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Titre II : Le pouvoir local émancipé du pouvoir central

Section 2 : Les réflexions des dirigeants et philosophes juridiques

1. L’unification préalable pour construire l’État

En 1949, lorsque le Parti communiste avait obtenu le pouvoir politique de toute la Chine, il fut en face d'une question : Comment renforcer sa domination et comment gouverner correctement le pays ? Trouver un régime bien adapté à la société chinoise était devenu urgent.

411Mao Zedong, Lectures choisies des livres de Mao Zedong, vol 2, Maison d'édition populaire 1985, p. 730.

412En chinois 《论十大关系》 : Le 26 décembre 1976, reproduit dans le Quotidien du Peuple. Le Quotidien du Peuple (人民日报) est l'organe de presse officiel du Comité central du Parti communiste chinois.

413Ce §1 est basé sur « L’Oeuvre de Mao Zedong » livre VII, Maison d'édition populaire, 1999, Collection des articles, des discours et des commentaires du Mao entre janv. 1956 et déc. 1958 en 39 volumes.

Parmi ces problèmes, un était assez important : Il s’agit de la séparation du pouvoir de l’État entre les autorités centrales et les pouvoirs locaux.

Considéré comme le principal dirigeant du Parti, Mao avait le choix essentiellement entre trois solutions : la séparation du pouvoir comme elle a été conceptualisée en France au titre de la décentralisation ; la centralisation du pouvoir comme dans l’Union soviétique ; la conception d’un régime propre à la Chine. Le choix se présentait au début de la République populaire de la Chine, lors de la période de construction d’un nouvel État et après des années de guerre au moment où il fallait consolider le pouvoir de l’État. Il s’agissait d’un moment où tous ces choix étaient possibles. C’était finalement la solution d’un État centralisé qui l’emportait à l’époque. Mao a fait remarquer : « Afin de construire un pays socialiste puissant, il doit y avoir une direction centrale forte et unifiée et il doit y avoir une planification et une discipline unifiée nationale. Tout effort visant à porter atteinte à cette unité ne sera pas autorisé. »414

Toutefois, l’option en faveur de la centralisation au début de la Chine maoïste n’empêcha pas pour autant de réfléchir aux modalités de répartition du pouvoir. La Chine est effectivement un pays complexe : 56 nations la composent et se situent sur un très grand territoire. Chacune a sa spécificité et pour résoudre les problèmes concrets il ne faut pas par conséquent utiliser la même méthode. Au niveau de l’État, il est possible de recourir aux principes ou théories générales, mais dans les différentes situations locales, on doit utiliser des manières différentes concrètes et les connaissances locales pour remédier aux problèmes. Un État de l’ampleur de la Chine ne pouvait ni prendre en compte tous les aspects de la vie locale et ni les contrôler tous. Toute tentative d'omniprésence se serait révélée inefficace, voire impossible. Mao a souligné à juste titre : « La relation entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux peut se présenter de manière contradictoire. Afin de résoudre ce conflit, la consolidation de la direction unifiée est la prémisse centrale ce qui permet de manière subséquente d’élargir les pouvoirs locaux, leur attribuant une plus grande indépendance locale.

414Mao Zedong, Lectures choisies des livres de Mao Zedong, vol 2, Maison d'édition populaire 1985, p. 730-731.

C’est ainsi que l’on parviendra à faire plus de choses. Il s’agit en effet pour nous de construire un pays socialiste puissant dans des circonstances plus favorables »415.

Mao et son équipe communiste vont choisir par la suite la répartition verticale du pouvoir. C’est un choix pertinent notamment pour un pays de grande superficie. Les pouvoirs décentralisés verticalement se présentes comme une option de répartir les responsabilités de gouvernement de manière profitable. L’action des collectivités locales peut se mesurer en termes de coûts et de profits selon une logique de marché. Dans un tel contexte, les pouvoirs locaux peuvent donc choisir le régime qui leur convient le mieux. Il arrive ainsi que les services rendus selon les différents régimes locaux sont fusionnés ou s'influencent mutuellement. Parfois le régime le plus efficace remplace le moins profitable. De ce point de vue, l’autonomie locale ou le pouvoir de prise de décision au niveau local aurait pour fonction de favoriser la compétition entre les régimes et la créativité de ceux-ci. Bien sûr l’autonomie présente également des risques : le risque que pouvoir local puisse soustraire une région à l'autorité du pouvoir central ; le risque le plus grave d’être à l’origine du désordre et de la guerre ; le risque que la garantie du droit ne s’effectue pas de manière égalitaire ; le risque d’un coût administratif trop important etc.416

Il faut aussi savoir qu’en 1949 il y avait une réflexion d’introduire en Chine un système fédéral. Mao et son équipe optent cependant pour « la centralisation uniforme » qui pour eux et leur idéologie sont à l’époque le seul choix pour renforcer leur nouveau pouvoir politique. Pour certains penseurs417, la théorie ne devait pas trop influencer la pratique et par conséquent le choix d’un État unitaire ou d’un État fédéral serait relativement indifférent. Ce qui importe pour eux, c’est la réalisation par l’homme politique d’un objectif. Ce dernier détermine le choix de l’outil. Or, la réalisation de l’objectif dépend de toutes les conditions de la société.

415Mao Zedong, Lectures choisies des livres de Mao Zedong, vol 2, Maison d'édition populaire 1985, p. 728-729.

416朱苏力:当代中国的中央与地方分权--重读毛泽东《论十大关系》第五节,中国社会科学, 2004 年 02 期。 ZHU Suli, la Chine contemporaine de la décentralisation - Relecture Mao Zedong ‘Le Dix

Relations’ paragraphe 5, Revue ‘Social Sciences In China’, 2004 n° 2, p. 42-55.

417俞可平 YU Keping, né en juillet 1959, universitaire spécialiste de l'innovation politique en Chine ; 张千帆, né en janvier 1964, professeur de droit à l’université de Pékin, spécialiste de constitutionalisme ; mais également les autres univeritaires comme 谌洪果 KAN Hongguo 、何兵 HE Bing、贺卫方 HE Weifang、许 纪霖 XU Jilin、章诒和 ZHANG Zhihe etc.

Pour mieux comprendre le choix après 1949, il faut s’intéresser la question principale de l’époque et voir comment les communistes ont abordé cette question dans la réflexion et le traitement de celle-ci. En effet, la Chine est principalement un pays traditionnellement en déséquilibre de développement de sa civilisation et de son économie. Elle n’a pas un marché unique, le secteur agricole est encore dominant, l’industrie reste cantonnée aux grandes villes qui bordent la mer dans l’Est de la Chine. Par ailleurs, la Chine n’a pas de tradition d'un État absolu comme il se présente aux XVème et XVIème siècles en Europe dans la mesure où le pouvoir impérial s’analyse plutôt comme une domination principalement politique et culturelle. L’État n’arrive effectivement pas jusqu’au fond de la société et les différents peuples ne consentent pas forcément à la nation et à la culture du centre. Le début de la Chine moderne est également marqué par le contrôle indirect par les pays impérialistes qui exercent des influences à degré variable sur les différentes entités locales. A l’époque, les grands États occidentaux ne voulaient pas voire un nouveau grand État unitaire. Au contraire, ils misaient sur la désunion pour que la Chine puisse dépendre d'eux économiquement. Dans ces circonstances historiques, le choix de Mao et de son équipe se justifie et le résultat leur donne raison puisqu’ils ont pu doter la Chine d’un pouvoir étatique véritable418.

La construction de l'État devient désormais le sujet principal de l’histoire de la Chine moderne. Elle est la condition de base pour pouvoir réaliser la modernisation de la Chine. Sur ce point il y avait par ailleurs un accord entre tous les personnages politiques intervenus après les guerres de l'opium. Il ne s’agissait pas seulement d’un objectif poursuivi par les seuls communistes. Ce sont cependant les derniers qui ont réalisé les réformes. Pour Mao et son équipe, il fallait faire table rase de l’économie traditionnelle fermée si on ne voulait pas renoncer à une nation unifiée, une organisation politique et des lois uniformes. Seulement par ce biais, on pouvait arriver à une vraie refonte de l'industrie et du commerce selon les modalités modernes et par conséquent construire un État moderne avec une bureaucratie et une armée uniforme. Afin d’atteindre ces objectifs, Mao et son équipe ont choisi la décentralisation verticale comme étape qui devait succéder à la centralisation nécessaire dans un premier temps à la construction du pays.

418李茂盛主编:《中国人民共和国史》,中国广播电视出版社,1991 年。Li Sheng-mao (dir.),