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L’ostracisation des absents du réseau social numérique

Dans le document Facebook et la réalité des amis virtuels (Page 88-91)

V. Présentation des résultats qualitatifs

5.7 L’ostracisation des absents du réseau social numérique

Dans un autre ordre d’idées, nous avons interrogé les jeunes sur leurs amis n’ayant pas de compte Facebook. Cette question confirme ce qui avait déjà été établi par les résultats du questionnaire, soit que parmi la tranche d’âge étudiée très peu de personnes n’ont pas de profil Facebook. Les étudiants ont presque tous avoué connaître seulement une ou deux personnes ne faisant pas partie de Facebook. De plus, nous avons remarqué une attitude perplexe à l’endroit des absents du réseau, et ce, pour la majorité de nos participants. D’abord, ceux n’ayant pas Facebook sont rares, ce qui entraîne les autres à les repérer facilement et à se souvenir de ceux-ci. Ces derniers sont dès lors identifiés comme différents et/ou indifférents des pratiques sociales populaires. Les étudiants perçoivent ces personnes comme des rebelles ou des opiniâtres qui refusent de céder aux pressions sociales. C’est ce que plusieurs étudiants rencontrés nous ont expliqué en ces mots : « C’est très très rare, c’est les hippies qui ont pas Facebook, ceux qui ont pas Facebook ils ont pas de téléphone cellulaire ils s’en vont 6 mois dans l’Ouest canadien, sinon ils ont tous Facebook ». Ainsi, il semble que le choix des jeunes qui refusent d’adhérer à Facebook reposerait sur des convictions personnelles qui vont à l’encontre des tendances adoptées par leurs pairs.

Toutefois, ne pas faire partie de cet environnement en ligne, vient avec un prix élevé. En effet, Facebook est un endroit où se relaient plusieurs types d’informations relatives à la vie sociale. Les jeunes qui n’ont pas Facebook sont alors mis de côté ou oubliés de ces communications. Les absents du réseau doivent alors compter sur d’autres moyens de communication pour être informés des rencontres sociales, quitte à manquer certains évènements. Pour comprendre cet aspect exclusif de la plateforme, il faut revenir aux pratiques habituelles des étudiants. Comme mentionné précédemment, les étudiants préfèrent organiser des rencontres à travers la plateforme Facebook vu la facilité et rapidité avec laquelle ils peuvent s’adresser à plusieurs personnes simultanément. C’est ce qui ressort de ces propos : « Des fois je trouve que ça semble être plus compliqué de les rejoindre parce que là ont est tellement habitué, on fait un évènement Facebook puis là on invite tout plein de monde, mais là ceux qui ont pas Facebook il faut pas les oublier. Souvent il y en a qui pensent que leur liste d’amis [Facebook] qu’ils ont c’est aussi celle dans la vraie vie alors là ils oublient […], mais en même temps généralement

ces personnes-là qui n’ont ni Facebook ni un cellulaire ça leur dérange pas trop de pas être rejoint. Il y a une des filles qui fait partie de mon groupe d’amis, elle n’a pas de Facebook, pas de cellulaire ça lui tente pas d’en avoir un, c’est appelez-moi chez nous, puis si vous m’appelez pas bien c’est pas grave. En tout cas pour elle ça devrait être comme ça, puis elle l’assume ». Ainsi, ceux qui font partie de la communauté virtuelle doivent faire un effort supplémentaire pour joindre ceux qui n’ont pas vu les messages. Cet effort est d’ailleurs revendiqué par ceux à l’extérieur du réseau social numérique comme preuve de considération envers eux. C’est ce que nous indique cette étudiante : « Je pense qu’eux c’est vraiment un désaccord de dire tant pis j’irais juste pas, tu as qu’à m’appeler tu trouveras un moyen de me contacter si vraiment tu veux me voir ». Ainsi, il semble que certains des étudiants refusant d’adopter Facebook le font pour afficher leur opposition à cette forme de communication.

Lors de nos entretiens, les étudiants ont justifié de différentes façons l’absence de leurs amis dans le réseau social numérique. Ce premier étudiant raconte : « Je vois pas ce qu’il ferait là [son ami] ou qui y pourrait ajouter y a des intérêts totalement autres, puis y est plutôt ermite dans la vraie vie ». En désignant son ami comme « ermite », nous sommes tentés de croire que cet étudiant veut dire que son ami est peut-être moins intéressé par les rencontres sociales. Ceci serait alors cohérent avec les résultats statistiques indiquant que l’extraversion est un trait de personnalité fort influent sur les utilisations de Facebook. D’autre part, cette étudiante nous décrit ainsi ses amis n’ayant pas Facebook : « Oui c’est juste qu’eux ils ont moins une vie […] tous ceux que je nomme ils peuvent partir très bien comme je dis six mois en Colombie- Britannique ils ont pas une vie comment dire fixe ou stable, ils ont pas un emploi stable, une vie universitaire. Ils ont moins besoin de se tenir au courant. J’en ai un justement un de mes bons amis qui est parti comme un an en Inde, il ne veut pas avoir Facebook, je pense ça lui servirait même pas ». Ceci porte à croire que les échanges sur Facebook sont porteurs de sens lorsqu’ils sont ancrés dans un quotidien stable. Pour les étudiants cités ci-haut, semble mener un rythme de vie irrégulier, rendant du coup la plateforme inutile.

Une des étudiantes rencontrées a adopté Facebook précisément pour être informée de nombreux évènements de l’environnement universitaire. Toutefois, elle se dit très peu active et

présente sur la plateforme. Selon ce qu’elle nous explique, elle se doit de justifier son choix auprès de ses amis afin qu’ils respectent celui-ci. « Quand j’explique que c’est parce que je veux te voir parce que je t’aime puis je veux te faire un câlin quand je te vois je veux pas juste mettre un bonhomme sourire puis te dire à la fin je t’aime. À la fin, ils le comprennent. Mais au début oui ça a peut-être pris plus de résistance, mais je leur ai dit je fonctionne pas comme ça ». Ainsi, face au refus de certains à adopter Facebook, les utilisateurs de cette plateforme font souvent preuve de scepticisme à l’égard de cette décision. Il est intéressant de constater que la force coercitive du groupe social est suffisamment forte pour faire adopter Facebook à cette étudiante. D’ailleurs, celle-ci cherche à négocier avec elle-même cette concession en refusant d’utiliser la plateforme comme moyen de communication usuel. « Moi j’ai souvent pensé l’enlever [Facebook] le problème c’est que maintenant y a tout qui se fait sur Facebook. Les gens prennent plus le temps d’appeler pour dire “Tu viens tu souper à la maison” ou “Je fais un party”. Ils prennent plus le temps, même à l’université toutes les affaires de grève c’est tout sur Facebook on dirait que maintenant c’est peut-être niaiseux, mais c’est devenu essentiel pour une certaine vie sociale ».

Il semble que les jeunes utilisateurs soient résolus à convertir ceux qui désobéissent à cette pratique courante. Ainsi, certains de nos participants étaient eux-mêmes peu enclins à joindre le réseau virtuel, mais ont cédé aux nombreux appels de leurs amis. C’est ce que nous dit cet étudiant : « Bon à force que les gens me disent “Vient-en sur Facebook” puis tout ça j’ai dit ben pourquoi pas et je me suis rendu compte des avantages ». À vrai dire, la ténacité de ces étudiants à convertir leurs amis est impressionnante. Une étudiante nous a expliqué qu’elle a délibérément créé un compte pour un ami qui refusait de s’inscrire, précisément dans le but que celui-ci s’initie à la plateforme. « J’avais un autre ami avant [qui disait] “Non je vais pas faire de Facebook, je ne veux pas avoir de Facebook, je m’en fous”. Alors, je lui ai fait un Facebook, mais c’est moi qui lui en ai fait un, en faisant semblant que c’était lui pour qu’il dise “Ah c’est pas moi” et qu’il prenne contrôle. Alors, il l’a fait tout de suite ». En outre, devant cette pression sociale, certains étudiants éprouvent un sentiment de honte lorsqu’ils tardent à adopter la plateforme. Une étudiante explique ce cas : « Oui j’en ai une seule [amie] elle a pas Facebook, mais elle m’a dit qu’elle allait s’y mettre justement là, à la rentré

prochaine, parce qu’elle voit que justement elle loupe pas mal d’affaires […], mais elle veut pas s’y mettre tout de suite parce que les gens vont voir qu’elle va s’y mettre que maintenant. Elle a un peu honte de s’y mettre que maintenant sur Facebook […] elle m’a dit que ça la gênait ».

Enfin, sur cette thématique, il importe de différencier entre les opinions des plus jeunes étudiants rencontrés et celles des étudiants plus âgés. En effet, lors des entrevues nous avons constaté que les participants plus jeunes semblaient étonnés par le choix de leurs pairs de ne pas adopter Facebook. Tandis que les participants âgés de plus de 22 ans, quant à eux, ne semblaient pas s’étonner de ce choix.

Dans le document Facebook et la réalité des amis virtuels (Page 88-91)