• Aucun résultat trouvé

L’ECOLE, INSTITUTION HUMILIANTE ?

Dans le document L'école et le défi ethnique. (Page 177-180)

C ADRE SCOLAIRE ET PROCESSUS ETHNIQUES : D ISCUSSIONS

L’ECOLE, INSTITUTION HUMILIANTE ?

Nous avons explicité différentes formes de ségrégation. Le processus d'orientation discriminatoire, dont les élèves ne peuvent prendre une conscience partielle que lorsqu'il se révèle dans ses effets après l'affectation, quand ce n'est pas le regroupement, dans une classe ou dans une filière dévalorisée, joue discrètement.

Combiné à une stigmatisation renforcée par la mise en échec scolaire d'élèves dont certaines caractéristiques sociales sont, par ailleurs, dévaluées, ils décrivent, si ce n'est toujours un contexte, du moins une institution humiliante. La cadre particulier d'un établissement, d'une classe, d'un groupe de pairs, ou l'expérience ponctuelle d'une réaction, d'une action collective ou de marques de solidarité, sinon même de dénonciations de la discrimination dans le rappel des valeurs d'égalité et de fraternité, sont autant d'occasions d'expériences positives de l‘école, et les élèves ne manquent pas d'en rapporter. Il reste que, même si nous avons pu observer de tels moments positifs ou s'ils ont été rapportés, ce fut toujours sur un arrière-plan d'humiliation, directe ou indirecte, de l'individu ou du groupe dont il partage la caractéristique saillante qui est, le plus souvent, "d'être arabe".

Nous voudrions pour conclure, prendre appui sur les réflexions d'Avishai Margalit pour mieux apprécier la tonalité dominante et les effets des expériences scolaires, mais aussi indissociablement sociales, de ces élèves.

Dans le contexte de la société israélienne contemporaine qui compte une minorité dominée et des immigrés, Margalit a dégagé de ses discussions avec des Palestiniens, pendant l'intifada, et avec des immigrants récents en provenance des pays de l'ancien

302 QUERE Louis (1995), La valeur opératoire des catégories, Les Cahiers du SOLIIS, Université de Nice.

303 GOFFMAN Erving (1991), Les Cadres de l'expérience, Paris, Minuit.

304 KOSELLECK R. (1990), Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Ed.

de l'EHESS.

empire soviétique, quelques réflexions à propos de ce que pourrait être une société décente, qui n'humilie pas, et à propos du caractère central dans la vie quotidienne, dans le raisonnement pratique aussi bien que dans la vie politique, des concepts d'honneur et d'humiliation. Le type idéal de la société décente a bien sûr vertu d'instrument pour la critique des sociétés qui ne le seraient pas, tout en se composant à partir des exemples qu'elles apportent.

Dans une opposition à la société civilisée, dont les membres ne s'humilient pas les uns les autres, Margalit propose d'accorder le qualificatif de société décente à celle "dont les institutions n'humilient pas les gens"305. En référence à sa distinction en deux formes d'humiliation institutionnelle, par la loi, à l'exemple des lois antisémites de Nuremberg ou de l'apartheid, et par des "actes concrets d'humiliation institutionnelle", nous pouvons alimenter, cette dernière, des nombreux exemples recensés au long de nos enquêtes. La description des conditions de la scolarisation des élèves issus de l'immigration, et plus particulièrement des Maghrébins, s'inscrit, sans difficulté, sous cette catégorisation.

Les pratiques de discrimination, d'infériorisation et de stigmatisation répondent aux conditions de la définition selon laquelle :

« il y a humiliation chaque fois qu'un comportement ou une situation donne à quelqu'un, homme ou femme, une raison valable de penser qu'il a été atteint dans le respect qu'il a de lui même.(…) Non seulement des comportements et des conditions de vie, mais des situations ne sont humiliants que si ils sont le résultat d'actes ou d'omissions imputables à des êtres humains. »306

Ce n'est pas l'intention qui fait l'humiliation, mais la raison de se sentir humilié. En conséquence, le fonctionnement de l‘école, aussi bien dans ses effets non recherchés que dans ses routines professionnelles, produit de l'humiliation parce que les diverses modalités d'atteinte à l'honneur social peuvent toujours être indexées à un maître, un professeur, un chef d'établissement, si ce n'est à des pairs.

Les conséquences de cette humiliation sont d'autant plus fortes qu'elle est constituée en articulation à ce que nous avons désigné comme le processus de double clôture instituant le groupe d'appartenance au sein duquel peut être totalisée l'expérience collective de la relégation et engagée la délégitimation de cette domination. En prenant pour cible les caractères d'appartenance mobilisés, ou imposés, dans l'auto-définition et constitutifs de ces groupes d'appartenance, l'humiliation atteint sa forme sociale la plus intense et la plus courante.

Les jeunes issus de l'immigration maghrébine subissent une humiliation institutionnelle qui, sans avoir l'intensité de celle que subissent ceux qui ne sont pas membres de la société dans laquelle ils vivent307, peut-être lourde en conséquences. Bénéficiant de la citoyenneté civile308, donc des droits liés au statut de l'individu, et de la citoyenneté politique, ils n'ont pas toujours le sentiment de bénéficier de la citoyenneté sociale qui

305MARGALIT, A. (1999), La Société décente, Paris, Climats, p. 13.

306 Id. ibid., p. 22.

307 Qui sont dépourvus, à l'exemple des immigrés clandestins, de rapport d'appartenance à cette société selon Michael WALZER (1987), Sphères de la justice : une défense du pluralisme et de l'égalité, Paris, Seuil.

308 Margalit reprend ici le concept de citoyenneté en trois strates défini par T.H. MARSHALL dans Class, Citizenship and Social Development, New-York, Anchor, 1965.

devrait assurer, notamment, l'accès à l'éducation et à l'emploi. La relégation scolaire, la discrimination dans l'accès à l'emploi309 attestent, avec une grande régularité, qu'ils ne sont pas "respectés dans leurs droits", et en imposent la conscience. Par ailleurs, renvoyés à un groupe d'inclusion socialement rejeté, ils sont loin de pouvoir jouir de la citoyenneté symbolique qui devrait leur permettre, dans la reconnaissance de leurs particularités, d'accéder au "partage de la richesse symbolique de la société"310. Privés de toute possibilité réelle de retour vers un ailleurs non humiliant, il ne leur reste qu'à subir ou combattre. 311

309 Voir le bilan des recherches sur ce point dans AUBERT France, TRIPIER Maryse, VOURC'H François, dirs. (1997), Jeunes issus de l'immigration. De l'école à l'emploi, Paris, CIEMI / L'Harmattan..

310MARGALIT, op. cit. , p. 153.

311 Ces pages sont adaptées de la conclusion de la thèse d‘Etat de Jean-Pierre Zirotti, La Scolarisation des enfants de travailleurs immigrés en France (dans les années 1970-1980). Idéologie égalitaire et différence culturelle, Université de Nice, déc. 2000.

5. U NE POLITIQUE INTROUVABLE :

Dans le document L'école et le défi ethnique. (Page 177-180)