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L’origine et le fondement théorique de la socialisation langagière

2. L A SOCIALISATION LANGAGIÈRE

2.2 L’origine et le fondement théorique de la socialisation langagière

Le concept de socialisation langagière étudie les «détails du discours et de l’interaction sociale afin de découvrir les méthodes et les préférences des participants» (Schieffelin, 2007, p. 18). Issue à la fois de la sociologie, de l’anthropologie, avec une perspective ethnométhodologique, la question majeure qui prévaut tout au long de la recherche sur la socialisation langagière est le «comment?» (Kulick et Schieffelin, 2004). Kulick et Schieffelin (2004) et Schieffelin et Ochs (1986a) soulignent que toutes les recherches qui étudient les interactions entre le contexte culturel et l’apprentissage d’une langue ne s’inscrivent pas nécessairement dans une recherche sur la socialisation langagière.

Par ailleurs, dans la socialisation langagière, le langage est un élément qui «participe largement à la construction sociale de la réalité et des formes de sociabilité» (De Pietro, 2002, p. 48). De ce fait, deux éléments entrent en jeu dans la socialisation langagière: le lieu où se déroulent le discours (à l’école, à la maison, au travail, en société) et l’identité avec l’altérité.

2.2.1 L’importance du lieu et de l’identité

Le lieu joue un grand rôle dans la socialisation langagière. Il peut être physique: un pays (Kulick et Schieffelin, 2004; Ochs et Schieffelin, 1984, 2001; Schieffelin, 2007), une institution scolaire, une institution administrative, des communautés d’apprenants (Lave et Wenger, 1991), mais il peut aussi être symbolique, comme des souvenirs, etc. ( Schieffelin , 2007). Selon le lieu, la

personne utilisera le discours selon ses objectifs (Norton, 1995). Ainsi, la langue et le discours ne sont pas neutres (Bourdieu, 1982); ils véhiculent des identités sociales multiples, voire contradictoires (Roberts, Grandcolas et Arditty, 1999).

Concernant l’identité, plus exactement l’identité de soi, Ricœur (1990) considère qu’elle possède deux pôles: le pôle permanent (pôle idem) et le pôle ouvert au changement (pôle ipse). Pour Ricoeur, le caractère fait partie du pôle permanent tandis que c’est dans le pôle ipse qu’on peut identifier les actions, le projet d’un individu tout au long de son histoire. Le pôle ipse rejoint la définition de Camilleri et al. (1990) et Vasquez (1990). En effet, pour eux, la notion d’identité intègre les expériences d’une personne et son histoire. De son côté, Mucchielli (1994) mentionne que l'identité est à la fois l’élément moteur qui permet à l’individu de conférer un sens à sa vie et à ses actions. Dans tous les cas, l’identité n’est pas un état inné, elle change selon les actions que l’individu pose à tel endroit et à tel moment et selon les relations qu’ils entretiennent avec les autres (altérité). Par exemple, dans le cadre de la socialisation langagière, l’altérité se manifeste dans l’interaction verbale avec les autres apprenants, l’enseignant et les autres membres de la communauté. Il en est de même de la socialisation langagière chez l’enfant.

Le contact entre deux ou plusieurs cultures permet l’étude de l’identité et de l’altérité (Azzi et Klein, 1998). En effet, en contexte de contact entre plusieurs cultures, l’altérité amène nécessairement «une redéfinition de l’identité.» (Byram, 1992, p. 46). Pour Piller et Pavlenko (2001), le genre joue un rôle dans la redéfinition de l’identité dans la (re) construction identitaire ou dans la reconfiguration identitaire.

Dans une société pluraliste où plusieurs individus ayant des valeurs et des cultures différentes coexistent, l’altérité tient une place importante, car l’altérité amène nécessairement à apprendre sur les autres cultures, à apprendre sur sa culture d’où le rôle de la tolérance et du respect des autres (Cohen-Emerique, 2000). L’altérité se définit comme le «rapport entre je et autrui, entre le moi porteur de

culture et de sous-cultures et ce que l’autre me renvoie de ce que je suis, jouant le rôle de miroir de ma propre identité» (Cohen-Émerique, 1993, p. 72). Ainsi, l’identité provient de l’altérité (Rachédi, 2010). L’identité se définit alors comme le «semblable, le même par opposition à ce qui est différent.» (Ibid., p. 28)

Ainsi, l’altérité est en lien avec l’identité, car l’individu ne vit pas en vase clos: toute sa vie est régie par les échanges avec les autres, en passant par la famille immédiate jusqu’à l’ensemble des êtres qui gravitent autour de lui. Dans l’identité et l’altérité, l’affirmation de soi-même (de sa valeur, de sa culture) et la reconnaissance par autrui sont interdépendantes. La reconnaissance implique dès le départ le partage d’une même valeur, c’est le cas d’une nation, d’une société. Dans ce cas, un processus de négociation permanente existe entre celui qui attribue la reconnaissance (les membres de la société) et l’individu avec ses attentes d’où des obligations réciproques entre les membres de la société et l’individu. Ces obligations amènent une appartenance, une filiation à la société, mais aussi la liberté à la différence (sur le plan culturel, identitaire, etc.). Prenons un exemple pour illustrer notre propos. En contexte d’immigration, il se produit une (re) construction, redéfinition identitaire, car lors de l’immigration, il y a une rupture des liens avec le pays et la famille de la personne (Rachédi, 2010). Cette reconstruction identitaire se manifeste par la nécessité de construire de nouvelles relations avec les autres, qui peuvent être des natifs du pays d’accueil, des membres d’une même communauté, d’autres immigrants, de même qu’avec des membres de la famille qui ont immigré (à la maison, au travail, à l’école, à l’église, à la banque, etc.).

2.2.2 L’origine de l’étude de la socialisation langagière chez l’enfant

L’origine de l’étude de la socialisation langagière a été traitée principalement à partir de trois recherches ethnographiques portant sur les échanges qui se déroulaient entre un enfant et les personnes qui s’occupaient de son éducation dans trois communautés différentes (anglo-américaine, samoa occidental et Kaluli). Les

chercheurs Ochs et Schieffelin ont démontré que la socialisation de l’enfant varie d’une culture, d’un lieu et d’une personne à l’autre (Kulick et Schieffelin, 2004; Ochs et Schieffelin, 1984, 2001; Schieffelin, 2007). À titre d’exemple, lors de l’interaction, l’enfant est considéré et traité comme un partenaire à part entière dans la communauté occidentale (communication dyadique). Par contre, l’interaction est plus hiérarchisée dans la communauté Kaluli, c’est-à-dire que d’autres personnes de rang inférieur (frère, sœur) servent de médiatrices entre l’enfant et la nourrice. Ainsi, pour ces enfants de différentes communautés et cultures, le processus pour devenir membres compétents de la communauté exige d’eux, l’apprentissage et l’utilisation du langage de façon appropriée à travers des activités pertinentes en lien avec les spécificités de leur communauté (Schieffelin et Ochs, 1986b).

L’enfant apprend de l’univers dans lequel il se développe selon les paroles transmises par les adultes. L’enfant est le novice; les adultes sont les experts. De ce fait, la langue devient le médium entre eux et les adultes. Le développement de la vision du monde de l’enfant est façonné à partir de ce que les adultes lui ont «traduit» et «appris» par la parole, par le lieu, par le pays où il habite (Schieffelin, 2007; Kulick et Schieffelin, 2004). De plus, Schieffelin et Ochs (1986b) ajoutent que comme aucune culture n’est homogène, les variations se manifestent dans la langue et la culture. En fait, chaque culture détermine ce qui est important à transmettre, qui transmet, comment on transmet, où la transmission se déroule et à quel moment.

Au fur et à mesure que l’enfant grandit, il observe ce que font les adultes autour de lui par «la référenciation sociale» (Schieffelin, 2007, p. 19), c’est-à-dire ce qui regroupe l’ensemble des connotations des gestes et des mimiques d’une société. Schieffelin (2007) souligne que ces comportements et ces gestuelles ne peuvent être appris par l’enfant que dans des situations authentiques. L’importance de la connaissance du contexte et la maîtrise des enjeux jouent un rôle primordial dans la socialisation tout au long de la vie. Le membre novice doit savoir décoder la signification des messages selon les contextes et doit savoir s’adapter. La situation est

la même pour un adulte immigrant qui apprend une nouvelle langue en contexte d’immigration.

2.2.3 L’origine de l’étude de la socialisation langagière chez les adultes immigrants

Quant à la socialisation langagière de l’adulte immigrant dans le cadre de l’apprentissage d’une nouvelle langue en contexte d’immigration, Roberts, Grandcolas et Arditty (1999) constatent que la transformation identitaire en contexte interculturel n’a pas été prises en compte dans les recherches. L’apprentissage s’apparentait à un dressage pour maîtriser les automatismes langagiers (De Pietro, 2002). Pourtant, l’apprentissage d’une langue «ne peut être réduit à l’apprentissage ni d’un système ni de règles communicatives, mais apparaît comme le développement de la capacité même de participer à une pratique sociale» (Pekarek Doehler, 2000, p. 7). Les pratiques sociales sont les actions qui permettent à l’immigrant de sentir son appartenance à la société d’accueil (travail, vote, bénévolat, etc.). Par conséquent, l’acquisition d’une langue implique la mise en relation de trois entités: un apprenant (ou l’alloglotte)3 avec son identité, une langue et un contexte (Porquier et Py, 2004). En effet, selon Roberts, Grandcolas et Arditty (1999), la socialisation dans une seconde langue «inclut à la fois la socialisation requise dans l’utilisation de la langue lors des séquences interactionnelles spécifiques et le processus de socialisation par la langue-moyen indirect de développer des connaissances socioculturelles.» (p. 103)

2.3 L’adulte acteur lors de la socialisation langagière dans le pays d’accueil

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