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d) Les traditions écrites de la norme parisienne

2.2 L E TRAVAIL D ’ ÉQUIPE

« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage 152 » De sa conception à son oubli, un ouvrage lyrique est en mutation permanente. Comme tout « spectacle vivant », il est adapté chaque soir pour le lieu qui l’accueille et les personnes qui l’incarnent. Même dans la poussière des bibliothèques, sans être représenté, le regard que ses interprètes potentiels portent sur lui – qu’ils soient chanteurs, chef d’orchestre ou savants – ne cesse de s’altérer ; la perception qu’en a le public est également sujette à une évolution incessante. Tous ces mouvements entraînent pour les œuvres une plasticité de chaque instant, qui laisse plus ou moins de traces dans les partitions. Ce mécanisme peut être documenté en rassemblant des éléments se rapportant à des pièces différentes et à des époques variées, toutes participant cependant d’un même système de production lyrique, d’un même rapport au répertoire (voir § 3.2a). Les modifications apportées à une partition sont le plus souvent rattachées à l’idée du style.

a) Prolégomènes

Le style, un artisanat du chanteur pour toucher le public

Avant d’être une tradition à la mode qui se « sédimente » dans la partition, l’effet se prépare en « laboratoire » et se teste en public. François-Joseph Fétis (1784-1871) se souvient à la fin de sa vie que, même pour une grande improvisatrice comme la fille aînée de Manuel Garcia père (1775-1832), Maria Malibran (1808-1836), plus douée que sa sœur cadette Pauline Viardot (1821-1910) aux dires de celle-ci, la recherche de l’effet dans un air donné est une construction, un raffinement progressif :

« La conception des morceaux, d’où résulte le style d’exécution, doit être préparée, méditée, étudiée, ce qui n’exclut pas toutefois l’inspiration instantanée qui se manifeste surtout par l’accent. […] Nonobstant la richesse de son imagination et l’énergie […] qui la dominait à la scène, Mme de Bériot-Malibran n’arrivait jamais à

152 Nicolas Boileau, L’Art poétique, Paris : Denys Thierry, 1674, Chant 1.

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d’aussi beaux résultats la première fois qu’elle chantait un air, que lorsqu’elle en avait mûri les détails dans quelques représentations. 153 »

Le style d’exécution, c’est ici par définition ce qui produit des effets parfaitement mesurés. Quelques remarques générales sur les aspects du chant « neutre » belcantiste passés tels quels dans le style romantique ne seront pas inutiles, avant de détailler le processus complexe et collectif d’élaboration des effets dans le cas du chant scénique. Nous en profiterons pour préciser leurs conséquences sur l’auditeur, qui sont rarement explicitées alors qu’elles constituent non seulement l’objectif esthétique avoué, mais aussi le primat de l’hédonisme vocal au point de vue de la réception. Il est plus courant de trouver dans les méthodes des réflexions sur les effets néfastes des défauts vocaux sur l’auditoire ; par exemple, la concentration mimétique du public sur la voix occasionne pour celui-ci des désagréments lorsque des mucosités viennent perturber le chant 154. Il nous a semblé que l’on pouvait résumer en cinq points les principes élémentaires du beau chant, à respecter en toutes circonstances :

 la facilité qui détend 155 et permet au charme de la voix de s’exercer 156 ;

 la structuration interne (décomposition rythmique prévisible) qui rassure 157 ;

 la symétrie du phrasé qui comble 158 ;

 l’égalité du son lâché et du son repris qui maintient en suspens 159 ;

 la personnalité vocale (méthode et effets personnels) qui attache 160.

153 François-Joseph Fétis, Méthode des méthodes de chant, Mayence : Schott, 1870, p. 101.

154 « La gêne et l’inquiétude qu’elles occasionnent n’ont d’égales que celles du public […] chaque spectateur cherche aussitôt à se débarrasser d’un chat imaginaire et, par ses toussotements significatifs, semble vouloir aider l’artiste à expulser le sien. » (Jean-Baptiste Faure, La Voix et le chant, Paris : Heugel, 1886, p. 211).

155 « Le chanteur qui outrepasse ses moyens arrive promptement à la fatigue ; cette fatigue est toujours partagée par ceux qui l’écoutent » (Mengozzi, cité dans Charles Delprat, « Des différents timbres dans les voix d’hommes et de leur emploi », L'Art du chant et l'école actuelle, Paris : Librairie internationale, 1870, p. 132).

156 « Les efforts extraordinaires aussi ne conviennent point ; outre qu’ils épuisent la poitrine et fatiguent la respiration, ils détruisent tout le charme de la voix, empêchant par là qu’elle sorte libre et naturelle » (André Degola, « De la manière de faire sortir la voix et de la prononciation », Méthode de goût et d’expression, Paris : L’Auteur, s.d., p. 3).

157 Pour pouvoir employer un rubato important, notamment pour l’ajout de traits, ou improviser un point d’orgue très long sans perdre l’attention de l’auditeur ni le prendre à contre-pied, il est nécessaire que la chute d’un mélisme soit toujours prévisible, grâce à une conduite de phrasé parfaitement claire.

158 La qualité d’un phrasé standard est de trouver son mouvement respiratoire dans une désinence à la mesure de l’élan, ainsi que nous l’avons exposé au § 1.2a.

159 Voir Manuel Garcia fils, « 2e partie / De l’art de phraser », École de Garcia, Paris : l’Auteur, 1847, p. 68, à

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Ces idéaux stylistiques, l’interprète les adapte parfois, en fonction du contexte musico-dramaturgique et de l’emploi, mais il les adopte toujours, indépendamment du genre (bouffe, sérieux) et du mouvement (allegro, cantabile, agitato, adagio, …). La grande rigueur de construction musicale, qui se retrouve à l’identique dans les cahiers de vocalises 161 du ténor Giovanni Battista Rubini (1794-1854) et du mezzo-soprano Mathilde Marchesi (1821-1913), doit aussi se comprendre comme un procédé rhétorique dans l’école française, au moins à partir de Pierre-Jean Garat (1762-1823). Fétis l’a entendu, et se souvient qu’« il lui fallait un plan, une gradation, qui n’amenât les grands effets que lorsqu’il en était temps, et lorsque la passion était arrivée à son développement. 162 » Ce principe est tout à fait conforme aux prescriptions de la méthode de Boisquet 163 pour le jeu, ce qui illustre bien la proche parenté entre la tradition vocale et le théâtre dans la culture française. Le travail des rôles, la construction des personnages sont l’affaire de l’acteur-chanteur, conseillé ou dirigé par divers interlocuteurs. Leur intervention s’articule autour de la « vocalité ».

La « vocalité », niveau d’élaboration collectif du chant

Pour communiquer, chanteur et spectateur partagent une foule de références que nous formaliserons comme un code ou « système poétique » exploitant notamment le geste et la parole. Pour les besoins de la démonstration, la parole sera subdivisée en deux composantes : un discours susceptible d’être écrit ou lu, et une matérialité sonore.

Le code expressif le plus aisé à décrire est le code gestuel. Un chanteur est doué de mouvement, dont la plus petite décomposition est le geste. Par exemple, on lève la main droite pour prêter serment, action oratoire symbolique et conventionnelle décrite par la formule consacrée : « Levez la main droite et dites : “Je le jure” ». Ce type de code est acquis

160 Pour quelques connaisseurs de l’époque, au moins, l’art dont on observe le perfectionnement plaît davantage que la fraicheur éphémère de l’organe : « D’ailleurs une voix faible bien dirigée plaira plus qu’une voix forte sans méthode. Combien de chanteurs font plaisir même au théâtre, avec très peu de voix, mais l’art double leurs moyens » (Gustave Carulli, « De la vocalisation », Méthode de chant, Paris : Latte, 1838, p. 7). Un phénomène d’accoutumance peut même apparaître si l’effet ne génère pas un simple souvenir mais une véritable sensation (voir Jean Mongrédien, Le Théâtre-Italien de Paris, 1801-1831, vol. 1, Lyon : Symétrie, 2008, p. 60).

161 Voir les crescendos et decrescendos indiqués partout dans Giovanni Battista Rubini, Douze leçons de chant moderne, Paris : Latte, 1839, et dans Mathilde de Castrone Marchesi, L’Art du chant, Vienne : Bösendorfer, 1877, p. 42-45.

162 François-Joseph Fétis, La Musique mise à la portée de tout le monde, Paris : Paulin, 1834, p. 185.

163 François Boisquet, Essai sur le comédien chanteur, Paris : Longchamps, 1812, p. 237, exemple commenté in Charlotte Loriot, La Pratique des interprètes de Berlioz et la construction du comique sur la scène lyrique au XIXe

siècle, thèse, Jean-Pierre Bartoli dir., Université Paris-Sorbonne, 2013, p. 152-153.

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par un apprentissage voisin du langage, il renforce ou même remplace la parole dans certains cas ; dès l’école maternelle on enseigne aux enfants à lever la main pour demander la parole, ce qui n’empêche nullement de doubler occasionnellement le geste silencieux par un « ici, moi, s’il vous plaît » audible, lorsqu’on n’a pas l’impression d’avoir réussi à capter l’attention du récepteur. L’usage (le vocabulaire) et l’organisation (la grammaire) des gestes sont régis globalement par la « gestuelle ». Pour un spectateur comprenant ce code visuel, c’est-à-dire disposant des bonnes références culturelles (habitude du théâtre, connaissance de l’iconographie) pour décrypter la gestuelle utilisée, le degré de réussite de la communication et la somme des aspects spécifiques à l’acteur en question constituent son

« jeu ». Puisque l’histrion utilise son corps comme support de ses gestes, le spectateur est amené à apprécier également son physique (voir Figure 18).

jeu faculté du chanteur mouvement unité émise par le chanteur geste

système poétique gestuelle qualité appréciée par le spectateur physique

sens récepteur du spectateur vue

Figure 18 – La perception du jeu d’acteur au théâtre lyrique

À un niveau plus abstrait nous pouvons repérer la même structure pour les pensées transmises. Procédons par analogies. Si l’unité de pensée est l’idée, le classement, l’organisation hiérarchique et linéaire des idées sont l’objet de la rhétorique. C’est le code qui structure le message, celui qui, lorsqu’on peut en prévoir la forme permet d’en jouer et d’atteindre une efficacité supérieure. Si le spectateur est manipulé convenablement, il reconnaitra dans la pensée bien ordonnée une force expressive. Notre système de correspondances assure donc que l’expression est à la pensée ce que le jeu est au mouvement : il s’agit de deux qualités perçues par le spectateur (voir Figure 19).

expression faculté du chanteur pensée unité émise par le chanteur idée

système poétique rhétorique qualité appréciée par le spectateur intelligence

sens récepteur du spectateur entendement

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« Bon acteur » par son jeu, « spirituel » ou « intelligent » par son expression, le chanteur peut encore briller par sa voix. Très directement liée à l’identité (au sens d’image de soi), la phonation repose au XIXe siècle sur un code à la fois « culturel » (sens habituellement lié à un type d’événement musical dans un langage donné 164) et « naturel » (référence à des usages plus « instinctifs » de la voix tels que le rire, les pleurs, les cris de douleurs et de joie). La gestuelle illustre généralement des actions, plus rarement des mots, et la rhétorique organise un discours. C’est donc au confluent des deux, dans une zone d’abstraction intermédiaire que se situe la parole, qu’elle soit parlée ou chantée. La terminologie est lacunaire sur ce point, et les textes d’époque confondent le plus souvent sous la dénomination « art du chant » tout un ensemble de compétences débordant la notion que nous voulons isoler ici.

Stéphen de La Madelaine employait le substantif féminin « la vocale » pour signifier les usages de la voix chantée, mais cette forme trop rare et le lien étroit du vocable à ce seul auteur ne nous satisfont pas entièrement. De plus, d’autres auteurs donnent un sens différent à ce mot ; il est parfois pris pour équivalent de « voyelle » 165. « Le terme de vocalité est maintenant usuel 166 », écrit le musicologue Bruno Bossis. En effet, les dictionnaires 167 et l’usage moderne 168 connaissent le mot « vocalité », au sens fort incertain. Nous avons opté pour lui en donner un nouveau qui nous appartienne, sans exclure ni trahir les emplois déjà connus, afin de « tisser ensemble les définitions modernes […] et les significations anciennes 169 ». Rodolfo Celletti (1917-2004) utilisait vocalità, traduit en français « vocalité » par Hélène Pasquier et Roland Mancini, au sens de « exécution

164 Voir la théorie des topiques exposée par Michel Noiray, Vocabulaire de la musique de l'époque classique, Paris : Minerve, 2005, p. 222-225, d’après les travaux de Léonard Ratner, Classical music, New York : Schirmer, 1980 (sur « topical content », voir p. 615).

165 Voir par exemple Marié, Formation de la voix, Paris : Heugel, p. 1.

166 Bruno Bossis, « Introduction », La voix et la machine, Rennes : PUR, 2005, p. 9.

167 Le terme « vocalité » n’est retenu ni par Larousse, ni par Littré, ni par le Dictionnaire de l’Académie. L’édition 1835 et l’édition 1935 de ce dernier conservent d’ailleurs pour l’adjectif « vocal » la même définition déjà reconduite sept fois depuis 1694, selon laquelle vocal s’oppose à instrumental pour qualifier la musique ou mental pour qualifier la prière.

168 L’outil d’analyse Ngram Viewer permet d’estimer que l’usage du mot « vocalité » se développe à partir des années 1980, en comparant sa fréquence dans le corpus des livres numérisés en plein-texte par Googlebooks

relativement à des mots comme « porte », « Napoléon », etc.

(https://books.google.com/ngrams/graph?content=vocalit%C3%A9&year_start=1800&year_end=2000&corpus

=19&smoothing=3&share=&direct_url=t1%3B%2Cvocalit%C3%A9%3B%2Cc0#t1%3B%2Cvocalit%C3%A9%3B%2 Cc1, consulté le 20 mars 2015).

169 Rémy Campos, François-Joseph Fétis musicographe, Genève : Droz, 2013, p. 17.

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vocale », par analogie à l’exécution instrumentale 170. La vocalité sera désormais un code propre à un contexte culturel, organisant les sons (avec tous leurs paramètres variables : timbre, durée, hauteur, intensité, attaque) à la manière d’un « système poétique ». Le tableau suivant (voir Figure 20) résume tout le système de communication décrit jusqu’ici.

vocalité gestuelle rhétorique

faculté du chanteur phonation mouvement pensée

unité émise par le chanteur son geste idée

sens récepteur du spectateur ouïe vue entendement

qualité appréciée par le spectateur voix physique intelligence

catégorie d’effet chant jeu expression

Figure 20 – Les systèmes poétiques de l’action oratoire au théâtre lyrique

La vocalité d’un rôle correspond à l’ensemble des gestes vocaux (son filé, formant, pianissimi, port de voix, etc.) et moyens musicaux (rubato, roulades chromatiques, etc.) nécessaires pour exécuter ce rôle tel qu’il a été conçu ; c’est donc une restriction du système poétique dans lequel l’ouvrage est composé, un sous-ensemble des possibles de l’interprète.

Il est facile de déduire de cette définition la vocalité d’un emploi ou d’une catégorie vocale, comme étant le bagage technique et musical lié à une série de rôles similaires dans un répertoire donné. De même, la vocalité d’un interprète sera l’ensemble des éléments de vocalité qu’il met habituellement en œuvre. On pourra également parler des vocalités au pluriel, par exemple pour signifier qu’un rôle peut être envisagé avec des moyens différents selon la typologie de l’interprète, ou alors qu’au cours d’une même partition, un des rôles fait appel à des vocalités relevant d’emplois différents. La vocalité d’un compositeur ou d’un ouvrage rassemblera les éléments de vocalité présents dans l’écriture ou adjoints au moment de la création, voire les éléments qui leur sont implicitement substitués à une époque plus tardive pour se conformer à l’évolution du goût. Si l’on décrète un air mal écrit pour la voix, c’est qu’on le juge incohérent avec notre vocalité de référence, alors qu’il n’est peut-être pas inchantable. Au contraire, quand on parodie le chant, c'est à travers un écart ou une exagération par rapport à une vocalité de référence bien identifiée. Chanter comme Untel signifiera copier sa vocalité, et non imiter sa voix. Par extension, il est possible de faire référence à une vocalité sans la copier tout à fait ; par exemple, on peut imiter la vocalité du

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jodel, c’est-à-dire les caractéristiques habituellement liées au voisinage de l’effet vocal de saut de mécanisme, en fabriquant des sauts de registres résonantiels et en jouant sur l’assiette du timbre sombre/clair. La vocalité proche du parler est un domaine particulièrement exploité dans les genres comiques : elle implique notamment un ambitus réduit, une intonation salie, un phrasé plus court, un rubato spontané désorganisé et un timbre dans lequel la fondamentale est très présente 171. Avec une telle plasticité, l’identité de la voix finit parfois par se perdre dans la vocalité. Le compositeur Reynaldo Hahn note à ce propos un imbroglio lexicographique courant à son époque :

« Pour dire que quelqu’un a une jolie voix, un homme du peuple déclare : ‘’Il chante bien !’’ Pour dire que quelqu’un chante bien, un homme du monde s’écrie : ‘’Il a une jolie voix !’’ Égaux devant l’ignorance. 172 »

Nous avons fait le même genre de constat un siècle plus tard avec des enfants peu musiciens qui, amenés à se juger entre eux du point de vue de leur chant, décrétaient « il chante juste » ou « il chante faux » selon le degré de conformité, non de l’intonation émise à la note sur la partition ou à la hauteur entendue, mais bien de la vocalité à la référence discographique. La qualité de la phonation et la qualité du chant doivent être distinguées si l’on veut pouvoir envisager l’interprétation. La musicologue Marie-Noëlle Masson exprime aussi la nécessité de « penser la musique à distance de la voix même 173 » afin de comprendre comment peut exister un modèle vocal pour l’instrument, voire pour la voix. Par exemple, l’indication « bien chantant » désigne selon nous une vocalité, celle qui coïncide avec la conception courante du chant lyrique. La notion est variable au cours du temps, mais valable en tout moment donné. On peut d’ailleurs à l’inverse imiter l’articulation d’un instrument comme la clarinette 174, et c’est encore une vocalité.

171 Cette liste de paramètres musicaux est tirée de Vincent Cotro, « Ornette Coleman, de la pensée intérieure au geste vocal », Bruno Bossis, Marie-Noëlle Masson et Jean-Paul Olive, Le Modèle vocal, Rennes : PUR, 2007, p. 184.

172 Reynaldo Hahn, « L’Ardoise de Beckmesser », L’oreille au guet, Paris : Gallimard, 1937, p. 223.

173 Marie-Noëlle Masson, « Introduction », Bruno Bossis, Marie-Noëlle Masson et Jean-Paul Olive dir., Le Modèle vocal, Rennes : PUR, 2007, p. 9. L’auteur expose ensuite les théories du linguiste Émile Benveniste et du philosophe Jean-Jacques Rousseau.

174 Voir Stéphen de La Madelaine, Chant / Études pratiques de style vocal, vol. 1, Paris : Albanel, 1868, p. 131.

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Il ne faut pas oublier que tous ces codes se surimposent au texte chanté. Tandis que la diction correcte doit permettre au public de ne pas perdre une syllabe 175, c’est le domaine de la déclamation de rallier timbre, ligne mélodique et signification, en empruntant à la langue parlée des caractéristiques expressives, que l’on développe et que l’on fixe dans un langage musical. Ajuster ses effets dans un style donné demande donc à l’interprète beaucoup de précision, pour obtenir à la fois l’intelligibilité et la justesse d’expression. Or, nous nous situons dans un contexte où le message n’est pas improvisé mais conçu par un collectif de professionnels (librettistes, compositeurs, chefs de chant, etc.) en collaboration avec – et sous le contrôle desquels – le chanteur incarne un énoncé longtemps préparé. Le vocabulaire (mots, gestes, idées, sons) utilisé n’est donc pas le sien propre, et il importe de savoir à quel niveau d’abstraction se situe la collaboration, la négociation. Bien sûr, on peut concevoir que l’on corrige un geste ou un son en cas de maladresse de l’acteur, ou qu’on lui fasse compliment ou reproche sur son jeu et son chant en général ; cependant, on montrera que c’est sur le plan rhétorique que l’on discutait le plus souvent, que l’on argumentait pour faire changer l’intention fautive ou qui ne conduisait pas à un résultat satisfaisant. En effet, dans le cas du chant, la signification associée par convention à chaque effet, chaque couleur que l’artiste tire de son instrument, constitue une palette qui permet à tous les interlocuteurs susnommés de se comprendre. Aussi la vocalité apparaît-elle comme centrale dans la composition lyrique et l'interprétation vocale.

En tant que niveau d’élaboration commun à des musiciens professionnels, et sujet à des mises au point orales entre eux, la vocalité apparaît comme la clef de voûte qui permet de rejoindre les arcs épars de l’édifice des traces parvenues jusqu’à nous. Il faut aujourd’hui traquer les indices de la pratique musicale effective pour documenter cet aspect à la fois

En tant que niveau d’élaboration commun à des musiciens professionnels, et sujet à des mises au point orales entre eux, la vocalité apparaît comme la clef de voûte qui permet de rejoindre les arcs épars de l’édifice des traces parvenues jusqu’à nous. Il faut aujourd’hui traquer les indices de la pratique musicale effective pour documenter cet aspect à la fois