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L A PHILOSOPHIE POLITIQUE FACE AUX TENSIONS ETHNIQUES

Dans le document L'école et le défi ethnique. (Page 189-200)

La différenciation socio-ethnique de la société fait plus que se refléter à l‘école, elle s'y reconstruit au sein des rapports scolaires. Or, les processus ethniques dont l‘école est le cadre dérogent, pour une partie d'entre eux, aux attentes collectives sur la justice et sur l‘efficacité du service public de l'éducation. Plus généralement, la différence culturelle ethnicisée pose à tout régime démocratique un problème de justice et un problème d‘unité : un problème d‟identité nationale. Il faudrait donc réagir.

Appelons politique de l'ethnicité à l'école une orientation de l'action publique, à quelque niveau que ce soit, qui prenne en charge les processus ethniques pour tenter d‘en limiter les effets non souhaitables et peut-être tirer parti d'autres aspects. Comment penser une telle ligne politique ?

Présentons à grands traits le débat sur la solution des problèmes de l‘ethnicité en philosophie politique : ses maîtres mots sont justice du système, discussion, reconnaissance. Ces orientations amènent à reposer la question de la culture commune et de l‘identité nationale. Au chapitre suivant, nous focaliserons sur la visée formative de l‘école démocratique – formation d‘un citoyen assuré de lui-même, acteur compétent enclin à s‘engager dans la coopération sociale.

DISCUSSION, EQUITE DU SYSTEME, RECONNAISSANCE : COMMENT LA PHILOSOPHIE POLITIQUE PENSE RESOUDRE LES TENSIONS ETHNIQUES

La philosophie politique contemporaine admet que la société est plurielle, d‘une double pluralité morale et culturelle. Elle se confronte par suite à deux défis philosophiques : celui du consentement des citoyens aux institutions démocratiques (défié par la pluralité des valeurs) et celui de la cohésion sociale nécessaire à la stabilité de ces institutions (défiée par la pluralité culturelle)332.

Deux modèles principaux ont été élaborés, qui proposent des solutions à la question des attentes de justice des membres d‘une société démocratiquement organisée, dans un contexte de pluralité : la pragmatique de la discussion développée par Jürgen Habermas,

Françoise Lorcerie

332 Voir l‘analyse de Daniel WEINSTOCK (1998), La citoyenneté comme ‗réponse‘ au problème du pluralisme des sociétés modernes, in J. Black, H. P. Glenn, D. Juteau, D. Weinstock, Les Enjeux de la citoyenneté. Un bilan interdisciplinaire. Montréal, Immigration et métropoles, Working paper.

et l‘approche par l‘équité du système, dont John Rawls a été l‘initiateur avec sa Théorie de la justice (1971)333. Nous les présenterons rapidement.

UN CADRE COMMUN, PROTEGE DE LA LOI DU PLUS FORT

Le modèle proposé par Habermas repose sur les possibilités pragmatiques de la discussion [Habermas, 1992 ; Habermas, Rawls, 1997]. Pour lui, seuls les concernés peuvent parvenir aux solutions équitables de leurs problèmes ou litiges relatifs au vivre-ensemble, en pratiquant la discussion argumentée dans une relation de réciprocité interpersonnelle. « La discussion pratique est en mesure, grâce à ses caractéristiques pragmatiques insoupçonnées, de garantir une formation de la volonté telle que les intérêts de tout un chacun puissent être mis en évidence sans que soit déchiré le tissu social qui lie objectivement chacun à tous ». Comme principe d‘universalisation, Habermas propose donc : « Chaque norme valide devrait pouvoir trouver l‘assentiment de tous les concernés pour peu que ceux-ci participent à une discussion pratique »334. Selon lui, la capacité d‘adopter un point de vue moral, ainsi entendue, n‘est pas conditionnée par l‘âge et la maturité de l‘individu. De même, le ‗bien‘ ainsi déterminé ne souffre pas d‘être relatif au contexte et aux participants, la discussion est en effet par définition toujours ancrée dans l‘ici et maintenant, mais elle tend à s‘affranchir de l‘enfermement dans les particularismes grâce à la recherche d‘arguments convaincants pour autrui : « Les limites du monde de la vie concret de la famille, de la tribu, de la ville ou de la nation [...] ne peuvent être dépassées que dans des discussions, pour autant que dans les sociétés modernes, celles-ci soient institutionnalisées. Les argumentations dépassent per se les mondes de la vie particuliers ».

LA JUSTICE DU SYSTEME CONSTITUTIONNEL

Rawls, quant à lui, propose une hypothèse sur les principes de justice sur lesquels tous les partenaires d'une discussion ‗originelle‘ désengagée des inscriptions sociales particulières pourraient s‘accorder. Selon son hypothèse, ces principes forment le socle normatif des démocraties occidentales, ce sont les règles qui rendent possible la coopération sociale sur la base de l‘équité, et l'on peut s'attendre à ce qu'elles soient reconnues comme justes par tous. Rawls les formule ainsi dans ses écrits récents :

« (1) Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.

(2) Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :

333 Nous ne discuterons pas ici des philosophies qui argumentent les droits collectifs des minoritaires à perpétuer leur mode de vie, car elles se fondent sur les demandes de groupes minoritaires dans certaines configurations sociales, par exemple des « autochtones » en Amérique ou en Australie, les Anglais au Québec... Or, les immigrés en Europe ne formulent pas ce type de réclamation. On ne le confondra pas avec les conflits autour du droit à la religion. Ce droit est, lui, un droit positif reconnu entre autres par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l‘homme et des libertés fondamentales (1950), mais la France en fait traditionnellement une interprétation restrictive (le droit français ne reconnaît expressément que la liberté de culte).

334 Habermas résout ainsi le problème de la détermination du principe kantien « Agis toujours selon la maxime dont tu puisses en même temps vouloir qu‘elle devienne une loi universelle », dans un environnement marqué par la pluralité morale et culturelle.

(a) elles doivent d‟abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalité des chances,

et (b) elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. » [Rawls, 1995, p. 347]

Dans le principe (1), exigence d‘un système extensif et égalitaire de libertés de base, et dans la partie (b) du second principe, exigence que l‘accès à la richesse et aux fonctions d‘autorité se fasse sur la base d‘une compétition équitable (« égalité des chances »), nous reconnaissons volontiers la structure idéale des institutions libérales issues de la chute des « anciens régimes ».

La partie (b) du second principe est plus spécifique à la vision actuelle de l‘exigence d‘une lutte contre les inégalités, elle a été longuement commentée. C‘est une clause d‘équité des conséquences des politiques publiques : étant admis qu‘il y a des individus désavantagés, la régulation des inégalités socio-économiques effectuée par le système doit être telle qu‘elle bénéficie à ces derniers plus que toute autre régulation. Dans quel domaine Rawls prévoit-il ainsi la nécessité d‘un pilotage vigilant (« conséquentialiste ») de la part de l‘Etat et des agences publiques ? Il y a dans la liste de ce que Rawls nomme les « biens premiers » deux domaines où l‘inégalité est de fait et doit être régulée pour faire en sorte qu‘elle n‘engendre pas des désavantages illégitimes : la distribution des revenus, et les « bases sociales du respect de soi-même ». Il faut entendre par là, précise Rawls, les « aspects des institutions de base qui sont, en général, essentiels aux citoyens pour qu‘ils aient un sens réel de leur propre valeur en tant que personnes et pour qu‘ils soient capables de développer et d‘exercer leurs facultés morales et de faire progresser leurs buts et leurs fins en ayant confiance en eux-mêmes » [Rawls, 1995, p. 366].

LA RECONNAISSANCE DES IDENTITES CULTURELLES

Chaque modèle répond-il à la nécessité de donner à chacun « la certitude qu‘il a bien sa place » dans la société335 ? Comment traiterait-il l‘objection d‘un Charles Taylor selon laquelle l‘individu doit être reconnu dans son identité personnelle et collective, car « la reconnaissance est un besoin humain vital » [Taylor, 1994] ?

La théorie de la « justice comme équité » de Rawls, ne place pas au niveau de la justice de base du système le droit de chacun à une vision positive de son origine, en revanche elle y inscrit le droit aux « bases sociales du respect de soi-même », qui est selon Rawls un « bien premier » : il ne fait pas partie des libertés de base mais il en conditionne la jouissance. C‘est en quoi il sera fondamentalement de la responsabilité de l‘Etat, si l‘on suit Rawls, dans une société bien organisée démocratiquement, de prévenir et sanctionner les discriminations ethniques, et d‘atténuer autant que possible la saillance de la catégorisation ethnique au sein de la communauté politique. Il doit faire en sorte que la décatégorisation ethnique soit assurée autant que possible. Le modèle rawlsien est muet sur les dispositions publiques à mettre en œuvre. Il exclut un droit à la reconnaissance, mais, si l‘on pousse le raisonnement « conséquentialiste », il n‘est pas sûr qu‘il ne légitime pas une forme de reconnaissance publique pour faire perdre à la catégorisation ethnique sa virulence et assurer à chacun l'opportunité de considération

335 Expression employée par Martine Aubry, alors ministre de l‘Emploi et de la solidarité, pour justifier l‘engagement d‘une politique de lutte contre les discriminations (1998).

sociale à laquelle il a droit fondamentalement. Pour prendre un exemple français, l'État pourra-t-il garantir aux Algériens d‘origine les bases sociales du respect d‘eux-mêmes sans reconnaître d‘une façon ou d‘une autre leur place dans la communauté nationale ? Selon l‘« éthique de la discussion », c‘est par la participation égalitaire de tous les membres à la discussion sur les questions qui les concernent en commun, que se résoudrait la question de la reconnaissance. On peut s‘attendre, pense Habermas, à ce que la procédure de discussion par elle-même restaure pleinement chacun dans sa dignité de membre tout en débouchant sur des solutions pratiques. L‘échange des points de vue finira par instaurer un « universel pragmatique, construit à partir de la perspective de chacun en tant qu‘il peut faire valoir ses intérêts de concerné ». De fait, la psychologie sociale montre que la discussion favorise le sentiment de justice, même si l‘individu n‘est pas d‘accord avec la décision finale336 ; et que le vécu de la réciprocité favorise l‘estime de soi et le sentiment de bien-être337. Pour Habermas, pas de reconnaissance identitaire en dehors de « l‘agir communicationnel » : sa procédure génère une modalité dialogique de reconnaissance, qui doit protéger les individus minorisés de l‘imputation d‘altérité et amener autrui à les confirmer.

LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DE LEDUCATION DEVANT LES TENSIONS ETHNIQUES

L’ECOLE COMME ESPACE PRIVILEGIE

Le modèle rawlsien souligne la responsabilité générale de l‘État en matière d‘égalité interethnique, il répond à la question ‗pourquoi‘ ; mais il laisse ouverte la question

‗comment‘. Quant au modèle de Habermas, il focalise sur la modalité interactionnelle de l‘égalité, il traite les tensions ethniques par une procédure qui favorise la considération mutuelle. Encore faut-il que l‘échange ainsi conçu soit rendu possible par les institutions. On serait tenté de conclure que les deux modèles peuvent être complémentaires. Pour penser en quoi pourrait consister le retour à la justice face aux processus ethniques, ils proposent, pris ensemble, la solution suivante : les dissensions qui impliquent l‘ethnicité se résolvent, d‘une part, par l‘expérience pratique de la réciprocité médiatisée par le langage, et d‘autre part, à condition que les institutions publiques soient justes, et notamment qu‘elles assurent chacun de sa dignité.

Ce type de solution inspire la réflexion sur la prise en charge de l‘ethnicité en éducation.

Peut-être même la philosophie politique trouve-t-elle à l‘école un espace de mise en œuvre privilégié. A l‘école, en effet, il est possible d‘organiser des discussions aboutissant à des décisions sur des problèmes qui concernent les élèves, dans un cadre régulé selon l‘éthique de la discussion, avec le maître comme garant en dernier ressort.

La pédagogie institutionnelle, certaines pédagogies coopératives, ont montré les intérêts multiples de cette forme pédagogique, nous y reviendrons. Mais dans la vie sociale, où sont les forums de discussion démocratique (Habermas lui-même a décrit naguère la

336 Voir les expériences relatées par AssaadAZZI (1994), La dynamique des conflits intergroupes et les modes de résolution de conflits, in Richard Bourhis, Jacques-Philippe Leyens, eds., Stéréotypes, discrimination et relations intergroupes, Liège, Mardaga, p. 301.

337 Cf. BUUNK Bram, SCHAUFELI Wilmar (1999), Reciprocity in interpersonal relationships : an evolutionary perspective on its importance for health and well-being, European Review of Social Psychology (10), p. 259-291.

dégradation de l‘espace public du fait de la vassalisation de l‘opinion publique par les médias de masse338), et, si les gens avaient des décisions à prendre au travers de discussions publiques, face à la complexité des problèmes réels, qu‘est-ce qui assurerait que l‘accord démocratique se fasse sur une décision pertinente ? De même, il est possible d‘instituer à l‘école des règles de justice et de respect mutuel satisfaisant aux critères rawlsiens, en veillant à les faire connaître et prévaloir. Ici encore, depuis Dewey (1916) et sa réflexion sur l‘école démocratique, divers courants pédagogiques ont travaillé sur l‘idée que l‘école est une « petite société » qui peut et doit être plus juste que la société environnante339. Pour la société globale, il est de la responsabilité de l‘Etat, souligne Rawls, de donner toute publicité aux principes de la justice de base - et l‘école est un instrument de cette connaissance -, mais bien d‘autres changements sont en cause340.

EGALITE, AUTONOMIE, PAROLE : DES PRINCIPES SENSIBLES

La réflexion philosophique sur la prise en charge des faits d‘ethnicité présente en termes nouveaux l‘exigence d‘égalité à l‘école, elle renouvelle aussi la pensée de l‘autonomie, elle donne enfin une importance neuve à la parole de l‘élève.

La question de l'égalité

La prise en compte de l‘ethnicité renforce l‘approche critique du principe d‘égalité devant l‘éducation scolaire. Elle alerte sur les illusions de l‘égalité de traitement : s‘ils n‘y prennent pas garde, les agents scolaires transposent dans leur jugement professionnel les préjugés que véhicule la catégorisation sociale et ethnique.

Positivement, le paradigme de l‘ethnicité montre que l‘égalité des individus, loin de se suffire d‘une garantie juridico-administrative, implique une dimension psycho-sociale et une vigilance organisationnelle. On souscrira à l‘idée que l‘égalité est réalisée « quand chaque membre de la société se regarde comme fondamentalement l'égal de tous les autres, et est regardé par les autres comme fondamentalement leur égal », pour citer le philosophe David Miller341. La réflexion sur l‘ethnicité souligne ainsi le besoin d‘une acception relationnelle de l'égalité dans la vie scolaire, elle amène à dégager un principe d‘égalité des « compréhensions sociales », dit encore Miller. Elle invite à penser prioritairement, au titre de l‘égalité, non pas seulement des distributions, mais aussi des relations.

338 Jürgen HABERMAS (1962/1978), L‟Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris, Payot.

339 Voir DEWEY John (1975, éd. o. 1916), Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin. Et pour un débat dans l‘espace francophone, DURKHEIM Emile (1938), L'Education morale, nouvelle édition, Paris, Félix Alcan, à qui répond Jean PIAGET (1932, nouv. éd. 1973), Le Jugement moral chez l‟enfant. Spéc. chap. 4, Les deux morales de l‘enfant et les types de relations sociales. Paris, PUF.

340 Le chapitre 7, première partie de cet ouvrage, propose un essai d‘analyse des paramètres du changement en France aujourd‘hui.

341 Cf. MILLER David (1995), Complex Equality, in David Miller & Michael Walzer, eds., Pluralism, Justice and Equality, Oxford, Oxford University Press, p. 199-200.

La question de l'autonomie

Pour la philosophie classique de l‘éducation, l‘autonomie est une vertu personnelle : c‘est la capacité, supposée universelle quoique inégalement développée chez chaque individu, de soumettre ses pulsions à la volonté guidée par la raison. Au nom de la prise en charge de la pluralité morale de la société, Rawls argumente quant à lui une conception qu‘il nomme « politique », et non morale, de l‘autonomie. Pour Rawls, l‘organisation juste de la société est celle qui permet à tous d‘être « des membres normaux et coopérant pleinement dans la société » (on pourra dire sensiblement la même chose pour l'organisation d'une école par rapport à ses élèves). Quelles sont les facultés morales qu'il faut supposer au citoyen dans cette perspective, se demande Rawls ? Deux facultés apparaissent essentielles : il doit avoir une conception de son bien, quel que soit son contenu (Rawls assume qu'il y a dans la société des conceptions du bien « incommensurables entre elles »), et une conception de la justice de base (en entendant par là le réglage collectif de la vie ensemble qui assure la coopération équitable entre personnes libres et égales). Ces deux facultés fondent l'autonomie au sens « politique ». L‘autonomie en ce sens relève du « raisonnable », non du

« rationnel ». Et c‘est elle qui est une qualité proprement civique. Par hypothèse, en effet, tous les membres de la société en sont capables, à condition - souligne Rawls - que les principes de la justice politique (c‘est-à-dire la justice de base de la société) jouissent d'une « complète publicité », de sorte à ce que les membres puissent « en venir à comprendre ses principes en se basant sur l'idée de la société comme système équitable de coopération » [Rawls, 1995, p. 110]. A cette conception de l‘autonomie individuelle, correspond un droit universel au respect (Taylor, 1998, souligne ce point).

L'autonomie comme idéal moral personnel reste assurément un objectif recommandable, mais il n'est pas sur le même plan, il n'engage pas aussi essentiellement les institutions publiques.

Cette conception de l‘autonomie est clairement en décalage avec l‘idéologie républicaine, mais comment ne pas la rapprocher des conclusions auxquelles sont parvenues les instances françaises chargées de dire le droit dans les affaires de foulards islamiques ? Elles en sont homologues. Pour Rawls, le concept de justice, qui est au fondement de l'unité de la société et de l'allégeance des citoyens aux institutions, est politique ; il est, écrit-il, « indépendant du concept de bien et antérieur à lui ». La paraphrase de la formule de Rawls donnerait ceci : le concept de laïcité de l'État est indépendant du concept de laïcité des personnes et « antérieur » à lui. C'est effectivement la structure de l'avis du Conseil d'État du 27 novembre 1989, repris et explicité, sur ce point particulièrement, par la circulaire du ministre de l'Éducation nationale du 12 décembre 1989. L'État garantit la laïcité du service, et cette laïcité même garantit aux usagers la gamme de libertés la plus large possible (dans les limites exigées par le fonctionnement du service), ... y compris le droit de n'être pas laïques au sens moral du mot342. Autrement dit, la laïcité de l'État est une détermination essentielle de la justice politique, tandis que la laïcité des individus est une des conceptions du bien qui s'affrontent dans la société.

342 Discussion dans WIENER Céline (1996), Les foulards noirs et la République, in L'Etat de droit, Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, p. 761-775. V. aussi nos études A propos de la crise de la laïcité en France : dissonance normative, in France Gagnon, Marie Mc Andrew, Michel Pagé, dirs., Pluralisme, citoyenneté et éducation. Montréal, Harmattan Inc., 1996, p. 121-136.Et Laïcité 1996 - La République à l'école de l'immigration ?, Revue française de pédagogie (117), oct.-nov.-déc. 1996, p.

53-85.

L'individu et sa parole : enjeux de reconnaissance

Comment penser « les conditions les plus favorables à la formation du sujet individuel, à son développement, à son affirmation, dans nos sociétés où personne ne nie qu'il puisse exister des différences culturelles », selon les mots de Michel Wieviorka343 ? Cette question fut au départ d'un débat foisonnant aux Etats-Unis sur l'opportunité d'une reconnaissance publique des cultures collectives, au cours des années quatre-vingt-dix [Taylor, 1994]. Passé dans les divers pays occidentaux, le débat s'y est épuisé en polémiques autour des impératifs d'assimilation, de tolérance, de multiculturalisme et de

Comment penser « les conditions les plus favorables à la formation du sujet individuel, à son développement, à son affirmation, dans nos sociétés où personne ne nie qu'il puisse exister des différences culturelles », selon les mots de Michel Wieviorka343 ? Cette question fut au départ d'un débat foisonnant aux Etats-Unis sur l'opportunité d'une reconnaissance publique des cultures collectives, au cours des années quatre-vingt-dix [Taylor, 1994]. Passé dans les divers pays occidentaux, le débat s'y est épuisé en polémiques autour des impératifs d'assimilation, de tolérance, de multiculturalisme et de

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