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d) Les satellites

1.2 L’ ENSEIGNEMENT DU STYLE

Nous venons de traiter de la première étape de l’apprentissage du jeune chanteur : la vocalisation. Notre plan d’étude suit rigoureusement celui du cursus d’un élève du

XIXe siècle, tel que rapporté en 1870 par Fétis :

« C’est dans la classe de vocalisation que l’élève apprend […] les principes de l’art du chant. [Puis, le professeur de chant] fait chanter des vocalises, des airs, indique le phrasé, les ornemens du chant, et souvent contrarie dans l’application les principes du maître de vocalisation. [Enfin, le professeur de déclamation] fait chanter et jouer à la fois les scènes comme il les sent, non selon le sentiment de l’élève, qui se persuade qu’il n’y a qu’une manière absolue pour phraser et accentuer, se formule sur son maître, considère cette formule comme l’art du chant véritable, et préoccupé de tant de choses, accorde moins d’attention et de temps aux éléments, c’est-à-dire à l’art réel ; en sorte qu’en définitive, il n’y a plus ni organe formé, ni habilité consommée dans les moyens d’exécution, ni conception originale. 157 »

Après avoir détaillé le travail de la voix, c’est-à-dire la « formation de l’organe » et des

« moyens d’exécution », nous allons approfondir la pédagogie menant idéalement l’élève à développer une « conception originale » qui constitue « l’art du chant véritable », celui de

« phraser » et « d’accentuer », non seulement correctement, mais avec un goût personnel 158. Or, définir un style de chant français impose de réfléchir d’abord aux rapports entre la langue française et le langage musical.

a) Prolégomènes

Qu’est-ce que phraser ?

Beaucoup d’avertissements pédagogiques se réfèrent à une analogie entre le chant et le langage, élément présent dès la toute première méthode du Conservatoire : « un chant mal phrasé devient mal ordonné, inintelligible ; […] une bonne méthode de phraser est au chant,

157 François-Joseph Fétis, « Introduction », Méthode des méthodes de chant, Mayence : Schott, 1870, p. 5.

158 « On ne devra jamais oublier que la première condition d’un grand style est la correction parfaite. Si l’on y joint un profond sentiment, bien analysé, bien fixé et fortement exprimé, c’est l’idéal de l’interprétation. »

L’APPRENTISSAGE AU CONSERVATOIRE 101

ce que la connaissance de la syntaxe est au langage. 159 » Cette conception du phrasé musical relève vraisemblablement en France d’un héritage rousseauiste 160, et prend ses racines dans la déclamation théâtrale des siècles précédents 161. Ce savoir-faire acquis par la pratique des exercices 162 et du répertoire vocaux, les interprètes en font bénéficier les compositeurs notamment au moment des créations, en concevant avec eux certaines parties de la partition ou en déplaçant des mots pour rendre le geste vocal plus agréable et plus beau. Nous avons déjà évoqué le cas du texte intégralement écrit par Nourrit pour son grand air de La Juive (voir notre introduction générale) ; dans le cas où la collaboration n’a pas eu lieu au moment de l’écriture, certains traités comme celui de Lesfauris (1854) rappellent qu’il est du ressort de l’interprète – ou de son professeur – de corriger la partition en modifiant les paroles ou leur placement :

« Si le compositeur a compris le génie musical de la langue, il créera des rythmes et des dessins en relation avec les vers, et la musique sera en quelque sorte la dilatation de la parole ; […] si la poésie et la musique ne sont pas faites l’une pour l’autre, c’est au chanteur à harmoniser la musique de l’idiome avec l’œuvre musicale ; c’est ce que j’appelle la diction lyrique. 163 »

Selon Garaudé, même hors de toute intention et de tout effet, le phrasé s’appuie au moins sur la syntaxe des paroles, et rejoint alors la question de la prosodie :

159 Bernard Mengozzi et Pierre-Jean Garat, « De la phrase musicale », Méthode de chant du Conservatoire de musique, Partie 2, Paris : Imprimerie du Conservatoire de musique, [1804], p. 61.

160 Voir les citations de Rousseau. dans L. Bouché, De l’Art du chant, Nogent-le-Rotrou : Gouverneur, 1872, p. 52-55 (l’auteur de cet ouvrage, sur lequel nous disposons de fort peu d’informations, nous semble avoir été le créateur de Salvador dans La Perle du Brésil de Félicien David au Théâtre-Lyrique le 22 novembre 1851). Une courte citation du philosophe genevois est déjà présente à propos de phrasé dans la Méthode du Conservatoire, op.cit., p. 61.

161 De manière de plus en plus courante au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la quantité des pauses (ou respirations) fut notée avec les signes de ponctuation : « L’art de la ponctuation doit donc se régler sur deux bases également essentielles : sur la nécessité de respirer, après avoir prononcé une phrase d’une certaine étendue, et sur la subordination des propositions incidentes à la proposition principale, et encore sur celle des sens partiels au sens total ; de sorte que la ponctuation sera parfaitement régulière lorsque les signes en seront gradués proportionnellement à ce qu’exigent les besoins de la respiration, combinés avec la dépendance mutuelle des parties de la phrase. » (Napoléon Landais, Grammaire, Paris : Bureau central, 1835, p. 593, cité d’après Nicole Rouillé, Le Beau Parler françois, Sampzon : Delatour, 2008, p. 110). Landais est une référene pour certains chanteurs comme Milhès (voir Isidore Milhès, Guide du chanteur, Paris : Boieldieu, 1854, p. 130-133).

162 Voir infra nos remarques sur l’exercice de la gamme.

163 J. Lesfauris, Unité de la voix chantée, Paris : Remquet, 1854, p. 24-25.

102 UNE ÉCOLE DE CHANT

« L’accent prosodique ou grammatical n’est que l’observation scrupuleuse des longues et des brèves. Lorsque le sens des paroles et de la phrase n’a qu’une intention vague, cette observation doit diriger les inflexions de la voix. 164 »

C’est un lieu commun que de parler de Lulli notant les accents de la Champmeslé 165 pour marquer le départ d’une tradition lyrique française fondée sur la déclamation parlée. Les traces flagrantes d’intonations tragiques dans les contours mélodiques notés vont largement jusqu’au milieu du XXe siècle avec des œuvres comme Le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn 166. Le modèle souverain pour illustrer le sens du texte avec une diction expressive est donc la déclamation parlée, moyen terme entre la conversation et le chant :

« S’il est utile, pour perfectionner sa prononciation, de lire d’abord à haute voix la phrase qu’on doit chanter, il n’est pas moins nécessaire de la déclamer, pour retrouver ensuite, avec la voix chantée, les intonations et les valeurs de sonorité qui conviennent aux sentiments qu’on doit exprimer. 167 »

« Valeur » se rapporte ici à la fois aux « mots de valeur » et aux « valeurs rythmiques » (longueur des sons dans le temps). Trouver les pierres angulaires sur lesquelles appuyer son discours, et donc son chant, est une science en soi : Saint-Saëns insiste sur la puissance d’une rhétorique bien sentie qu’il admire chez Delsarte : « Rien n'était plus intéressant que de lui voir disséquer une fable de La Fontaine, une tirade de Racine, et de lui entendre expliquer pourquoi c'était sur tel mot, sur telle syllabe et non sur telle autre, que devait porter l'accent, briller la lumière. 168 » Pour ce qui est de la prosodie au temps de Gilbert Duprez, des sommités comme Charles Gounod (1818-1893) sont les gardiens d’un

164 Alexis de Garaudé, Méthode complète de chant, 1841, Chapitre 6 « De la prononciation, de l’accent et de la prosodie », p. 137.

165 Voir à ce sujet les travaux d’Antonia L. Banducci, professeur à l’université de Denver, invitée le 5 mai 2014 au séminaire du Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur la Musique et les Arts de la Scène (Centre Clignancourt, université Paris-Sorbonne) pour évoquer « Les actrices et acteurs comme muses chez Lully et Campra », après une introduction de Raphaëlle Legrand intitulée « Interprètes et co-auctorialité dans la musique lyrique ».

166 Reynaldo Hahn, Le Marchand de Venise, opéra en 3 actes créé le 25 mars 1935 à l’Opéra de Paris. Écouter par exemple l’air de Shylock enregistré par André Pernet (Gramophone DA 4871, s.d. [1929-1938]), avec la gradation croissante des « Je le hais » typique de la construction rhétorique classique. Le principe en est couramment rappelé dans les méthodes : « Il faudra changer l’expression d’un mot répété, ou en augmenter la force, quand le sentiment devra rester le même » (Claire Hennelle, Rudiment des chanteurs, Paris : Meisonnier, 1843, p. 39).

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faire consommé que recherchent tous les apprentis-compositeurs, parmi lesquels Henri Büsser (1872-1973) :

« “Qu’avez-vous dans votre serviette, mon ami ? Serait-ce votre cantate de concours ?” En effet, je l’avais apportée avec le secret espoir de la jouer à celui qui serait un de mes principaux juges. […] Aussitôt je me mis au piano, Gounod me tournant les pages, chantant parfois avec moi. […] L’audition terminée, Gounod, […]

me dit […] : “Mon petit, ta cantate est bonne, tu as de la mélodie, tes accents sont justes, ta déclamation est excellente.” […] “Cher Maître, cette déclamation n’est pas de moi, elle est de vous !” – “Comment cela ?” – “Quand vous êtes venu nous mettre en loge au Conservatoire, et que vous nous avez dicté le texte du poème, j’ai noté soigneusement au crayon rouge, les longues, les brèves et toutes vos intentions. Vous nous avez donné, sans vous en douter, une merveilleuse leçon de style dramatique, par la manière admirable dont vous avez déclamé les vers que nous avions à traiter. Vos précieuses indications ont facilité singulièrement notre tâche.” 169 »

Une fois la prononciation assurée et le phrasé soigneusement conçu, l’intelligibilité du discours devient possible. Cependant, il faut encore y adjoindre une formulation musicale tenant compte des spécificités de l’instrument vocal, pour que la ligne mélodique puisse épouser les contours de la déclamation en rentrant dans un cadre esthétique lyrique et donner enfin naissance au chant. Cet autre code expressif auquel il faut que l’énoncé s’adapte, c’est le style musical.

Qu’est-ce que le(s) style(s) du chant ?

Il est frappant de constater que la forme idéale du discours procède encore, à l’époque des premières rhapsodies et souvenirs, d’une rhétorique classique. Musicalement, cette caractéristique est indissociable d’un phénomène de syncrétisme omniprésent : avant même que Galli et Banderali rejoignent le corps enseignant sur la demande des directeurs successifs, les principaux rédacteurs de la Méthode du Conservatoire étaient un professeur italien, Mengozzi, et le basque Garat, qui fut perméable aux façons ultramontaines 170 ; autre auteur-chanteur important, Luigi Lablache (1794-1858) a fait sa carrière dans le répertoire

169 Henri Büsser, De Pelléas aux Indes galantes, Paris : Fayard, 1955, p. 60. Gounod appréciait suffisamment Büsser pour le placer comme organiste à Saint-Cloud puis comme chef d’orchestre à l’Opéra-Comique (voir William Ashbrook, « Four vintage Fausts », Opera Quaterly, vol. 19, no 3, 2003, p. 577).

170 « Il s’amusait à imiter l’accent, la méthode des chanteurs italiens alors en vogue » (Monnais, « Garat », in Biographie universelle, ancienne et moderne / supplément, t. 65, Paris : Michaud, 1838, p. 135).

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italien 171 ; Garaudé lui-même fut très influencé par Rossini 172. C’est donc une part réellement italienne du belcanto qui féconde le chant français au début du XIXe siècle. Cette importation culturelle avait déjà été préparée par l’arrivée à Paris des solfèges italiens 173 à la fin du XVIIIe, ouvrages qui resteront en usage très longtemps 174. L’héritage italien s’exprime dans la pédagogie vocale dès l’établissement du registre par des exercices quotidiens. Ainsi la fameuse « gamme » 175, par laquelle commencent une majorité des méthodes de chant jusqu’aux années 1850, offre une architecture parfaitement symétrique, où chaque son, filé avec une régularité métronomique, revient à l’intensité dont il est parti avant de s’enchaîner au suivant. L’organisation des intensités et du souffle (directions et respirations) à l’intérieur des phrases musicales dans les vocalises plus développées reste calquée sur ce modèle symétrique, et semble en conformité avec la composition du répertoire lyrique :

« La règle générale du goût et de l’expression pour toute espèce de musique consiste, à enfler les sons lorsque les notes montent et à les diminuer lorsqu’elles baissent. Ce qui fait voir que le goût et l’expression se réduisent à ce point unique, Filer les sons. Mais comme il n’est pas de règle générale sans exception, nous allons donner ici quelques avis particuliers, qui feront connaître celles qui se rencontrent dans la musique vocale, et qui donneront les moyens de l’exécuter dans sa perfection.

1° Le bon goût dans la musique vocale, demande que l’expression soit analogue aux paroles où au sujet que l’on traite ; ayant toujours néanmoins pour principe de filer les sons. Observez qu’on peut filer les sons sur toute espèce de notes, sur les brèves aussi bien que sur les longues ; mais lorsqu’on les file sur les brèves, les nuances de la voix se font sur plusieurs notes ensemble que l’on passe dans un ou plusieurs temps.

171 Voir Clarissa Cheer, The Great Lablache, Bloomington : Xlibris, 2009, p. 495.

172 Voir L. Loiseau de Morisel, Alexis de Garaudé, Paris : Vinchon, 1855, p. 5.

173 « Le solfège d’Italie, gravé pour la première fois en 1784, eut un succès prodigieux, et fit abandonner tous les solfèges français qui existaient alors. » (Castil-Blaze, Dictionnaire de musique moderne, Bruxelles : Académie de musique, 1828, p. 230).

174 Voir la réclame pour la réédition des Solfèges d’Italie par Édouard Batiste (Le Ménestrel, 13 janvier 1867, p. 56) et les mémoires d’Henri Maréchal sur la classe de solfège de Batiste vers 1861 (« Paris, souvenirs d’un musicien, 185.-1870 (3e article) », Le Ménestrel, 29 avril 1906, p. 125).

175 L’exercice de la gamme consiste à filer des sons : on attaque chaque son très doucement, puis on l’enfle jusqu’au fort et l’on revient ensuite tout aussi graduellement au doux avant de respirer et de passer au suivant.

On monte ainsi puis l’on redescend une gamme diatonique couvrant toute la tessiture (zone de confort de la voix, un peu plus courte que l’étendue totale). Voir la description de l’exercice par Alexis de Garaudé, Méthode complète de chant, seconde édition, Paris : L’Auteur, 1841, p. 20-21. Ne surtout pas confondre « la gamme » et

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2° Le bon goût et le genre moderne exigent encore que l’on ne passe jamais quatre notes de force égale, c’est-à-dire sans enfler ni diminuer le son. Marquer une note de temps en temps dans les différents traits qui se rencontrent, et surtout dans les chants doux, donne beaucoup de grâce à l’expression. On entend par marquer une note, la forcer subitement, et de suite la diminuer.

3° Comme la perfection de l’exécution dépend beaucoup de la respiration, il est indispensable de rappeler ici qu’on doit surtout savoir respirer à propos. 176 »

Le respect de ce modèle caractérise quasiment à lui seul la « bonne » musique vocale, et impose une périodicité avec laquelle les paroles chantées doivent pouvoir s’accorder. Pour le compositeur comme pour le poète, il en découle presque une langue du chant, un moule particulier dans lequel s’exprimer. Le rôle de l’interprète est de retrouver lors de l’exécution les traces de cette fusion opérée au moment de la composition, et éventuellement d’en pallier les défauts. Un artiste confirmé peut ensuite marquer de son sceau la musique restituée :

« Avoir du style, c’est, après s’être pénétré de la pensée intime du compositeur, interpréter un rôle ou un morceau de chant, en appliquant les règles établies et sanctionnées par le goût. Avoir un style, c’est ajouter de plus à l’interprétation un cachet de personnalité qui vous distingue des autres artistes. 177 »

C’est la deuxième définition qui rallie naturellement les critiques 178 et les hommes de théâtre 179, et nous développerons dûment ses conséquences (voir § 2.2c). Pourtant, lorsqu’il s’agit de musique, le cadre imposé est plus contraignant, et les témoignages de chanteurs illustrent à volonté cette opinion : « Pour comprendre la formation d’une phrase musicale, les inflexions, les suspensions, les changements, etc., etc., en un mot, tout ce qui se rattache au style, il convient, à la vérité, d’avoir fait préalablement de bonnes et solides études musicales. 180 » Il existe un rudiment que nous pouvons qualifier de « style d’époque » :

176 André Degola, « Du Goût et de l’Expression », Méthode de goût et d’expression, Paris : L’Auteur, s.d., p. 17.

177 Jean-Baptiste Faure, La Voix et le chant, Paris : Heugel, 1886, p. 216-217.

178 « STYLE. On se sert de ce mot, en parlant de musique, pour désigner le caractère distinctif d’une composition ou du talent d’un exécutant. […] À l’égard de l’exécution, c’est une certaine manière individuelle que l’artiste s’est faite, et qui est le fruit de son organisation et de ses études. » (François-Joseph Fétis, La Musique mise à la portée de tout le monde, Paris : Paulin, 1834, p. 386).

179 « Avoir un style personnel, c’est s’inspirer de tous les grands maîtres et n’en imiter aucun. » (Henri Dupont-Vernon, L’art de bien dire, 9e édition, Paris : Ollendorff, 1903, p. 255).

180 Louis-Alphonse Holtzem, « Causes de la décadence de l’art du chant », Bases de l’art du chant, Paris : Girod, 1865, p. 152.

106 UNE ÉCOLE DE CHANT

« La première règle mélodique, c’est d’aller en mesure. La seconde, de suivre dans son mouvement ascensionnel la phrase qui monte en l’augmentant de force, puis, de la diminuer lorsqu’elle descend. Faites valoir les notes altérées par des inflexions. 181 »

Ce qui pourrait sembler un soulignement grossier de la construction des phrases voulue par le compositeur, est en réalité un modèle pour interpréter des profils mélodiques beaucoup plus complexes – ce que Degola décrit comme « filer plusieurs notes ensemble ». Le principe du son filé transposé à l’échelle de la phrase, voire de plusieurs phrases, constitue un guide pour retrouver systématiquement une conduite du son, du souffle et de la pensée conforme à un idéal vocal. En d’autres termes, inscrire le chant dans une alternance d’élans et de désinences bien proportionnées (alias arsys/thésis) permet de phraser élégamment, selon les canons de l’époque. On comprend alors le raccourci parfois opéré dans les méthodes :

« si l’on s’habitue dès le commencement à bien respirer, on arrive insensiblement à bien phraser, ce qui forme l’art du chant. 182 » Évidemment, réduire l’art du chant à la gestion du souffle est un peu réducteur…

Le pédagogue Alexis de Garaudé (1779-1852) stipule qu’à ce balancier régulier dans l’intensité doit s’ajouter une variété dans le timbre, dépendante du texte et de la ligne mélodique :

« On doit s’exercer à savoir modifier de diverses manières le timbre de sa voix, selon l’expression de la phrase littéraire et musicale ; la voix doit être tour à tour douce, forte, solennelle, méprisante, majestueuse, mélancolique, plaintive, voilée, éclatante. 183 »

L’intention dramatique, la signification globale devrait ainsi pouvoir passer par la voix sans qu’il soit nécessaire de prêter attention aux paroles. D’infinies nuances, qu’il faut deviner dans la partition, permettraient d’en tirer la « substantifique moelle », de transcender les limitations de la notation musicale pour livrer directement aux auditeurs le sentiment que l’auteur a voulu transcrire :

181 Louis-Alphonse Holtzem, Bases de l’art du chant… 2de éd. entièrement remaniée, Paris : Girod, 1886, p. 43.

182 Piermarini, Analyse explicative de mon cours de chant, Paris : Chaix, 1856, n.p..

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« On ne saurait trop se hâter de chercher à saisir le style, la couleur et le sentiment du morceau dont on veut être l’interprète. La musique n’a pas besoin du secours des paroles pour exprimer un sentiment quelconque. […] C’est la pensée d’un compositeur dont on se fait l’interprète : Or l’interprète matériel, c’est le croque-note, l’interprète moral c’est le chanteur. 184 »

Duprez semble définir ici : d’une part, ce que nous appelons le « style d’auteur » ; d’autre part, une sensibilité au caractère musical plus difficile à cerner. Si l’on se réfère aux catégories qu’il distingue dans les « études vocales » et les « études de style » de son dernier traité 185, on parlera de « styles » au pluriel, selon le mouvement rythmique (andante, allegro, etc.) et le système prosodique (syllabique ou mélismatique). Ce peut être aussi une distinction selon le genre auquel se rattache le morceau : opéra, opéra-comique, romance…

Duprez semble définir ici : d’une part, ce que nous appelons le « style d’auteur » ; d’autre part, une sensibilité au caractère musical plus difficile à cerner. Si l’on se réfère aux catégories qu’il distingue dans les « études vocales » et les « études de style » de son dernier traité 185, on parlera de « styles » au pluriel, selon le mouvement rythmique (andante, allegro, etc.) et le système prosodique (syllabique ou mélismatique). Ce peut être aussi une distinction selon le genre auquel se rattache le morceau : opéra, opéra-comique, romance…