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L’or, un métal aux propriétés surprenantes

I. Introduction

3. L’or, un métal aux propriétés surprenantes

L’or est un métal de symbole Au (du latin aurum), et de numéro atomique Z = 79. Sa configuration électronique est [Xe] 4f14 5d10 6s1.

Ses états d’oxydation peuvent aller de -1 (dans le seul et unique cas extrême de CsAu) à +5 (dans le cas du complexe AuF6-). Néanmoins, les degrés d’oxydation les plus fréquents sont +1 et +3. Ce sont ces deux états d’oxydation de l’or qui sont exploités en catalyse homogène.

La place de l’atome d’or dans le tableau périodique des éléments permet d’expliquer ses propriétés particulières. Il fait partie du groupe 11 avec le cuivre et l’argent, qui présentent aussi des propriétés électrophiles intéressantes. Il se situe également juste après le platine (groupe 10), et avant le mercure (groupe 12). Curieusement, l’or se retrouve classé en plein milieu de bon nombre de métaux dont les potentiels en catalyse ne sont plus à prouver et sont largement utilisés.

Cependant, certaines propriétés de l’or sont inattendues compte-tenu de celles de ses voisins. Son électronégativité est de 2,54 sur l’échelle de Pauling, ce qui est incroyablement élevé, tout comme l’est son premier potentiel d’oxydation (ce qui explique sa stabilité vis-à- vis d’agents de corrosion). L’atome d’or contient 32 électrons de plus que celui d’argent, et sa masse est presque doublée. Pourtant, son diamètre est légèrement inférieur.6

Les propriétés particulières de l’or ont été largement étudiées et rationalisées grâce à la théorie des orbitales frontières7 et aux effets relativistes observés pour les éléments de transition.8

6Pour une explication pédagogique de la nature et des conséquences des effets relativistes, voir :

Pour la Science, N° 342, Avril 2006, pp 84-89.

7 Pour une explication pédagogique de la théorie des orbitales fronitères, voir :

a) Carey, F.A. ; Sundberg, R.J. ; Advanced Organic Chemistry. Part A : structure and Mechanism, Kluwer Academic/Plenum publishers, 2000, 4th edition, chapitre 1, pp. 23-54.

Pour une discussion plus détaillée, voir: b) Houk, K.N. Acc. Chem. Res. 1975, 11, 361;

c) Yan, L.; Evans, J.N.S. J. Am. Chem. Soc. 1995, 117, 7756; d) Ess, D.H. ; Houk, K.N. J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 10187.

effets relativistes sont plus importants pour les électrons des orbitales s qui ont plus de chances de s’approcher du noyau que les électrons des orbitales p, d et f.

Pyykkö et coll. puis Toste et coll. ont mis en évidence la forte contraction des orbitales 6s et 6p de l’or. C’est une manifestation de ces forts effets relativistes observés dans le cas de l’or.9

L’orbitale 6s de l’or (I) et de l’or (III) étant fortement contractée, son énergie est abaissée, ce qui la stabilise. De plus, il s’agit de la plus basse orbitale vacante (LUMO), à la fois dans le cas de l’or (I) et de l’or (III). L’abaissement en énergie de cette orbitale rend les complexes cationiques de l’or électrophiles, et explique les caractères d’acide de Lewis observés.

La contraction des orbitales de coeur s et p a pour conséquence directe d’écranter davantage les électrons des couches externes 4f et 5d.

D’un point de vue simplifié, tout se passe comme si les électrons de valence étaient moins attirés par le noyau parce que les électrons des couches intermédiaires masquent la charge positive du noyau. Ainsi, les orbitales 4f et 5d de l’or sont plus étendues qu’elles ne le devraient, en l’absence de ces effets relativistes. L’orbitale 5d de l’or est l’orbitale de valence la plus haute occupée (HOMO). Elle est donc plus haute en énergie qu’elle ne le devrait. Ces électrons sont plus faciles à « extraire » de l’atome. L’or est donc susceptible de redonner de la densité électronique à un ligand. C’est ce qui explique la propension de

8 Pour des revues sur les effets relativistes, voir: a) Gorin, D. J.; Toste, F. D. Nature 2007, 446, 395. b) Pyykkö, P. Angew. Chem. Int. Ed. 2004, 43, 4412. 9 a) Pyykkö, P. Chem. Rev. 1988, 88, 563;

b) Pyykkö, P. Angew. Chem. Int. Ed. 2002, 41, 3573; c) Schwarz, H. Angew. Chem. Int. Ed. 2003, 42, 4442.

certains complexes d’or à stabiliser des intermédiaires carbocationiques, voire à former des carbènes, par donation d’électrons en retour de l’or à un ligand.

La couleur de l’or sous sa forme métallique est d’ailleurs une démonstration flagrante de l’étendue anormale des orbitales 4f et 5d de l’or: si les autres métaux purs, solides ou liquide dans le cas du mercure, sont en général de couleur grise ou argentée, l’or, lui est de couleur jaune « métallique » avec de nombreux reflets. Cette couleur particulière est due à la réflexion de la lumière sur la couche externe très étendue du nuage électronique qui forme une sorte de « plasma ». Comme les niveaux d’énergie des orbitales de la 5d et de la 6s sont très proches, le premier état d’excitation de l’or est facilement accessible par simple irradiation à la lumière visible. La transition de l’état fondamental 5d10 6s1 au premier état excité 5d9 6s2 correspond, en terme d’énergie, à l’absorption de la lumière bleue (λ = 420 - 488 nm). Toutes les autres longueurs d’onde dans le domaine du visible sont réfléchies par les électrons du métal, ce qui donne sa couleur jaune, complémentaire du bleu en optique. Dans le cas des autres atomes, les énergies nécessaires pour atteindre le premier état d’excitation correspondent à des longueurs d’onde dans les UV, et non pas dans le spectre du visible (Schéma 4).

Lorsque l’on observe la lumière du Soleil à travers une très fine feuille d’or, les ondes lumineuses transmises à travers ce « plasma » permettent d’observer une lumière bleu-verte. Il s’agit de la lumière émise par l’or lors de la désexcitation radiative du premier état excité de l’or en son état fondamental (λ’max = 536 nm), par phosphorescence.

Schéma 4: Principe de l’excitation et de la désexcitation radiative de l’or2

Des calculs effectués par Pyykö et coll. semblent indiquer que les effets relativistes atteignent un maximum dans le cas de l’or (Schéma 5). C’est effectivement ce que l’on

éléments. Ces résultats ont été confirmés par la suite par Toste et coll.

Schéma 5: Influence des effets relativistes sur des éléments de transition342 2

Après l’or, on commence à remplir de nouvelles couches électroniques de valence qui sont beaucoup moins contractées (6p), voire à nouveau plus étendues (cas des orbitales

5f et 6d). La contraction des atomes très lourds (Z > 100) redevient importante, mais ces

éléments sont hautement instables, à cause du trop grand nombre de protons et de neutrons dans leur noyau.

Le cas particulier de l’élément non naturel Roentgenium (symbole Rg) confirme cette spécificité liée à l’atome d’or. En effet, il s’agit de l’élément qui serait placé en dessous de l’atome d’or (Z = 111), de configuration électronique [Rn] 5f14 6d10 7s1. Cet élément a été crée dans un accélérateur de particules, mais s’est montré particulièrement instable (la demi- vie de l’isotope le plus stable 280Rg est de 3,6 s). Néanmoins, des calculs théoriques faits sur cet élément ont déterminé que son rayon atomique devrait être plus petit que celui de l’atome de cuivre (3 lignes au dessus dans le tableau périodique)!

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En raison de l’étendue importante de l’orbitale 6s vacante, l’interaction entre le centre métallique et le ligand est de nature orbitalaire. Les complexes d’or sont par conséquent considérés comme des acides de Lewis « mous », se complexant plus facilement à des ligands « mous » comme des systèmes 1. Ils montrent une affinité toute particulière pour les insaturations carbonées comme les alcynes, les allènes ou les alcènes, préférentiellement à des fonctions carbonyles, par exemple. Ceci explique le fait que l’or est souvent décrit comme étant un 1-acide de Lewis.

Un complexe d’or (I) (de type R3PAu+) est isolobal à un proton, mais également au

cuivre (I), à l’argent (I) ou au mercure (II). Tous ces métaux ont un caractère d’acide de Lewis très prononcé. De plus, un complexe d’or (I) peut être considéré, en première approximation, comme un « gros proton chimiosélectif», ce qui permet d’expliquer simplement la réactivité de ces complexes. Un complexe d’or (III), quand à lui, est isolobal au platine (II).11

Cette comparaison des complexes d’or (I) avec un proton n’est pas anodine. Des liaisons aurophiles ont été mises en évidence dans certains complexes d’or bimétalliques. Ces liaisons mettent en avant une interaction réciproque d'ions or (I) à une distance trop longue pour constituer une liaison Au-Au covalente, mais plus courte que pour les forces de Van der Waals. Ces liaisons sont comparables à des liaisons hydrogènes en termes d’interaction. Cela explique dans une certaine mesure l’analogie entre le proton et l’or (I).

De manière très intéressante, les complexes d’or se coordinent plus facilement à un alcène qu’à un alcyne, mais activeront de manière prioritaire les alcynes par rapport aux alcènes en raison d’une meilleure interaction orbitalaire entre le système 1 activé d’un alcyne et un nucléophile. Cela permet d’observer d’excellentes sélectivités de réaction pour la formation de nouvelles liaisons carbone-carbone ou carbone-hétéroatome, en particulier dans le cadre des réactions de cycloisomérisation d’énynes.

De plus, les intermédiaires aurés ont peu tendance à subir des 2-éliminations d’hydrure, contrairement aux autres métaux de transition utilisés en catalyse électrophile,

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la liaison carbone – métal.13 Par contre, du fait de leur haut potentiel d’oxydation, il est très difficile pour des complexes d’or de subir un processus d’addition oxydante ou d’élimination réductrice, ce qui empêche à l’heure actuelle l’utilisation de l’or pour réaliser des réactions de couplage croisé en l’absence d’un agent oxydant extérieur.

Les complexes d’or peuvent être utilisés pour activer des insaturations carbonées et faciliter des additions de nucléophiles. Les propriétés de ces complexes peuvent être modulées en employant des ligands et des contre-ions associés à l’atome d’or pour obtenir une activité catalytique « calibrée ».