectangulaires pour la plupart. Et c'est ce désir d'orientation systématique de toute construction, qui va entraîner cette grande régularité de l'espace égyptien, et qui va favoriser ce choix de base carrée ou rectangulaire pour ses bâtiments. Ces constructions sont donc inscrites dans une maille, elle aussi régulière et orthogonale, qui a pour origine les deux principaux axes. Ces éléments de division pouvaient être soit des canaux, qui répartissaient l'eau du fleuve uniformément sur tout le territoire, ou bien des voies. On a ainsi découvert, organisant les villes égyptiennes, de longues rues, larges, rectilignes, se coupant à angle droit; avenues monumentales permettant d'imposantes processions.

Or, si ce principe pouvait être apprécié pour la cité divine, il est surprenant, cependant, à observer dans une ville construite pour être habitée, ceci lorsque l'on connaît les sévères exigences du climat égyptien. On s'attend plus, en effet, sous ce climat torride, à rencontrer des rues étroites, sinueuses, procurant le plus d'ombre possible à ses habitants.

De fait, ce schéma ne pouvait être envisagé par la civilisation égyptienne. Non parce qu'elle ignorait son côté utilitaire, ou qu'elle ne connaissait pas les conséquences qu'aurait un tel climat avec un urbanisme orthogonal orienté comme il l'était; mais tout simplement, elle se devait de substituer à des notions de confort, d'autres exigences, inéluctables celles-ci, imposées par la religion.

Voici, d'ailleurs, démontrant l'intérêt porté à ces éléments sacrés, un extrait d'un texte se rapportant à IKHOUTATON, ' l'horizon d’Aton ' (EL-AMARNA aujourd’hui), ville bâtie par AMENOPHIS IV :

" Une ville, un dieu - dirons-nous une fois de plus - une ville qui, à travers l'hymne au soleil, nous apparaît dans un ruissellement de lumière divine : ' Tu te lèves bellement à l'horizon du ciel, ô Aton, initiateur de la vie. Quand tu t'arrondis à l'horizon, tu remplis la terre de tes beautés ... Tu es loin, mais tes rayons sont sur la terre. Quand tu te reposes dans l'horizon occidental, la terre est dans les ténèbres, comme morte ... Mais l'aurore vient, tu poins à l'horizon, tu rayonnes comme Aton du jour ... Les Deux Terres sont en fête; les hommes s'éveillent ..." (9)

C'est pourquoi il est avancé, au début du chapitre, que le plan orthogonal égyptien est particulier - toute l'organisation spatiale de ce pays, aussi bien agraire qu'urbaine, est entièrement issue d'un inébranlable principe religieux - et qu'une fois cette civilisation disparue, on ne retrouverait plus jamais, dans aucune planification orthogonale, une telle essence métaphysique.

Il s'agit d'un choix délibéré que d'accorder une telle importance à l'urbanisme égyptien. En effet, l'Egypte servira d'exemple à de nombreuses civilisations ( de Mésopotamie, de Grèce, ...) et celles-ci reprendront de nombreux points de la culture et de la vie égyptienne ( elles adopteront même parfois au sein de leur panthéon, certains dieux égyptiens ); cependant, toute cette force spirituelle aura tendance à s'amenuiser, et disparaîtra.

" ...Nous y retrouverons, dans les villes créées, le plan en échiquier; nous y retrouverons dans les aménagements, la voie sacrée des processions, les avenues bordées de statues, seule alors l'inspiration aura changé. Du ciel, elle sera descendue sur la terre. ..." (10)

3 - L'urbanisme orthogonal en Mésopotamie