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L A RECONNAISSANCE DES CONSERVATEURS

À l’intérieur de l’ensemble dévoilé chez le galeriste parisien Georges Petit, quelques toiles reflètent, de manière plus ou moins marquée, les affinités intellectuelles de Sorolla avec les membres de l’Institution Libre d’Enseignement. Sur les paysages des montagnes du Guadarrama notamment, la presse madrilène ne manque pas de signaler l’influence des idées libérales prônées et mises en pratique par Francisco Giner de los Ríos et son entourage. Mais comme l’exposition n’a pas lieu à Madrid mais à Paris, elle est aussi perçue comme une projection de l’Espagne vers l’extérieur. Il faut rappeler que le pays traverse alors un moment clé de son histoire puisque, le 31 mai 1906, le roi Alphonse XIII a épousé la princesse anglaise Victoria Eugenia de Battenberg. Cette union laisse présager un renouveau politique. Aussi, en dévoilant les portraits des savants et des artistes espagnols les plus éminents de son époque, l’exposition inaugurée le 12 juin met en valeur une Espagne “moderne”, dit Ricardo Blasco.47 De là, il n’y a qu’un pas – aussitôt franchi – vers une autre perception du peintre espagnol. Car la presse libérale, et même la presse conservatrive, qui n’avait jamais jugé favorablement sa peinture, décèle derrière ces toiles une intention “patriotique”. Cette vision des choses représente indéniablement un facteur supplémentaire qui incite la Maison Royale à s’attacher les services de Sorolla, dès son retour en Espagne. Les archives de presse du Musée Sorolla comprises entre les années 1902 et 1907 traduisent un glissement idéologique de la réception critique, de la gauche vers la droite. En effet, tandis que les journalistes d’El Pueblo disparaissent de la communauté d’interprétation, ceux du quotidien conservateur La Época la rejoignent. Une nouvelle étape dans l’histoire de la réception de son œuvre est sur le point de commencer.

Pour le journaliste et dramaturge Ricardo Blasco, la première exposition personnelle de Sorolla va répandre une nouvelle image de l’Espagne dans le monde à travers une série de portraits et de paysages :

47. Ricardo Blasco, “La Exposición Sorolla en París”, La Voz de Guipúzcoa, Saint-Sébastien, 06/1906.

Sorolla, además de traerse en sus cuadros el sol de España, con toda la fuerza de color y calor con que vibra en las costas, las playas y las huertas valencianas, ha traído en hermosos retratos de Echegaray, Galdós, Cajal, Blasco Ibáñez, Canalejas y otros ilustres compatriotas mucho de nuestras glorias de la Ciencia, las Letras, la Elocuencia unidas a la suya propia pintura.48

En avril, Alejandro Saint-Aubin avait visité l’atelier du peintre juste avant que les tableaux ne fussent emballés. Dans un article, il affirme que les portraits qui allaient être envoyés à Paris mettraient en lumière une génération de penseurs.49 Il fait référence aux portraits de quelques amis du peintre dont on se rappelle, pour José Canalejas, Vicente Blasco Ibáñez et Benito Pérez Galdós, le soutien qu’ils lui avaient apporté quelques années auparavant lorsqu’il était encore “salonnier”. Il faut ajouter à cette liste ceux du dramaturge José Echegaray (1832-1916), des peintres Aureliano de Beruete et Antonio Gomar (1853-1911), du sculpteur Mariano Benlliure, de l’historien Manuel Bartolomé Cossío (1857- 1935), de la soprano Lucrecia Arana (1871-1927), de la comédienne María Guerrero et enfin, du scientifique Santiago Ramón y Cajal (1852-1934).50 Tous étaient dignes d’être comparés, sur le plan international, aux esprits les plus brillants de leur époque. Il faut rappeler, par exemple, que Mariano Benlliure a obtenu un Grand Prix de Sculpture lors de l’Exposition Universelle de 1900, Echegaray a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1904 et Ramón y Cajal vient de décrocher le Prix Nobel de Médecine pour ses travaux sur le système nerveux (1906).

48. Ricardo Blasco, “La Exposición Sorolla en París”, La Voz de Guipúzcoa, San Sébastien, 06/1906. « Sorolla, outre qu’il apporte dans ses tableaux le soleil de l’Espagne, avec toute l’intensité de couleur et de chaleur avec laquelle il vibre sur les côtes, les plages, les jardins de Valence, a fait venir dans de beaux portraits de Echegaray, Galdós, Cajal, Blasco Ibáñez, Canalejas et d’autres illustres compatriotes, beaucoup de nos gloires des Sciences, des Lettres, de l’Éloquence unies à sa propre peinture. »

49. Alejandro Saint-Aubin, “Visitando estudios : Joaquín Sorolla”, Heraldo de Madrid, Madrid, 04/1906.

50. José Canalejas, 131’5x97, Madrid, Chambre des députés, 1906. Vicente Blasco Ibáñez,

127x90, New York, HSA, 1906. Benito Pérez Galdós, 75x100, Las Palmas de Gran Canaria, Casa-Museo Pérez Galdós, 1894. José Echegaray, 100x133, Madrid, Collection de la Banque d’Espagne, 1905. Aureliano de Beruete, 115’5x110’5, Madrid, Musée National du Prado, 1902. Familia Benlliure Arana, 128x91, Collection particulière, 1906.

Santiago Ramón y Cajal, 91x127’5, Saragosse, Musée Municipal, 1906. Bartolomé Cossío, non localisé. Retrato de María Guerrero, 131x120’5, Madrid, Musée National du

Francisco Giner de los Ríos considère que les paysages de Sorolla ont autant d’intérêt que les “personnes”.51 L’exposition de la Galerie Petit comprend des paysages peints dans quatre régions différentes : Valence, les Asturies, la Galice et la Castille. Pour les membres de l’Institution Libre d’Enseignement, le territoire et ses habitants constituent le socle de l’identité nationale. Ils ont fondé une société en 1886 afin d’étudier le massif du Guadarrama – au nord-ouest de Madrid – d’un point de vue géologique, hydrographique, botanique, etc.52 Suivant l’exemple d’Aureliano de Beruete et de Jaime Moreira y Galicia, à partir de l’hiver 1905-1906 Sorolla part en excursion dans ce massif afin de peindre sur le motif une série de paysages des montagnes enneigées.53 À leur manière, les trois peintres contribuent à la connaissance et à la valorisation de ce territoire. Sorolla collectionne jusqu’à six toiles de son ami Beruete : une vue du massif du Guadarrama, deux paysages de Madrid peints au bord du fleuve Manzanares, deux paysages de Tolède et un paysage de la Sierra Nevada.54 Un autre membre de l’Institution, le docteur Luis Simarro Lacabra, possédait une des réalisations majeures de Sorolla, María con la sierra al fondo : un portrait de sa fille convalescente qui, suivant les conseils du médecin, prend l’air revigorant de la montagne.55

Autour de 1906, la peinture du Valencien est indissociable du courant idéologique “régénérationniste” même si, à l’évidence, d’autres influences la traversaient. Dans l’Enciclopedia de Historia de España, dirigée par Miguel Artola, le “régénérationnisme” est présentée de la façon suivante :

Surge como concepto y como práctica política, social y cultural a finales del siglo XIX, en una España sumergida en una crisis multifactorial, de la que la pérdida de la hegemonía por parte del bloque oligárquico de poder es el factor fundamental, en

51. Propos reccueillis par : Leonard Williams, “El pintor Sorolla juzgado en el extranjero”, El

País, Madrid, 22/05/04.

52. Nicolás Ortega Cantero, Paisaje y excursiones : Francisco Giner, la Institución Libre de

Enseñanza y la Sierra del Guadarrama, Madrid, Raíces, 2001.

53. Laura Arias Serrano, La Universidad Complutense y sus fondos de pintura contemporánea: los Sorollas del legado Simarro” in La Universidad Complutense y las

Artes, Madrid, UCM, 1995.

54. Aureliano de Beruete, El Guadarrama desde la Moncloa, 48x79’5, Madrid, MS, 1893. La

Alhambra. Granada, 14’8x27’5, Madrid, MS, 1895. Orillas del Manzanares, 16’6x33’3,

Madrid, MS, 1900. Lavaderos en el Manzanares, 57’5x81, Madrid, MS, 1904. El Tajo.

Toledo, 53x48, Madrid, MS, 1908. Toledo desde el castillo de San Servando, 43x53’5,

Madrid, MS, 1910.

tanto que el desastre colonial de 1898 (pérdida de los territorios ultramarinos) será el catalizador o el detonante para que estalle tal crisis.56

Ce courant poursuit, comme un idéal, l’édification d’une Espagne modernisée, capable de rivaliser sur les plans industriel, scientifique, pédagogique, littéraire, artistique, etc. avec les grandes puissances de l’Europe du XXe siècle, c’est-à-dire l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Italie. En cherchant à former une génération neuve, plus instruite et plus responsable que celle qui avait conduit le pays au Traité de Paris, l’Institution Libre d’Enseignement est le fer de lance de ce courant.

Dans un article intitulé, “Cajal y Sorolla”, Vicente Ballester Soto (inc.-inc.) affirme que seuls les sciences et les arts ont échappé à la décadence de l’Espagne et continuent à briller au niveau européen :

Nada somos, nada representamos en la política europea; no figuramos lo más mínimo en el concierto de las grandes naciones libres de la Tierra; estamos fracasados como hombres de espíritu emprendedor, y nada de lo que constituyó nuestra corona de laurel en otros tiempos sirve y aprovecha: sólo la ciencia y el arte con sus cultivadores entusiastas nos realzan y honran, devolviendo a la madre patria su prestigio, más brillante, más potente y más firme ahora que antes.57

Dans l’ère qui s’annonce, les découvertes scientifiques et les progrès artistiques constitueraient des conquêtes inaliénables, pensait-on, alors même que la guerre venait de mettre en évidence la vulnérabilité d’un empire territorial éclaté et distant de l’Espagne de plusieurs milliers de kilomètres. L’espoir d’un pays renaissant sur des bases nouvelles s’inscrit dans le prolongement d’une idée

56. Miguel Artola, Enciclopedia de Historia de España, V. Diccionario temático, Madrid, Alianza, 2001 (1991), page 1027. « Le régénérationnisme voit le jour comme une notion et comme une pratique politique, sociale et culturelle à la fin du XIXème siècle, dans une Espagne immergée dans une crise multifactorielle, dont la cause fondamentale est la perte d’hégémonie d’une partie du bloc oligarchique, et pour laquelle le désastre colonial de 1898 (perte des territoires d’Outre-mer) constitue le catalyseur et l’élément déclencheur. » 57. Vicente Ballester Soto, “Cajal y Sorolla”, El País, Madrid, 2/11/1906. « Nous ne sommes rien, nous ne représentons rien dans la politique européenne ; nous ne jouons pas le moindre rôle dans le concert des grandes nations libres de la Terre ; Nous avons échoué en tant que peuple à l’esprit conquérant, et rien de ce qui constitua notre couronne de lauriers à une autre époque nous est utile ni profitable : seuls la science et l’art, incarnés par ses enthousiastes représentants, nous mettent en valeur et nous font honneur, en rendant à la mère patrie son prestige, plus brillant, plus puissant et plus solide aujourd’hui qu’hier. »

largement répandue à l’époque, selon laquelle, seuls les Beaux-Arts auraient échappé au déclin.58 À ce titre, la peinture et la sculpture l’emportent probablement sur tous les autres arts car le pays compte au moins deux sculpteurs d’envergure européenne : Mariano Benlliure et Miguel Blay (1866-1936) qui décrochent ensemble le Grand Prix de l’Exposition Universelle de 1900.59 Et on pourrait ajouter encore à ces deux arts la photographie car l’Espagnol d’origine danoise Christian Franzen (1864-1923) brille lors du même événement et remporte une récompense équivalente. Sorolla fait sa connaissance en 1903 et le photographe de la Cour, dont l’atelier se trouve à deux pas du Palais Royal, l’aide à préparer une commande publique intitulée La Regencia.60 Il peint son portrait la même année.61

En 1901, Jacinto Octavio Picón compare son pays à un navire en perdition qui, dans son naufrage, n’aurait réussi à sauver que les arts : « Nos han derrotado por las armas un pueblo de mercaderes ricos ; estamos pobres y a todas horas repetimos que nos devoran la corrupción y la ignorancia, del naufragio de nuestra gloria solo hemos salvado el arte. »62 Dans la préface du livre de Ramón Sánchez Díaz (1869-1960), Juan Corazón (1906), Joaquín Costa (1846-1911) ne “sauve” que la peinture : « No he encontrado una sola zona, fuera quizá del arte pictórico, que no acuse en nosotros una marcada inferioridad respecto de los demás pueblos europeos, cuando no una franca y radical incapacidad. »63 Le “salut” peut donc venir de la peinture et, pour un observateur comme Manuel González Martí, l’exposition Petit en est la démonstration.

Le Valencien signe un article intitulé “Sorolla dignificador” sous le pseudonyme de Folchí. Il y prétend que Sorolla a redonné un peu de dignité à son pays en détruisant l’image erronée que l’on s’en fait encore à l’étranger.64 En

58. Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895), page 55-65.

59. Anonyme, “Las medallas de honor en la exposición de París”, ABC, Madrid, 8/07/1900. 60. La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministère des Affaires Étrangères, 1906.

61. El fotógrafo Christian Franzen, 100x66, Madrid, Collection privée, 1903.

62. Jacinto Octavio Picón, “Sorolla”, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901. « Un peuple de commerçants enrichis nous a défaits par les armes ; nous voilà pauvres et à toute heure nous répétons que la corruption et l’ignorance nous dévorent, du naufrage de notre gloire nous n’avons sauvé que l’art. »

63. Joaquín Costa (préface) in Ramón Sánchez Díaz, Juan Corazón, Madrid, Fernando Fé, 1906. « Je n’ai pas trouvé un seul domaine, en dehors peut-être de l’art pictural, qui ne démontre pas chez nous une nette infériorité par rapport aux autres peuples européens, quand il ne s’agit pas d’une franche et radicale incapacité. »

1900, l’année où Sorolla remporte le Grand Prix de peinture, le pavillon espagnol de l’Exposition Universelle de Paris véhicule, selon Alejandro Saint-Aubin, une image pathétique du pays.

Pena da pensar que detrás de aquellos muros, que evocan las grandezas épicas de la España de Carlos V, encuentren los visitantes el bullicio de un café jitanesco, donde entre los excesos del más desganado cante flamenco, se oiga la voz del mulato Mory, recordando, no sé si para llorarlas o escarnecerlas, pero sí seguramente para profanarlas, las páginas tristes de nuestra guerra de Cuba.65

En 1906, la perception de l’Espagne à l’étranger, particulièrement en France, est encore fortement influencée par les lieux communs répandus par la littérature romantique et / ou par les régionalistes de droite, voire carlistes. La redécouverte de ce pays, au milieu du XIXème siècle, avait été guidée par l’idée qu’il n’avait pas été contaminé par les nouveautés du monde moderne, notamment par les effets néfastes de l’industrialisation. Là résidait toute sa beauté et tout son charme. Au cours de son voyage, Théophile Gautier s’intéressa, par exemple, au peuple gitan, aux courses de taureaux, à la mantille et à l’éventail comme à des vestiges du passé qui auraient traversé les âges sans subir d’influences extérieures, du moins le croyait-il.66 En France, ces idées toute faites ont nourri une élite cultivée qui, à son tour, recherchait dans la peinture espagnole des représentations fidèles à cet imaginaire.

En 1904, l’historien d’art britannique Leonard Williams (inc.-inc.) déplore l’influence de la demande française sur la production artistique espagnole.67 Selon lui, les tableaux en provenance d’Espagne ne représentent pas ce pays tel que leurs auteurs le voient mais tel que leurs riches clients l’imaginent. Cette analyse est partagée par Alejandro Saint-Aubin, selon lequel les héritiers de la peinture noire de Francisco de Goya (1746-1828), en particulier Ignacio Zuloaga, José Gutiérrez Solana et Julio Romero de Torres, perpétuent une image fantasmée de

65. Alejandro Saint-Aubin, “Arte y artistas”, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1900. « On a du mal à imaginer que derrière ces murs, qui rappellent les grandeurs épiques de l’Espagne de Charles Quint, les visiteurs découvrent l’agitation d’un café gitan, où parmi les excès du chant flamenco le plus pathétique, résonne la voix du mulâtre Mory, rappelant, je ne sais pas si pour les pleurer ou les tourner en ridicule, mais certainement pour les profaner, les pages tristes de notre guerre de Cuba. »

66. Édition consultée : Théophile Gautier, Voyage en Espagne, Paris, Hachette, 1981 (1843). 67. Leonard Williams, “El pintor Sorolla juzgado en el extranjero”, El País, Madrid,

l’Espagne pour vendre leurs tableaux. Dans le passage qui suit, on reconnaît facilement ces trois peintres que cet auteur situe aux antipodes de Sorolla et de sa peinture lumineuse.

No seguirán formando con los lienzos de Sorolla la equivocada y tristísimo idea que de nosotros tienen en el Extranjero, contemplando la figura de toreros momificados y repugnantes, de naranjeros negros, descendientes de la raza karabalí, de amazonas con sombrero calañés, de mendigos y mujeres astrosas con pegotes de negro de humo por cejas… Sorolla demostrará con retratos maravillosos que no es hoy España un país de pandereta, y que entre nosotros existen pensadores, hombres de Ciencia, literatos, artistas, damas distinguidas, caballeros decentemente vestidos y otra cosa, en fin, que idiotas, rufianes, maletillas de la torería, dueñas y brujas.68

Ce genre de distinction entre deux courants picturaux majeurs de l’Espagne du début du XXe siècle ouvre la voie à une lecture réactionnaire de la peinture de Sorolla et il très parlant, à cet égard, de rencontrer dans Heraldo de Madrid une traduction d’un article du Hongrois Max Nordau (1849-1923), le théoricien de “l’art dégénéré”. Selon lui : « La España que Sorolla ha querido mostrar al Extranjero es la del pensamiento moderno, del trabajo fecundo, del progreso radical; en una palabra, la España europea, y no la antigua España morisca, es decir, africana. »69 Plus tard, sous la dictature nazie, les théories de cet auteur justifieront la censure des avant-gardes au profit d’un “art racial pur” inspiré des modèles classiques, grecs et romains.

Même si l’heure n’est pas encore à une vision aussi radicale et orientée de la peinture de Sorolla, la réception de l’exposition Petit est indéniablement imprégnée d’une forme de conservatisme bien perceptible dans les colonnes de Heraldo de Madrid. D’ailleurs, l’adhésion du journal La Época, qui ne s’était

68. Alejandro Saint-Aubin, “Visitando estudios : Joaquín Sorolla”, Heraldo de Madrid, Madrid, 04/1906. « L’affligeante et mensongère idée que l’on s’est faite de nous à l’étranger, en contemplant des toreros momifiés et répugnants, des vendeurs d’oranges basanés descendants de la race karabali, des amazones aux chapeaux à bords relevés, des mendiants et de femmes malpropres, etc. tout cela prendra fin avec les toiles de Sorolla. Il démontrera avec des portraits merveilleux que ce pays n’est pas aujourd’hui une Espagne d’opérette et que, parmi nous, il y a des penseurs, des hommes de Science, des écrivains, des artistes, des dames distinguées, des hommes bien mis et d’autres choses encore, au fond, que des idiots, des ruffians, des apprentis toreros, des maquerelles et des sorcières. » 69. Max Nordau, “Sorolla y Max Nordau”, Heraldo de Madrid, Madrid, 13/06/1906.

« L’Espagne que Sorolla a voulu montrer à l’étranger est celle de la pensée moderne, du travail fécond, du progrès radical ; en un mot, l’Espagne européenne, et non pas l’ancienne Espagne morisque, c’est-à-dire africaine. »

encore jamais montré partisan du Valencien, atteste une nouvelle perception du peintre. Le quotidien madrilène, fondé en 1849, fut dirigé de 1887 à 1933 par Alfredo Escobar Ramírez (1858-1953), marquis de Valdeiglesias, qui en a fait le premier organe conservateur du pays. En 1906, le quotidien publie une traduction d’une bonne critique publiée en France dans le journal boulangiste L’Intransigeant, en ajoutant en note : « Hay un interés patriótico, sin duda, en propagar estos elogios de Sorolla, hechos por Rochefort, y a él respondemos copiando lo que antecede, y celebrando, como es natural, ese triunfo en París de nuestro arte contemporáneo. »70 La Época publie ensuite deux autres articles avant la fin de l’année 1906 et beaucoup d’autres suivront. À l’occasion de la mort du peintre, un article hommage intitulé “Una gran pérdida nacional” soulignera l’amitié du roi pour son portraitiste.71 Le quotidien valencien Las Provincias rejoint la même ligne critique et l’on peut s’interroger sur les raisons d’une telle réévaluation de Sorolla dans la presse de droite.

Force est de constater, tout d’abord, que si le peintre avait été jadis associé à Valence et aux républicains, cette vision des choses est désormais caduque. D’abord, en 1906 Sorolla envoie à Paris le tableau La Regencia, une commande du Ministère des Affaires Étrangères et un portrait d’Alphonse XIII adolescent. L’année suivante, il entre au service du roi ce qui écarte, au passage, toutes les